Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

islām (suite)

Ce ne sont pas les dogmes qui créent cette solidarité. L’intensité de la foi a bien diminué en règle générale, les articles de foi sont peu connus, la théorie est pauvre, uniquement défensive et apologétique, sans prise sur les problèmes actuels, la pratique est suivie très inégalement, l’organisation religieuse est faible, dominée presque partout par un État qui s’est en général sécularisé en pratique malgré ses protestations éventuelles d’attachement à l’islām. Cette sécularisation pratique, cette indifférence généralisée au contenu de la foi expliquent l’actuel œcuménisme musulman, l’aplanissement des conflits d’écoles et de sectes, virulents autrefois, les bons rapports entretenus avec les autres religions, malgré des résurgences dues essentiellement au caractère quasi national pris par les communautés religieuses. Les idéologies socialistes et surtout nationalistes dominent le monde musulman.

Le fait que l’ensemble des musulmans ressortit au monde sous-développé accentue le sentiment d’appartenance musulmane. Celle-ci est affichée souvent comme valeur d’identification nationale et culturelle. Pour les Arabes, fondateurs de cette religion, c’est surtout une valeur nationale. Au Pākistān, en Malaisie, en Asie centrale, l’islām symbolise l’appartenance à une communauté culturelle spécifique, distincte des hindouistes, des Chinois et des Slaves. En Turquie et en Iran, où l’élite moderniste a essayé de réduire son rôle en jouant sur le sentiment national contre son arabité, les masses, comme ailleurs, lui sont restées fidèles, comme symbolisant leur mode de vie propre, secondairement sacralisé, à l’encontre des valeurs occidentales adoptées par l’élite. Dans le monde négro-africain, le rôle de l’islām varie suivant les régions. Souvent il représente un mode dé vie jugé supérieur à celui des animistes, mais non compromis, comme le christianisme, par une connexion étroite avec l’Europe colonisatrice, auréolé même d’une attitude anti-impérialiste.

Il est difficile de parler aujourd’hui d’une civilisation musulmane quelque peu unifiée. La civilisation technique mondiale, élaborée en Europe, a pénétré partout profondément. Mais des îlots de résistance existent aussi partout, liés moins à la religion même — encore que les rites communautaires, surtout le pèlerinage à La Mecque aient toujours une grande importance — qu’à un ensemble de comportements traditionnels que la religion a sacralisés. Ainsi, dans le domaine des relations familiales et sexuelles tout particulièrement, l’islām tend à devenir avant tout une religion de type moderne, une opinion que l’État respecte ou protège, mais qui ne s’identifie plus à l’État non plus qu’à une culture particulière. Mais les survivances de l’état de choses passé sont encore nombreuses, revivifiées souvent par les exigences de l’idéologie politique, par les attitudes plus ou moins intéressées de l’État et des classes détentrices du pouvoir, par les réactions ethnico-nationales des masses.

M. R.

➙ Arabes / Chī‘isme / Coran / Ismaéliens / Mahomet / Sunnites.

 Encyclopédie de l’Islām (Leyde et Paris, Picard et Klincksieck, 1910-1938, 3 vol. ; 2e éd., Leyde et Paris, Maisonneuve et Larose, 3 vol. parus depuis 1960). / H. Massé, l’Islām (A. Colin, 1930). / M. Gaudefroy-Demonbynes, les Institutions musulmanes (Flammarion, 1946). / H. A. R. Gibb, Mohammedanism, an Historical Survey (Londres, 1949). / D. Sourdel, l’Islām (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1949 ; 8e éd., 1972). / Geschichte der islamischen Länder (Leyde, 1952-1959 ; 3 vol.). / L. Gardet, la Cité musulmane, vie sociale et politique (Vrin, 1954) ; Connaître l’Islām (Fayard, 1958) ; l’Islām, religion et communauté (Desclée De Brouwer, 1967). / L. Massignon, Annuaire du monde musulman (P. U. F., 1955) ; Opera minora (Beyrouth, 1963 ; nouv. éd., P. U. F., 1969, 3 vol.). / W. C. Smith, Islam in Modern History (Princeton, 1957 ; trad. fr. l’Islam dans le monde moderne, Payot, 1962). / J. Jomier, Introduction à l’Islam actuel (Éd. du Cerf, 1964). / F. M. Pareya, Islamologie (Beyrouth, 1964). / H. Laoust, les Schismes dans l’Islam (Payot, 1965). / M. Rodinson, Islam et capitalisme (Éd. du Seuil, 1966) ; Marxisme et monde musulman (Éd. du Seuil, 1972). / A. Miquel, l’Islam et sa civilisation, viie-xxe siècle (A. Colin, 1968). / X. de Planhol, les Fondements géographiques de l’histoire de l’Islam (Flammarion, 1968). / D. et J. Sourdel-Thomine, la Civilisation de l’Islam classique (Arthaud, 1968). / C. Cahen, l’Islam des origines au début de l’Empire ottoman (Bordas, 1970). / P. M. Holt, A. K. S. Lambton et B. Lewis (sous la dir. de), The Cambridge History of Islam (Cambridge ; 1971, 2 vol.). / M. Lombard, l’Islam dans sa première grandeur, viiie-xxe siècle (Flammarion, 1971). / O. Chahine, l’Originalité créatrice de la philosophie musulmane (A. Maisonneuve, 1972).


Les arts de l’islām


Généralités

Malgré leur valeur intrinsèque et leur importance pour l’histoire universelle, les arts de l’islām n’occupent pas encore en France une place suffisante dans les études, dans les musées, dans l’opinion publique. Cela tient sans doute à maintes causes idéologiques, politiques et culturelles, mais aussi aux difficultés d’accès, à l’abondance des œuvres modernes, souvent vulgaires ou médiocres, qui masquent les réalisations antérieures, aux dévastations provoquées par les séismes, par les guerres, par l’abandon pendant un siècle ou deux de monuments qui auraient pu être sauvés.


Limites

Au sens étroit, que nous acceptons ici, les arts de l’islām couvrent un domaine immense, qui s’étend géographiquement de l’Espagne au Bengale, historiquement de la fin du viie s. jusqu’au début du xixe, et ils embrassent des techniques aussi variées que l’architecture, la sculpture, la peinture, la céramique, le métal, l’ivoire, le verre, le tapis, les tissus. Leurs limites dans le temps et dans l’espace ne correspondent pas exactement à celles de la religion musulmane, qui s’est formée antérieurement à eux ; elle leur survit aujourd’hui, manifestant sa force attractive alors qu’ils appartiennent presque entièrement au passé. Plusieurs des sols où elle s’est implantée, l’Indonésie, l’Afrique noire, une grande partie des steppes qui forment à présent les territoires méridionaux de l’U. R. S. S., sont d’islām, mais demeurent hors du champ d’étude des historiens de son art. En revanche y entrent les monuments et les objets faits pour les tenants d’autres religions qui vivent soit sous la domination musulmane (art mozarabe d’Espagne), soit sous la domination chrétienne dans des terres antérieurement musulmanes et « reconquises » (art arabo-normand de Sicile, art mudéjar d’Espagne). Enfin relèvent encore de l’islām les ateliers de tissage de Lucques ou de Gênes (xiiie s), ceux des bronziers et des relieurs de Venise (xve-xvie s.), les manufactures polonaises de tapis (xvie s.).