Anciens et des Modernes (querelle des) (suite)
La querelle de l’harmonie
Elle paraît prendre forme vers 1709, date d’un Discours de La Motte sur la poésie. Les Modernes, au nom de la raison, proclament la supériorité de la prose sur la poésie, le pouvoir expressif des sons et du nombre étant nié ou déprécié. Long débat qui intéressera particulièrement le théâtre : possibilité d’une tragédie en prose, prééminence de la représentation sur le texte théâtral.
La querelle d’Homère
En 1714, La Motte, qui ignore le grec, publie une Iliade en vers français, réduite de vingt-quatre à douze chants et purgée de la grossièreté des premiers âges. Riposte très polémique de Mme Dacier, savante traductrice d’Homère. Par contraste, la courtoisie que La Motte met dans sa réplique est remarquée.
La querelle néologique
Sous le nom de néologie, les Anciens attaquent dans les années 20 les audaces de style qui perpétuaient chez La Motte, Fontenelle et leurs amis une variété de préciosité ; Marivaux est une de leur cibles, qui ne craint pas d’affirmer que des pensées neuves demandent un langage nouveau.
Intérêt historique de la querelle
On s’accorde à penser que le motif central de la querelle est le type du problème mal posé. L’intérêt historique de la querelle tient d’abord à ce qu’elle dénote la fragilité interne de la doctrine classique. Celle-ci ne pouvait pas concilier longtemps une inspiration rationaliste avec la vénération des Anciens. Ensuite, la querelle fait apercevoir une dualité idéologique profonde, car aux oppositions d’ordre littéraire qui ont fourni leur étiquette aux deux partis, on en voit s’ajouter de différents ordres, qui se superposent aux premières. Intellectuellement, les Anciens s’opposent aux Modernes comme des humanistes à des scientifiques. Sur le plan philosophique, si un certain rationalisme est commun aux deux partis, les Modernes ont en propre la hardiesse avec laquelle ils critiquent l’autorité ; et ils formulent l’idée de progrès en véritables devanciers des philosophes. On remarque aussi que si les Anciens sont des cartésiens, leurs adversaires sont sensibles à l’influence de Malebranche. En religion, coïncidence à peu près sans faille entre l’appartenance ancienne et des penchants jansénistes ou du moins gallicans ; symétriquement, connivence certaine entre Jésuites et Modernes. Du point de vue moral, les Anciens ont le goût du sérieux et se scandalisent volontiers. L’enjouement, la mondanité, l’indulgence, la courtoisie à l’égard de l’adversaire sont des valeurs dont les Modernes sont unanimes à se réclamer. Celles-ci sont bien illustrées par le Mercure galant, mensuel littéraire à l’usage des gens du monde, qui appartient au parti moderne. À l’égard des femmes, l’opposition des deux partis fut aussi significative. Les Modernes furent leurs partisans décidés. Derrière un « art poétique » se profilait une certaine idée de l’homme.
J.-P. K.
A. Adam, Histoire de la littérature française au xviie s. (Domat, 1949-1956 ; 5 vol.). / F. Deloffre, Marivaux et le marivaudage (Les Belles Lettres, 1955). / R. Bray, la Formation de la doctrine classique en France (Nizet, 1956). / P. Clarac, Boileau (Hatier, 1965).