Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Iraq (suite)

Cette situation, ajoutée au mouvement égyptien contre la domination anglaise, provoque en 1920 une insurrection dans laquelle les tribus du moyen Euphrate et les chī‘ites jouent un rôle important. En octobre 1920, la Grande-Bretagne met fin à l’autorité militaire et constitue un Conseil d’État arabe, pour exercer, sous l’égide du haut-commissaire anglais, les fonctions de gouvernement. Et, au mois d’août 1921, elle proclame roi d’Iraq Fayṣal Ier (1883-1933), fils du chérif de La Mecque, Ḥusayn ibn ‘Alī. Cette monarchie, confirmée par un référendum, est présentée comme constitutionnelle et démocratique. On convoque même une assemblée constituante, qui adopte en 1924 le statut organique ; celui-ci, promulgué l’année suivante par le roi Fayṣal, va, jusqu’à la révolution de 1958, constituer la charpente de la monarchie irakienne.

Cependant, ce caractère démocratique du régime apparaît très vite purement théorique. Les députés sont pratiquement désignés par les autorités, et, au surplus, l’assemblée n’a aucun pouvoir, le roi pouvant refuser de signer une loi, même votée à l’unanimité.

Or, le roi Fayṣal fait preuve de fidélité absolue à la Grande-Bretagne. Le 10 octobre 1922, les Anglais lui font signer un traité confirmant leur domination sur l’Iraq et, en juin 1923, ils le poussent à déporter les chefs du mouvement nationaliste hostiles à leur tutelle.

Cette politique n’est pas pour apaiser la population irakienne, qui persiste dans son hostilité à la Grande-Bretagne même après l’attribution par la S. D. N., à la fin de 1925, de Mossoul à l’Iraq.


L’Iraq indépendant

Pour désamorcer la crise, l’Angleterre renonce à son mandat, en se réservant, il est vrai, avantages et garanties pour ses intérêts. Le traité anglo-irakien du 30 juin 1930 reconnaît l’indépendance de l’Iraq tout en raffermissant l’alliance politique et militaire entre les deux pays. La Grande-Bretagne se libère ainsi des charges du mandat tout en en conservant les bénéfices. Au surplus, elle laisse à la tête de l’Iraq des hommes qui lui sont très dévoués et pensent à l’avenir du pays, particulièrement le roi Fayṣal et son Premier ministre Nūrī Sa‘īd (Nouri Saïd) [1888-1958].

Il faut cependant compter avec les contradictions qui minent la société irakienne. Ces contradictions héritées du Moyen Âge se sont accusées notamment dans le domaine économique et social depuis l’établissement du mandat britannique. Pour consolider sa domination en Iraq, la Grande-Bretagne a créé une aristocratie terrienne à sa dévotion. D’innombrables domaines constituant les terres collectives de la population nomade ou semi-nomade (qui représente en 1920 jusqu’à 80 p. 100 de la population irakienne) ont été déclarés propriétés privées au profit d’une nouvelle classe destinée à soutenir le gouvernement ; la grande majorité de la population, elle, vit dans des conditions très précaires. Cette transformation des structures a ranimé les vieilles revendications sociales. L’exploitation du pétrole, confiée à partir de 1927 à l’Iraq Petroleum Company (IPC), profite essentiellement à des étrangers. Le traité de 1930, qui prévoit une étroite alliance anglo-irakienne pour 25 ans, est venu garantir ces intérêts et préserver le statu quo économique et social.

Cette situation crée un climat explosif qui favorise l’extension du nationalisme et la mobilisation des masses contre la domination britannique. Jouant sur les rivalités entre les divers groupements nationalistes, le roi Fayṣal réussit à gouverner tant bien que mal le pays. Mais à sa mort, survenue subitement en 1933, son fils, le jeune roi Rhāzī Ier (8 sept. 1933 - 4 avr. 1939), ne peut pas maîtriser la situation.

L’agitation antibritannique se développe alors en Iraq, et le pays devient pratiquement ingouvernable. Pour la réduire, le gouvernement compte sur l’armée, dont tous les partis briguent aussi l’appui. Elle-même n’échappe pas à la division en factions qui caractérise la société irakienne. Néanmoins, la tendance nationaliste ne tarde pas à l’emporter en son sein.

Dès 1936, le général Bakr Ṣidḳī fomente un coup d’État avec l’appui d’al-Ahālī, un groupe politique réformiste. Sans toucher à la monarchie, il porte au pouvoir un membre de ce mouvement, Ḥikmat Sulaymān, tout en restant lui-même dans l’ombre. Mais, dix mois plus tard, Bakr Ṣidḳī est assassiné, et un nouveau coup d’État écarte du pouvoir Ḥikmat Sulaymān, dont la politique proturque et antiarabe exacerbe les nationalistes. La tradition des coups d’État est alors instaurée, et l’Iraq n’en connaîtra pas moins de sept entre 1936 et 1941. Ceux-ci prennent un caractère de plus en plus nationaliste.

Le sentiment nationaliste antibritannique se développe en effet parmi la population irakienne. À la mort du roi Rhāzī, survenue en 1939 dans des conditions assez mystérieuses, il est dirigé contre les Hāchémites*, considérés comme les instruments de la Grande-Bretagne. En effet, ‘Abd al-Ilāh (Abdallah), qui assure le pouvoir pendant la minorité de Fayṣal II, pratique une politique favorable à cette puissance. Sous sa régence (1939-1953), l’Angleterre consolide encore plus sa position en Iraq.

Les nationalistes irakiens exploitent les difficultés rencontrées par l’Angleterre au cours de la Seconde Guerre mondiale pour tenter de libérer leur pays, en s’appuyant au besoin sur les forces de l’Axe. Au mois d’avril 1941, l’armée porte au pouvoir Rachid ‘Alī al-Gaylānī, un nationaliste extrémiste qui dénonce les obligations imposées à l’Iraq par le traité de 1930. Le nouveau régime risque alors de favoriser l’implantation de l’Allemagne dans une région qui représente, notamment en période de guerre, un grand intérêt stratégique. Au mois de mai 1941, les Anglais réagissent et occupent Bagdad avec l’aide de la Légion arabe de Jordanie. L’armée irakienne, qui compte sur une intervention prompte et massive des forces de l’Axe, ne résiste pas à l’assaut britannique : Gaylānī est renversé au profit du régent ‘Abd al-Ilāh (1913-1958) et de Nūrī Sa‘īd, qui seront jusqu’à la révolution de 1958 les hommes forts du régime.

Fidèles à la Grande-Bretagne, ces deux hommes d’État lient intimement les intérêts des Hāchémites à ceux de cette puissance. En 1943, leur gouvernement déclare la guerre aux puissances de l’Axe.