Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Iraq (suite)

Pour détourner l’opinion publique de ces difficultés économiques et sociales, et procurer à l’Iraq de nouvelles ressources indispensables à son développement, le général Kassem affirme au mois de juin 1961 la détermination de son gouvernement d’annexer la principauté de Koweït, qui vient d’accéder à l’indépendance et sur laquelle l’Iraq prétend avoir des droits historiques. Mais la richesse fabuleuse de ce petit territoire ne laisse pas indifférentes les puissances occidentales, et plus particulièrement les États-Unis et la Grande-Bretagne. D’autres pays arabes, et principalement l’Égypte, s’opposent également à cette annexion. Nasser ne veut pas laisser son adversaire disposer des potentialités du Koweït, qui risquent de consolider le régime irakien et de déplacer le leadership du monde arabe des rives du Nil à celles du Tigre et de l’Euphrate.

Après le déboire koweïtien, le général Kassem se retourne contre l’Iraq Petroleum Company (IPC), à laquelle le nouveau régime ne cesse depuis son avènement de demander une révision des concessions et une majoration des redevances en nature et en espèces. Il nationalise 99,6 p. 100 des zones de concessions, et, devant le refus de l’IPC de réserver à l’Iraq 20 p. 100 de son capital, il annonce la création d’une compagnie nationale du pétrole (déc. 1961).

Cette politique aggrave d’autant plus l’hostilité des puissances occidentales qu’elle constitue un « mauvais exemple » pour les autres pays producteurs de pétrole. Le général Kassem devient alors l’ennemi des grandes compagnies pétrolières du Moyen-Orient.

Isolé à l’extérieur, coupé des nationalistes et des communistes, le régime de Kassem connaît en 1961 ses premiers déboires devant les maquis kurdes dirigés par Mullā Muṣṭafā al-Barzanī (né en 1903), ce qui aggrave encore plus le mécontentement, notamment au sein de l’armée.


La chute de Kassem et l’avènement d’Abdul Salam Aref

Le 8 février 1963, un coup d’État militaire, appuyé sur les nationalistes arabes bassistes et nassériens, porte au pouvoir le colonel Aref (‘Abd al-Salam Muḥammad ‘Ārif [1921-1966]). Kassem et ses principaux collaborateurs sont fusillés, et un gouvernement est constitué avec la participation des bassistes. Occupant les positions clefs au gouvernement, ces derniers créent une garde nationale civile (les « brassards verts ») et déclenchent une répression féroce contre les communistes et les syndicalistes.

Les nationalistes arabes accèdent au pouvoir à la faveur certes du mécontentement populaire, mais aussi grâce à l’appui de Nasser, à la complicité des Kurdes et vraisemblablement à l’encouragement de certaines puissances occidentales.

Le nouveau régime se propose de réconcilier l’Iraq avec l’Occident, de trouver un compromis avec les Kurdes et de réaliser l’unité arabe. La politique de répression contre les communistes détériore ses relations avec les pays socialistes, mais le rapproche davantage du bloc occidental.

Parallèlement, le régime bassiste entreprend de trouver une solution au problème kurde. Au mois de mars 1963, il reconnaît l’autonomie des Kurdes. Mais les contradictions entre les deux nationalismes (arabe et kurde) ne favorisent pas la conclusion d’un accord définitif ; le conflit reprend plus violent en juin.

Le régime irakien manifeste plus d’assurance après le coup d’État pro-bassiste en Syrie (mars 1963). La situation favorise alors la création d’une fédération entre l’Égypte, l’Iraq et la Syrie, dont les gouvernements se réclament du nationalisme arabe. Le 18 avril 1963, un projet d’union est signé entre les trois pays. Mais le désaccord entre la Syrie et l’Égypte aboutit à son avortement. Nasser ne pardonne pas aux bassistes syriens d’avoir aidé, en 1961, à l’éclatement de l’unité syro-égyptienne. Pour contrecarrer les nassériens, les deux Baath se rapprochent et constituent au mois d’octobre 1963 une union militaire syro-irakienne.

Mais le Baath irakien ne tarde pas à succomber sous ses propres ambiguïtés. Nationaliste arabe, il se rapproche des pays occidentaux qui restent aux yeux de l’opinion publique des puissances impérialistes. Socialiste, il élimine les forces progressistes et reste en butte à une bourgeoisie qu’inquiète son verbalisme révolutionnaire. Unis contre le régime de Kassem, les bassistes se divisent, une fois au pouvoir, entre progressistes et conservateurs. Le 17 novembre 1963, le Baath est écarté du pouvoir. Le maréchal Aref s’empare avec l’appui des nassériens de tous les pouvoirs et forme le 21 novembre un gouvernement avec, comme Premier ministre, le général Ṭāhir Yaḥyā.


Le régime du maréchal Aref

Fervent admirateur de Nasser, Abdul Salam Aref se met d’abord à l’école de l’Égypte. Il interdit tous les partis politiques et institue un parti unique, baptisé, à l’instar de celui de l’Égypte, « Union socialiste arabe ». Comme Nasser, il s’engage dans une politique de nationalisation des entreprises. Tout en relançant le conflit avec l’IPC, il nationalise, le 14 juillet 1964, les banques, les compagnies d’assurance, les industries du ciment et du tabac. C’est également sous l’influence de Nasser qu’il accepte de libérer quelques détenus politiques et de conclure en février 1964 un cessez-le-feu avec les Kurdes.

L’Iraq et l’Égypte vivent alors en parfaite symbiose. Après l’élimination des bassistes, le régime irakien se rapproche considérablement de la République arabe unie. En février 1964, les deux pays concluent un accord économique et, au mois de mai suivant, ils établissent un conseil présidentiel et un commandement militaire communs.

Mais cette lune de miel irako-égyptienne est éphémère. Aref n’épouse pas tous les aspects de la politique égyptienne. Nationaliste intransigeant, il ne parvient pas, malgré les conseils du chef d’État égyptien, à résoudre le problème kurde et reprend la lutte contre les partisans de Barzanī. Musulman orthodoxe, il répugne au socialisme, qui semble gêner ses convictions religieuses. Au demeurant, Aref doit compter avec une bourgeoisie quelque peu effrayée par le nassérisme, auquel elle attribue la responsabilité des mesures à caractère socialiste de juillet 1964.