Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indonésie (suite)

À Aceh, le sultan Iskandar Muda (le « nouvel Alexandre ») parvient au cours d’un règne de trente années (1607-1636) à imposer sa loi non seulement sur toute la moitié nord de la grande île de Sumatra (et notamment sur les plantations de poivre de la région de l’actuelle Padang), mais sur une grande partie de la péninsule malaise (Kedah, Perak, Johore [Johor] et Pahang). Il parvient à établir un monopole du poivre, dans toute la région des détroits ; les récoltes sont transportées à Aceh, où les étrangers sont obligés de venir les acheter au prix fixé. Le sultan fait battre une monnaie d’or (qu’il est obligé de dévaluer peu avant 1620) et vit dans un luxe qui fait l’admiration des ambassadeurs étrangers (siamois, portugais, français). Son successeur, Iskandar Thani (le « deuxième Alexandre ») [1636-1641], fait aménager un jardin magnifique à proximité du palais et rédiger une énorme somme historico-philosophique : le Bustan us-Salatin.

Dans l’Est, c’est Macassar (Makasar) qui, durant près d’un demi-siècle, joue un rôle de carrefour international. Après avoir été sollicités par les premiers missionnaires catholiques, les petits souverains de Célèbes-Sud se convertissent peu à peu à l’islām, à partir de 1605. Ceux de Gowa (Goa) et de Tello (deux agglomérations dont le synœcisme formera Macassar) parviennent à imposer aux autres leur double autorité. La prise de Malacca par les Hollandais, en 1641, apporte un nouvel élan au commerce macassarais en faisant refluer vers Célèbes de nombreux marchands portugais (dont le célèbre aventurier Francisco Vieira de Figueiredo), désireux de continuer leurs activités à l’abri du contrôle hollandais. Macassar fait alors figure de centre culturel important ; témoin la bibliothèque du prince Patinggaloang, riche en cartes et en ouvrages rédigés tant en latin qu’en portugais et en espagnol, qui faisait l’admiration des Européens, et pour qui la VOC fit manufacturer en Europe la plus grande sphère armillaire jamais connue (transférée jusqu’à Célèbes, mais malheureusement disparue depuis).

Au centre de Java, enfin, le petit royaume de Mataram grandit au point de devenir la première puissance de l’île. Contemporain d’Iskandar Muda, le sultan Agung (le « Grand Sultan », 1613-1645) cherche à renouer avec la grandeur de Majapahit, tout en puisant dans l’islām les éléments d’une renaissance. Le calendrier musulman est adopté (après adaptation), et l’on construit de grandes mosquées, mais l’essentiel de l’antique cérémonial subsiste et, pour ses sujets, le souverain reste l’« axe du monde ». Plusieurs campagnes militaires victorieuses permettent à Mataram d’étendre sa suzeraineté sur les ports du Pasisir, sur l’est de l’île, sur Madura et sur Bali ; des contacts sont établis avec certains sultanats de Kalimantan et de Sumatra. Pourtant, deux expéditions envoyées contre Batavia (en 1628 et en 1629) ne parviennent pas à déloger les Hollandais.

Ceux-ci, fermement établis à Banda (dans les Moluques), à Batavia, puis à Malacca, font concurrence au commerce musulman et prennent pied dans de nouveaux comptoirs. La seconde moitié du xviie s. les voit s’installer sur la côte occidentale de Sumatra (traité de Painan, 1663), où ils achètent l’or du pays Minangkabau (et essayent de l’exploiter eux-mêmes, sans grand succès), puis à Macassar, qui tombe entre leurs mains en dépit de la belle résistance du sultan Hasanuddin (Ḥasan al-Dīn) [traité de Bongaya, 1668]. À Java même, les successeurs du sultan Agung n’ont ni sa fermeté, ni son prestige ; à partir de 1674, le centre et l’est de l’île sont à feu et à sang (révolte du prince madourais Trunajaya, puis de l’esclave balinais Surapati). La VOC profite de cette situation pour consolider ses positions.

Au xviiie s., Mataram ne parvient pas davantage à triompher de ses difficultés internes ; les guerres dites « de succession » divisent sa noblesse, ce qui permet au gouvernement de Batavia de jouer un rôle d’arbitre et d’imposer sa médiation. Par le traité de Giyanti (1755), Mataram comprend deux principautés : à côté du susuhunan (ou « empereur », avec résidence à Surakarta), il y aura désormais un sultan (avec résidence à Jogjakarta). Les affaires ne vont d’ailleurs pas toujours bien pour la Compagnie non plus ; son autorité est mise à plusieurs reprises en danger : par la révolte des Chinois de Batavia, en 1740, et par le grand soulèvement de Banten, en 1750 ; mais la principale menace vient du changement de la conjoncture mondiale. Les économies européennes sont en train d’évoluer, de sorte que le principe même des compagnies à monopole est remis en question. Certains gouverneurs généraux éclairés, tel Gustaaf Willem Van Imhoff (1743-1750), tentent quelques réformes sans lendemain. Lorsqu’en 1799 le privilège de la Compagnie expire, il n’est pas renouvelé ; l’Europe est en pleine crise, et, lorsqu’elle en sortira, ce sera l’État néerlandais qui assumera directement le contrôle de ses « Indes ».


Les Indes néerlandaises

Quand Louis Bonaparte devient roi de Hollande (1806), il délègue comme gouverneur à Java un Jacobin francophile, Herman Willem Daendels (1808-1811). Celui-ci introduit plusieurs réformes administratives et judiciaires, fait tracer une grande route traversant l’île d’est en ouest et renforce les défenses militaires. Mais la guerre sévit et les Anglais tiennent la mer ; les rapports sont impossibles avec l’Europe et difficiles avec l’île de France (où commande alors le général Charles Decaen) ; les bateaux neutres sont rares à venir jusqu’à Batavia, et les récoltes de café restent sans acheteurs. Lorsqu’en 1810 Napoléon rattache la Hollande à l’Empire, Daendels fait hisser le drapeau français, mais, lorsque les Anglais tentent enfin un débarquement (août 1811). Batavia capitule sans grande résistance, de même que les autres comptoirs hollandais, qu’aucune flotte ne peut soutenir.

Rattachés à l’Empire britannique des Indes, ces comptoirs vont passer pour cinq ans sous l’autorité de sir Thomas Stamford Raffles (1811-1816). Celui-ci introduit le système de la rente foncière et encourage la formation de grands domaines privés. Il s’intéresse personnellement à l’histoire et à la culture de Java et publie en 1817 The History of Java, précieuse somme où l’on trouve notamment les premières statistiques démographiques (Java n’aurait eu alors guère plus de six millions d’habitants). Pourtant, le gouvernement de Londres décide de rétrocéder Java à la Hollande (1814), et Raffles est obligé de céder la place (afin de conserver à l’Angleterre une base navale dans les détroits, il fonde Singapour en 1819).