Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indonésie (suite)

Lorsque les représentants du roi des Pays-Bas reparaissent enfin à Java, la situation n’est pas brillante. L’économie coloniale est désorganisée, et les sociétés autochtones sont en effervescence. Plusieurs « rébellions » se succèdent, de 1812 à 1830 : à Palembang, dans les Moluques, en pays Minangkabau (guerre dite « des Padri », nom que se donnait un petit groupe de réformateurs musulmans désireux de transformer la société traditionnelle), et tout particulièrement à Java, où Dipanegara (v. 1785-1855), un prince de Jogjakarta, parvient à tenir les campagnes en émoi pendant cinq années (guerre dite « de Java », 1825-1830). Sans doute, ces insurgés n’avaient-ils guère encore l’impression d’appartenir à une seule « nation » ni de mener une « guerre d’indépendance » contre la Hollande, mais, momentanément, ils embarrassèrent beaucoup le gouvernement de Batavia, inquiet d’avoir à payer pour le maintien de l’« ordre » plus cher que ne lui rapportait la colonie.

Dipanegara prisonnier (1830) et un certain calme ayant été rétabli, on envoya, comme nouveau gouverneur, Johannes Van den Bosch (1830-1833), avec mission de rétablir l’économie. Ce fut lui qui mit en place le célèbre « système des cultures » (cultuurstelsel). Chaque village devait abandonner au gouvernement un cinquième de ses terres, et chaque paysan fournir un cinquième de son temps. Le café, le sucre et l’indigo produits dans ces conditions ne coûtaient guère à l’État, qui les revendait en Europe avec d’énormes bénéfices ; outre le salaire d’un petit nombre de résidents et contrôleurs hollandais, il n’avait à payer que les primes accordées aux régents javanais et les frais du transport par mer. La métropole se trouva d’un coup enrichie, tandis que les Indes néerlandaises, Java surtout, étaient saignées à blanc.

En dépit des abus qu’il provoque (c’est parfois la moitié des terres qui est confisquée) et des critiques qu’il suscite en Hollande même de la part des « libéraux » (dont Eduard Douwes Dekker, alias Multatuli [1820-1887]), le « système » reste en vigueur pendant une quarantaine d’années. Ce n’est que vers 1870 que la notion de monopole d’État commence à être remise en question. Par le canal de Suez, récemment ouvert, arrivent de Hollande des immigrants toujours plus nombreux, qui souhaitent voir le gouvernement favoriser la libre entreprise. Le « système » est démantelé, au profit des plantations privées : de nouvelles cultures sont introduites (hévéa, palmier à huile) et de nouvelles régions sont mises en exploitation (notamment à Sumatra et dans l’arrière-pays de Medan). On s’intéresse aussi aux ressources du sous-sol, à l’étain de Billiton (ou Belitung) [à partir de 1860] et au pétrole de Sumatra (à partir de 1886).

Le gouvernement de Batavia songe alors à mettre en place une administration directe sur la totalité du territoire des Indes néerlandaises, afin de faciliter la mise en valeur de ses ressources. Il s’ensuit une longue série de campagnes militaires, parfois difficiles, pour réduire l’opposition des princes restés autonomes. Les résistances les plus vives sont celles du pays Aceh (la guerre dura de 1873 à 1903) et celle de Bone à Célèbes (troisième et dernière expédition en 1906) ; l’île de Bali ne fut soumise qu’en 1908, de même que Flores.

Parallèlement, le gouvernement adopte une politique dite « de voie morale » (ethische richting) et se propose de créer, sur place, un marché de consommation et un certain bien-être. Pourtant, à part les Européens et les Chinois, rares sont ceux qui participent à ce progrès. La population de Java augmente toujours, et la crise mondiale de 1929-30 secoue violemment l’ensemble de la société. Les mécontents se groupent et forment diverses organisations qui ne prendront que peu à peu la voie de l’opposition ouverte.

Les milieux musulmans, qui, par l’intermédiaire du commerce et du pèlerinage, demeurent en relation avec le reste du monde, jouent dès le début un rôle majeur dans cette prise de conscience. Après la création, en 1911, du Sarekat Islam, c’est en 1912, celle du Muhammadiyah. En 1920 s’organise un parti communiste (Partai Kominis Indonesia, PKI), qui sera démantelé une première fois en 1927 après l’avortement d’une tentative de soulèvement. Son échec facilite le succès du parti national (Partai Nasionalis Indonesia, PNI), qui est créé cette même année 1927 et regroupe une grande partie des mécontents ; son chef, Sukarno (1901-1970), est arrêté puis déporté, mais l’opposition demeure latente.


L’Indonésie

L’arrivée soudaine des forces japonaises (déc. 1941) transforme radicalement la situation et rend possible la naissance de l’Indonésie. Les Indes sont pour trois ans (1942-1945) coupées de leur métropole et rattachées à la grande sphère de « coprospérité asiatique » ; Batavia redevient Jakarta : l’usage du hollandais est proscrit, celui de l’indonésien favorisé. L’état-major japonais arme et entraîne une milice indonésienne (Peta) et met en place un « Centre de pouvoir populaire » (Putera) avec à sa tête Sukarno. Pourtant, les Japonais déportent un grand nombre de romusha (travailleurs forcés), et leurs brutalités leur aliènent la population. Dès que le Japon capitule (14 août 1945), Sukarno proclame l’indépendance (17 août).

Quatre ans et demi s’écoulent avant que l’ancienne métropole reconnaisse cette indépendance. Dès septembre, les troupes alliées (britanniques) débarquent et réoccupent les villes. L’armée néerlandaise (Koninklijk Nederlandsch-Indisch Leger, KNIL) prend bientôt la relève et lance en 1947, puis en 1948, deux « opérations de police » contre les républicains, qui se sont retirés à Jogjakarta ; les éléments communistes, qui cherchent à se réorganiser, sont écrasés à Madiun (1948) par le gouvernement républicain de Mohammad Hatta (né en 1902) ; le PKI est ainsi démantelé une deuxième fois. Finalement, sous la pression de l’O. N. U. et des États-Unis, les Pays-Bas reconnaissent la jeune république. La « révolution physique » est terminée (fin 1949). Le président Sukarno sort grand vainqueur de l’épreuve.