Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indonésie (suite)

Après la « catastrophe » de 928, c’est le nom du roi Mpu Sindok qui apparaît sur les premiers épigraphes de l’Est. Son petit-fils, Airlanga (ou Erlangga), restaure la grandeur de Java, mais, après sa mort (1049), son royaume se divise en deux principautés. Au xiie s., la dynastie de Kediri parvient à rétablir l’unité ; de cette époque, nous avons conservé plusieurs textes littéraires, mais pratiquement aucun monument (si ce n’est le petit temple de Gurah, dégagé en 1957). En 1222, Kén Angrok instaure une nouvelle dynastie et installe sa capitale à Singasari (actuelle Malang).

L’avènement des Yuan en Chine et la formation de l’empire eurasiatique des Mongols marquent une date importante dans l’histoire de l’archipel. Kūbīlāy khān (1260-1294) envoie une flotte contre Java (1292), et les troubles qui s’ensuivent facilitent l’avènement d’une nouvelle dynastie avec capitale à Majapahit (près de Mojokerto). L’« empire » de Majapahit atteint son apogée au xive s. et plus précisément sous le règne du grand roi Rājasanagara (ou Hayam Wuruk, 1350-1389), dont le souvenir reste inséparable de celui de son ministre, Gajah Mada (1331-1364). Nous connaissons assez bien cette période grâce au Nāgarakĕrtāgama, long panégyrique en vers rédigé à la gloire du roi en 1365.

Autour du souverain, qui comme le souverain kmer d’Angkor est un roi-dieu, axe du monde et centre de l’espace civilisé, se tiennent les princes du sang, la noblesse et les clergés, bouddhistes et hindouistes (qui développent ensemble une idéologie syncrétiste) ; cette aristocratie possède essentiellement des rizières irriguées sur lesquelles travaille la grande masse des paysans, libres ou serfs. À côté de cette société agraire, il y a aussi des marchands, et le Nāgarakĕrtāgama comporte une longue liste de « territoires vassaux » (correspondant à peu près aux îles formant l’actuelle Indonésie) avec lesquels Majapahit devait avoir des relations plus commerciales que politiques.


L’islamisation et la naissance des sultanats

Dès la fin du xive s. cependant, et tout au long du xve s., de profondes transformations sont à l’œuvre. Les religions indiennes déclinent, puis disparaissent, au bénéfice de l’islām. L’âge des « États indianisés » s’achève (il n’en subsistera plus qu’à Bali) ; on ne construit plus de candi, et, lait significatif, les documents épigraphiques font désormais défaut. Les marchands cosmopolites qui, depuis plusieurs siècles déjà, faisaient escale dans les ports de l’archipel, au cours de leurs voyages d’Inde en Chine, s’implantent davantage et introduisent avec l’islām un nouveau genre de vie.

Dans le nord de Sumatra, à Pidir et Pasai, l’islām est présent dès la fin du xiiie s. ; à Malacca (Malaka) [en péninsule malaise], le prince se convertit en 1419, et, durant tout le xve s., la cité sera l’emporium de toute l’Asie du Sud-Est ; vers 1415, les sources chinoises signalent l’existence de communautés de Chinois musulmans dans les villes de la côte nord de Java, et la tombe d’un certain Malik Ibrahim (près de Surabaya) porte bien la date de 1419. La chronologie du xve s. javanais n’est pas claire, mais deux traditions, qui doivent recouvrir des faits exacts, nous parlent d’une part de l’islamisation de l’île par « neuf envoyés » d’Allāh (les « neuf wali », ou wali songo) qui, après un séjour d’étude dans l’Ouest, seraient venus prêcher la nouvelle foi, d’autre part de la chute de Majapahit, qui serait survenue en 1478.

Au cours des premières décennies du xvie s., de nouveaux venus, les Ibériques, transforment sensiblement la conjoncture. À l’ouest, les Portugais d’Albuquerque* s’emparent de Malacca (1511) ; à l’est, les Espagnols arrivent dans les Moluques par le Pacifique (circumnavigation de Magellan*, 1521-22). En cherchant les uns et les autres à se procurer le poivre, la girofle et la muscade, et déléguant les premiers missionnaires catholiques, ils modifient le réseau des échanges et l’équilibre des sociétés.

À l’ouest, les marchands musulmans, chassés de Malacca, ne tardent pas à se retrouver dans les ports voisins du nord de Sumatra : Pasai, puis Aceh. Aceh devient le centre d’un sultanat extrêmement puissant. En 1563, le sultan Ala ud-Din Riayat Syah al-Kahhar (‘Alā’ al-dīn Ri‘āyat Chāh al-Qahhār) [v. 1537-1571] envoie une ambassade à Constantinople pour demander l’appui des Turcs contre les Portugais, et c’est sous son règne que commence entre Malacca et Aceh une guerre inexpiable qui durera près de quatre-vingts ans.

Dans l’Est, si les Portugais et les Espagnols parviennent à établir plusieurs comptoirs dans les Moluques et aux Philippines (Miguel López de Legazpi fonde Manille en 1571), l’islām fait aussi de grands progrès. Des sultanats s’organisent à Bornéo (Brunei et Banjermassin [Banjarmasin]) et dans les Moluques du Nord (Tidore et Ternate). En 1570, le sultan de Ternate, Babullah (Bāb Allāh), résiste victorieusement aux Portugais et regroupe sous son autorité un bon nombre de comptoirs confédérés.

À Java, l’islām, qui a déjà pris pied dans l’Est (région de Surabaya et de Tuban), gagne peu à peu vers l’ouest, le long de la côte nord (ou Pasisir), ouverte aux échanges avec l’extérieur. Des sultanats se créent à Demak (v. 1540), puis à Cirebon et enfin à Banten. Dans la seconde moitié du siècle, la nouvelle religion gagne les plaines rizicoles de l’intérieur, et notamment de Java-Central, qui depuis le xe s. était retombées dans l’obscurité, mais qui ne cesseront plus désormais de jouer un rôle important dans l’histoire indonésienne ; de 1568 à 1586, c’est l’apogée du royaume de Pajang (près de Surakarta), bientôt supplanté par celui de Mataram (près de Jogjakarta).


Les débuts de la Vereenigde Oost-Indische Compagnie

Le début du xviie s. est marqué par un événement d’importance : la création, en 1602, de la Compagnie hollandaise des Indes orientales (Vereenigde Oost-Indische Compagnie, « VOC »), qui pendant deux siècles va être l’instrument des marchands hollandais dans l’archipel. La « fondation », en 1619, de Batavia par Jan Pieterszoon Coen (1587-1629) [sur les ruines de Jakarta, un comptoir musulman préalablement détruit] ne doit pas être interprétée cependant comme le début d’une ère de suprématie batave incontestée. La concurrence reste vive non seulement avec les autres Européens (Portugais, Anglais, Français), mais avec les commerçants asiatiques (Indiens, Malais, Bougis, Chinois), et cette première moitié du xviie s. voit même se dessiner un essor très net des divers sultanats insulindiens, tant dans le domaine économique que culturel.