Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Iran (suite)

L’évolution du nomadisme

La prépondérance du nomadisme sera néanmoins incontestée pendant plusieurs siècles. Après le chaos légué par les grandes invasions, des germes d’organisation vont peu à peu émerger. Dans un milieu complètement saturé par le nomadisme et où l’excédent démographique constant des nomades n’a d’autre ressource que la fixation, le développement de villages sédentaires pose de délicats problèmes de coordination des parcours et de répartition des pâturages. De grandes confédérations nomades, organisées essentiellement sous l’égide de l’État iranien, eurent la fonction de régler cette coexistence, en permettant les négociations, au niveau le plus haut, entre l’administration et les tribus. Ce furent les Chāh-sevans en Azerbaïdjan, de langue turque, oscillant entre les plaines du bas Araxe en hiver et le Sabalān en été ; les Bakhtiyāris (Iraniens), les Qachqāys (Turcs) et les Khamsehs (mélange d’Arabes, de Turcs et d’Iraniens) dans le Zagros, développés essentiellement aux xvie et xviie s. dans le cadre de l’État séfévide (sauf les Khamsehs, constitués en confédération au xixe s. par des marchands de Chirāz, les Ghavāms, pour équilibrer l’influence des Qachqāys et assurer la circulation des caravanes entre Chirāz et le Golfe). Elles sont encore aujourd’hui les plus grandes organisations nomades de la Planète.

Cette emprise du nomadisme ne trouvera son terme qu’au xxe s. avec l’avènement de la dynastie des Pahlavi. Jusque-là, les chāhs avaient presque toujours appartenu à des tribus turques et favorisaient leurs congénères. Il a fallu attendre Rezā Chāh et la conception toute nouvelle de l’État introduite par la dynastie des Pahlavi, d’origine sédentaire iranienne, pour voir apparaître des tentatives coordonnées de sédentarisation. Une première phase, conduite avec brutalité pendant les années 1930-1940, avec destruction imposée des tentes, fixation obligatoire soit en sardsir, soit en garmsir, sans tenir compte des souhaits des populations, se traduisant par des pertes considérables de cheptel, qui devait renoncer à ses migrations saisonnières, échoua presque totalement, et les tribus reprirent leurs parcours traditionnels après l’abdication de Rezā Chāh en 1941. Une deuxième phase s’est ouverte en 1957. Elle se traduit par des plans de sédentarisation, notamment dans le bas Araxe pour les Chāh-sevans. En fait, il est certain que cette politique devrait rester prudente. Un calcul économique global a montré, en tenant compte de tous les facteurs négatifs et positifs, que le coût d’une fixation immédiate totale des nomades iraniens, dont le nombre doit approcher deux millions, serait un manque à gagner annuel de l’ordre de 10 p. 100 de la valeur de la production agricole. En l’absence d’une base fourragère suffisante pour permettre une vie pastorale stabilisée de type alpestre, le nomadisme montagnard reste le mode d’utilisation du sol le plus complet permettant de tirer profit de toute la gamme des étages du Zagros.


La vie rurale


Les conditions techniques

L’évolution humaine précédemment retracée permet de distinguer deux types fondamentaux d’agriculture. Une agriculture de filiation sédentaire, héritière des traditions des anciens paysans iraniens, obtient des rendements très élevés, qui peuvent atteindre de 30 à 40 quintaux à l’hectare pour les céréales, dans la partie centrale, irriguée et intensément fumée, des terroirs. Les terres de culture pluviale régulièrement fumées de la périphérie peuvent encore fournir 10 quintaux à l’hectare. C’est seulement dans la partie externe, non régulièrement fumée, des terroirs qu’on passe aux rendements de 4 à 5 quintaux à l’hectare, habituels en culture pluviale. En revanche, une agriculture d’ascendance nomade récente, produit de la fixation spontanée, avec des noyaux irrigués très restreints et des pratiques agricoles médiocres, ne dépasse guère les rendements les plus faibles. Ce contraste est renforcé par les structures agraires, qui portent fréquemment dans les vieux terroirs des marques d’organisation communautaire, avec des assolements réglés, qu’on connaît dans les bassins caspiens de l’Elbourz ainsi que dans tout le rebord interne du Zagros.

De toute façon, le train de culture reste très médiocre. Un chariot à roues n’est connu qu’en Azerbaïdjan et dans quelques villages arméniens, et les transports ruraux se font essentiellement par animaux de bât. La culture à la houe domine dans toutes les oasis de l’Iran central et semble dans bien des cas exprimer l’impossibilité de nourrir un gros bétail capable de tirer la charrue. La mécanisation n’est encore apparue que timidement, dans le cadre des grandes propriétés.

C’est en revanche une extraordinaire maîtrise de l’utilisation traditionnelle des eaux qui conditionne tout l’essentiel de la production agricole iranienne. L’irrigation par les eaux des rivières, à partir de barrages de dérivation primitifs, domine dans les régions montagneuses. L’utilisation des eaux en est généralement libre. La répartition est réglementée seulement pour les rivières qui parviennent dans les secteurs arides de la plaine mésopotamienne (rivière de Dizful) ou du plateau (Zāyandè Rud, qui arrose l’oasis d’Ispahan). Les puits apportent un complément appréciable dans la plaine littorale du golfe Persique, dans de nombreux bassins intramontagnards (bordure du lac d’Ourmia, Fārs), ou également à la périphérie de certaines oasis de l’Iran central (Ispahan). Les qanāt enfin sont le mode essentiel d’irrigation. Leur part dans le total des terres irriguées par les moyens traditionnels est estimée à 60 p. 100, contre 35 p. 100 aux rivières et le reste aux puits. Cette technique a connu sur le plateau iranien des développements prodigieux. La longueur de certaines galeries atteint jusqu’à 43 km dans la région de Yezd, et les puits d’amont ont jusqu’à 300 m de profondeur dans la même région. Le débit total des qanāt est évalué à 600 ou 700 m3/s.