Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Iran (suite)

La conquête arabe et l’islamisation du pays dès le viie s. n’apportèrent à ce tableau que des retouches limitées. Les Arabes, nomades des déserts chauds, ne purent, avec leurs dromadaires, s’installer sur le haut plateau. Leurs infiltrations s’étendirent essentiellement dans le garmsir des côtes du golfe Persique, et jusque dans l’actuel Baloutchistan, où ils constituent sans doute un élément appréciable du fonds de la population. L’actuelle minorité arabe de l’Iran (environ un million de personnes) est essentiellement concentrée, en dehors de quelques tribus nomades dans le garmsir du Fārs, dans la partie iranienne de la Mésopotamie (Khuzestān [Khūzistān, ancienn. ‘Arabistān]). Quelques groupes subsistent cependant dans le Khorāsān, où ils ont été déportés à l’époque de Tīmūr Lang.


Les invasions turco-mongoles : expansion du nomadisme et résistance sédentaire

Un grand tournant humain se situe en revanche lors de la pénétration progressive des Turcs, qui commence au xe s., et le paroxysme se situe avec l’invasion mongole du xiiie s., dont les ravages seront particulièrement spectaculaires. Ces nomades des steppes froides s’installent facilement sur le plateau et dans les massifs montagneux avec leurs chameaux de Bactriane. Sous cet ouragan, la vie sédentaire va considérablement reculer. Des villes entières disparaissent sans laisser de traces. Des régions entières sont abandonnées par la culture, non sans que subsistent comme traces de celle-ci des terrasses en ruine.

Des remaniements ethniques considérables vont intervenir. Le plus important sera la turquisation de l’Azerbaïdjan, où se produit de bonne heure une accumulation de nomades turcs, à la frontière qui fait face à la Géorgie chrétienne des basses terres humides de Transcaucasie occidentale. La transformation s’achèvera au xvie s., lorsque l’adoption du chī‘isme comme religion d’État par l’Iran des Séfévides conduira de nombreuses tribus turkmènes chī‘ites d’Anatolie à y chercher asile. Dès cette époque, l’assimilation linguistique est terminée, faisant du bloc azéri (langue turque, proche mais différente du turc de Turquie) la principale minorité de l’Iran, bloc compact de 4 à 5 millions de personnes au moins. D’autres groupes turcs importants ont pénétré dans le Zagros, où ils constituent notamment, dans le Fārs, la grande confédération nomade des Qachqāys. Enfin, des Turkmènes, restés nomades dans la basse Asie centrale et tenant tout l’Iran du Nord-Est sous la menace de leurs razzias jusqu’au troisième tiers du xixe s., y ont recouvert les steppes de l’Atrek (Gorgān), où ils se sont peu à peu fixés à l’époque contemporaine.

La formation du peuple baloutche est, de même, une répercussion directe des invasions turques. Population iranienne originaire des régions situées au nord du Grand Kavir, les Baloutches ont été refoulés jusque dans l’Iran du Sud-Est par la pression des envahisseurs. Ils y ont submergé des populations très anciennement installées (Brāhouīs de langue dravidienne, dont il subsiste un îlot) et ont développé un grand nomadisme depuis les quartiers des côtes inhospitalières du Makrān jusqu’aux chaînons de l’intérieur. Leur nombre total doit avoisiner le million en Iran.

En dehors même de tout bouleversement ethnique, des transformations profondes du genre de vie sont intervenues en effet chez les populations préexistantes. Beaucoup de paysans sont passés au grand nomadisme, après la ruine de leurs villages et la destructions de leurs ouvrages d’irrigation, dans le contexte d’insécurité de ces grandes invasions médiévales. C’est le cas d’une grande partie du Zagros occidental, où l’origine de la confédération nomade des Bakhtiyāris de langue iranienne doit certainement être cherchée dans le stock sédentaire antérieur de la région. Les semi-nomades kurdes et lurs ont également considérablement allongé, dans cette atmosphère de troubles, des migrations qui les entraînent parfois à hiverner, à l’instar des grands nomades bakhtiyāris, jusque dans le piémont mésopotamien. Enfin, partout, les bédouinisations et l’insécurité ont entraîné la généralisation, dans les plaines, de villages fortifiés quadrangulaires, à tours d’angle et muraille habitable qui contrastent avec les villages-tas inorganiques de l’ancienne civilisation paysanne iranienne.

En face de ce déferlement des nomades, un seul secteur resta indemne dans son ensemble. Les régions humides et boisées de la Caspienne, Māzandarān et Gilān, opposèrent à la pénétration des nomades, dont les chameaux mouraient dans cette atmosphère moite et insalubre, un obstacle insurmontable. Cette frange Caspienne, longtemps fiévreuse et misérable, et très en marge de l’ancienne civilisation iranienne, dont les centres essentiels se situaient sur le plateau, bénéficia dès lors d’une évolution humaine ininterrompue, d’un mouvement continu de défrichement et d’accumulation de la population. Ce caractère de refuge, à partir des invasions médiévales, lui vaudra de voir se constituer la plus forte densité de peuplement de l’Iran contemporain (plus d’un million d’habitants sur 13 000 km2 à l’intérieur du Gilān), avec un type de village en ordre lâche, ou en nébuleuse, passant parfois à la véritable dispersion, qui exprime ce contexte de sécurité relative.

En dehors de cette unique exception régionale à grande échelle subsistèrent de grandes oasis de type urbain (Ispahan, Yezd, Kermān, Chirāz), sauvées par leur masse même, qui interdisait leur destruction d’ensemble et l’anéantissement complet de leurs ouvrages d’irrigation. D’autre part, des cellules de ce genre demeurèrent en assez grand nombre dans de profondes vallées montagneuses, dans des gorges peu accessibles aux nomades, surtout dans l’Elbourz et l’Azerbaïdjan. Dans ce dernier pays, la toponymie, en milieu montagnard, reste en grande partie iranienne malgré la turquisation linguistique, indiquant une continuité dans l’occupation du sol, et l’ancienne tradition agricole iranienne, marquée par l’aménagement en terrasses et des techniques perfectionnées, a pu s’y maintenir, avec une densité appréciable de population en altitude.