Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Irlande (suite)

Le relief d’ensemble de l’Irlande a l’aspect d’une vaste cuvette aux bords ébréchés. Dans le Centre, les calcaires carbonifères ont été la proie de l’érosion sous les climats humides et chauds du Tertiaire ; ils donnent une plaine très basse, d’altitude inférieure à 30 m où le fleuve Shannon s’écoule difficilement ; là où le calcaire a été soulevé par des mouvements tectoniques récents apparaissent des formes karstiques souterraines et subaériennes (karst du Burren au sud de la baie de Galway).

De moyennes montagnes aux formes vigoureuses constituent un rempart discontinu à la périphérie. Dans le Sud-Ouest, les chaînons anticlinaux de grès dévoniens portent les plus hauts sommets de l’île (Carrantuohill, 1 040 m), tandis que les vais synclinaux envahis par la mer sont devenus des baies allongées et parallèles (Dingle Bay, Kenmare Bay, Bantry Bay). Au sud-est, le massif ovoïde des Wicklow s’avance jusqu’à la baie de Dublin. Au nord-est, en arrière de Belfast, s’étendent les monotones plateaux basaltiques d’Antrim. Le Nord-Ouest enfin se caractérise par ses longues et étroites échines de quartzites dressées au-dessus de bas plateaux.

L’Irlande a été envahie au Quaternaire, à deux reprises au moins, par des glaciers issus de ses propres montagnes et sans doute aussi de celles d’Écosse. Les formes d’érosion glaciaire et périglaciaire (vallées en auge, cirques, niches de nivation, terrasses fluvio-glaciaires) donnent un modelé de type alpin aux principales masses montagneuses. Mais l’action des glaciers se manifeste surtout par l’épandage d’une immense nappe de moraine de fond. Cette nappe est tantôt amorphe, tantôt moulée en collines rondes ou ovales d’une quarantaine de mètres de hauteur (drumlins) ou en remblais sinueux et étroits (eskers), longs parfois de plusieurs kilomètres. L’obstacle des drumlins et des eskers rend encore plus difficile l’écoulement des eaux et prépare la formation de la tourbe dans les creux humides.

L’Irlande a, pour son étendue, une côte très développée et une grande variété de formes littorales, depuis les estuaires vaseux et plats comme celui du Shannon jusqu’aux plus hautes falaises d’Europe, quelques-unes sur la côte ouest ayant plus de 600 m de hauteur. Malgré cela, en dépit des médiocres conditions climatiques et pédologiques, l’Irlande est restée jusqu’à une date récente une nation essentiellement paysanne.


La population

Les questions démographiques (évolution numérique de la population, densités, mouvements migratoires, pyramide des âges, etc.) ont en Irlande plus d’acuité que partout ailleurs en Europe. L’Irlande est en effet un cas aberrant : le seul pays du monde qui soit moins peuplé de nos jours qu’au milieu du xixe s. Le maximum de population a dû être atteint en 1845, à la veille de la Grande Famine (plus de 8 500 000 hab.). La famine elle-même, puis la vague d’émigration qu’elle déclencha réduisirent brutalement la population. Le minimum historique a été atteint en 1926 (4 230 000 hab.), mais il se place à des dates différentes dans les deux entités politiques dont se compose l’Irlande : dès 1891 dans les six comtés d’Irlande du Nord, à une date aussi tardive que 1961 dans la République. À partir de ces minimums, les effectifs augmentent faiblement ; ils atteignent en 1971 près de 3 millions d’habitants dans la République et près de 1 500 000 en Irlande du Nord ; la somme de ces deux chiffres dépasse à peine la moitié de l’effectif de 1845.


L’émigration

L’Irlande souffre en effet depuis des siècles d’une très forte émigration. La persécution religieuse des autorités anglaises contre la population indigène restée en majorité fidèle au catholicisme, l’ostracisme politique, l’exploitation des paysans irlandais par les propriétaires absentéistes anglais et écossais rendent compte de cette émigration au moins autant que la misère, elle-même conséquence de la pauvreté naturelle de l’île et d’une structure foncière injuste. De la Grande Famine aux années 1920, les États-Unis furent la destination préférée des émigrants.

L’indépendance de la République en 1921 n’a pas fait cesser l’émigration, mais les causes de celle-ci ont changé ; ce sont maintenant le manque d’emplois sur place, l’austérité de la vie à la campagne, la multiplicité des contacts avec les parents émigrés qui entretiennent le désir d’émigrer ; pourtant, le nombre de départs diminue progressivement à mesure que s’amenuise le réservoir humain. La destination principale depuis les années 1920 est la Grande-Bretagne toute proche plutôt que le Canada, les États-Unis ou l’Australie.

Les émigrés irlandais doivent en général se contenter des emplois durs ou peu qualifiés : bâtiment et travaux publics, débardage dans les ports, voiries municipales, etc. L’émigration féminine dépasse l’émigration masculine dans la République. Les Irlandaises sont en effet très demandées en Grande-Bretagne comme religieuses, institutrices d’écoles catholiques, sages-femmes, infirmières, employées de maison. À cause de cette surémigration féminine, la république d’Irlande est un des rares pays du monde qui comptent plus d’hommes que de femmes, respectivement 50,2 et 49,8 p. 100 de la population.

L’émigration irlandaise a été sans commune mesure avec ce qu’on peut observer ailleurs en Europe : 2 millions de départs environ de 1780 à la Grande Famine, 2 millions de 1845 à 1860 et encore 4 500 000 de 1860 à nos jours. Il y a dans le monde beaucoup plus de descendants d’Irlandais qu’en Irlande même. Cette émigration massive a eu de multiples conséquences dans de nombreux domaines : composition par âges de la population, comportements démographiques, faible croissance économique, traditionalisme social.


La structure actuelle

L’Irlande a le taux de nuptialité le plus faible du monde. Cela tient en partie à l’émigration des jeunes en âge de convoler, mais aussi à l’importance du célibat, tant religieux (l’Irlande a, par rapport à sa population, la plus forte proportion de prêtres et de religieuses de tout le monde catholique) que laïque. À la campagne, les jeunes hommes hésitent à fonder un foyer tant qu’ils ne sont qu’aides familiaux non rétribués sur la ferme paternelle ; de là l’âge moyen tardif des mariages (28 ans pour les hommes, 26 ans pour les femmes) et la fréquence du célibat masculin, causée par la forte émigration féminine.