Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Iraq (suite)

Cette politique se heurte à une opposition de plus en plus radicale de la population. Sous la pression des masses populaires, le gouvernement autorise à la fin de la guerre les partis politiques à agir librement. Ces derniers exigent alors ouvertement l’abolition du traité anglo-irakien de 1930. Pour réaliser cet objectif, ils mobilisent les masses des étudiants et des ouvriers. Mais l’agitation provoquée à l’Université et dans l’industrie entraîne leur interdiction.

Au surplus, la situation économique et sociale accroît le malaise. L’augmentation des revenus du pétrole peu après 1950 ne profite pas aux masses irakiennes, et les programmes de développement économique entrepris par le gouvernement ne donnent pas les résultats escomptés. Cela renforce l’opposition, qui, par ailleurs, trouve un allié dans le gouvernement égyptien issu du coup d’État nassérien de 1952.

En effet, le nouveau régime égyptien, qui a renversé une monarchie présentant plus d’un point commun avec celle de l’Iraq, rencontre de larges échos parmi la population irakienne. Il encourage l’opposition irakienne à dénoncer le traité de 1930. Forts de cet appui, les partis politiques irakiens préconisent le désengagement vis-à-vis des grandes puissances et une alliance avec l’Égypte.

Se sentant de plus en plus menacé de l’intérieur comme de l’extérieur, le régime irakien renforce davantage ses rapports avec l’Occident. En 1955, il adhère au pacte de Bagdad, système de défense d’inspiration occidentale. Dès lors, il devient l’ennemi juré des nationalistes arabes. En 1956, pendant la crise de Suez, il ne désavoue pas la Grande-Bretagne et ne manifeste aucune sympathie vis-à-vis de l’Égypte. Mais, contrairement à son attente, l’affaire de Suez, loin de provoquer la chute de Nasser, renforce davantage son régime. Le gouvernement hāchémite doit désormais compter avec un adversaire dont la dimension dépasse, après la nationalisation du canal, le cadre de l’Égypte et qui exerce un grand ascendant sur la population irakienne.

Le danger du nassérisme devient imminent en 1958 à la suite de la constitution de la République arabe unie (R. A. U.), d’autant plus que les masses irakiennes manifestent beaucoup d’enthousiasme pour cette union syro-égyptienne. Pour faire face à cette situation, les Hāchémites d’Iraq forment avec ceux de Jordanie une fédération. Mais l’Union irako-jordanienne est trop impérialiste pour être admise par la population. Cinq mois après sa proclamation, le 14 juillet 1958, les Hāchémites sont renversés en Iraq par un groupe d’officiers dirigés par le général Kassem (‘Abd al-Karīm Qāsim). Le roi Fayṣal II, ‘Abd al-Ilāh et Nūrī Sa‘īd sont exécutés, la monarchie est supprimée, et la république est proclamée.


Le régime de Kassem

Le nouveau régime semble combler les espoirs de la population irakienne, qui aspire à l’indépendance, au bien-être social et à l’unité arabe. Cependant, les contradictions, mises en veilleuse pendant la lutte contre les Hāchémites se réveillent après la chute de la monarchie. La coalition d’intérêts qui porte Kassem (1914-1963) au pouvoir ne tarde pas à éclater, quelques mois après la révolution de 1958. Pendant près de cinq ans (1958-1963), Kassem s’efforce de maintenir l’équilibre entre les diverses tendances civiles et militaires.

Certes, il réalise l’objectif commun à tous les partis : l’indépendance du pays. L’Iraq se libère ainsi des obligations du traité de 1930, se retire du pacte de Bagdad et de la zone sterling et établit des relations diplomatiques avec tous les pays communistes. Mais, d’accord sur l’indépendance, les diverses fractions civiles et militaires ne le sont plus lorsqu’il s’agit de l’unité arabe ou des options économiques et sociales.

Kassem lui-même ne semble plus favorable à une unité qui doit nécessairement être sous la coupe de Nasser et ne tarde pas à entrer en conflit avec le leader égyptien, ce qui lui aliène les milieux nationalistes, dont le porte-drapeau, le colonel Abdul Salam Aref (‘Abd al-Salam ‘Ārif), l’un des principaux artisans de la révolution de 1958, reste fidèle au nassérisme.

Pour contrecarrer les unionistes, Kassem interdit les partis pro-égyptiens et accepte l’appui du parti communiste. Ce dernier craint de se trouver minoritaire dans une République arabe unie nécessairement dominée par les nationalistes, et veut éviter le sort réservé aux partis communistes égyptien et syrien, durement réprimés par le régime nassérien. Au mois de mars 1959, le parti communiste participe avec les Kurdes (opposés aux nationalistes arabes) à l’écrasement du soulèvement pronassérien du colonel Abd al-Wahhab Chawwāf à Mossoul. Dès lors, l’extrême gauche devient très encombrante pour le général Kassem et risque surtout de lui aliéner la bourgeoisie irakienne. Pour inspirer confiance à cette bourgeoisie, le chef de l’État écarte, au début de 1960, les communistes du gouvernement, et interdit toute activité à leur parti. Il interdit également le parti démocratique kurdistanais et mène une dure répression contre les leaders ouvriers et paysans. Le régime irakien prend ainsi un caractère de plus en plus autoritaire, et le général Kassem devient en 1961 « le leader unique ».

Ces mesures lui aliènent une bonne partie de l’opinion publique sans pour autant le rapprocher des autres partis politiques. Les nationalistes, dominés par les courants bassiste et nassérien, lui restent profondément hostiles.

Kassem est d’autant plus isolé que sa politique économique et sociale ne donne pas les résultats escomptés : la réforme agraire (sept. 1958) et le plan quadriennal de développement se soldent par un échec. Du reste, la politique d’équilibre entre les diverses classes sociales l’empêche d’aller jusqu’au bout de ses idées et de conduire leurs réformes à leur terme. Kassem table pourtant sur l’ensemble de ces réformes pour créer des assises à son régime. Mais si elle donne satisfaction à une petite fraction de la classe ouvrière, surtout dans la capitale, cette politique entraîne le mécontentement de la grande majorité de la population irakienne et aggrave l’isolement du régime.