Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Anatolie (suite)

L’Ourarthou (ixe-vie s.)

Jusqu’au Ier millénaire av. J.-C., l’Anatolie orientale, pays de hautes montagnes et de bassins isolés, était restée très arriérée. Pour résister aux expéditions de pillage que les Assyriens reprennent dans cette région au début du ixe s., les minuscules royaumes de la cuvette du lac de Van, dont la population semble apparentée aux Hourrites, se liguent pour former un État puissant, que les textes locaux appellent Biaïni, Naïri ou Haldi, mais à qui les scribes d’Assyrie donnent le nom géographique d’Ourarthou, car il comprend le massif montagneux qui a gardé de nos jours le nom à peine transformé d’Ararat. Parti du modèle assyrien, ce nouvel État élabore une culture originale, révélée par les fouilles récentes à Altintepe, près d’Erzincan, à Argishtihinili (actuellement Armavir), à Erebouni (actuellement Arin-berd), à Teishébaini (actuellement Karmir-Blour), près d’Erevan, à Kefkalesi et à Toushpa, au voisinage du lac de Van. Des murs d’appareil cyclopéen protègent les villes, dominées par leur citadelle. Les rois y consacrent à leurs divinités (Haldi, seigneur de la Guerre ; Teishéba, dieu de l’Orage ; Shiwini, le Soleil) de petits temples carrés avec une façade à fronton et à colonnes ; au voisinage, un palais, orné de fresques et dont le toit est parfois soutenu par des piliers en pierre ou des colonnes en bois, comporte plus de magasins que de pièces d’apparat.

Sortant de leurs montagnes, les rois d’Ourarthou colonisent les pays arriérés du Nord et de l’Est (fossé de l’Araxe, cuvette du lac Sevan, haute vallée de l’Euphrate) ; partout ils font creuser des canaux d’irrigation, et, là où l’altitude le permet, ils répandent la culture de la vigne et des arbres fruitiers. Leurs sujets mettent en valeur les gisements métalliques et deviennent des spécialistes du bronze, du fer et, à l’imitation des Syriens, de l’or et de l’ivoire.

On a découvert un grand nombre d’inscriptions royales, où les cunéiformes, qui ont supplanté là les « hiéroglyphes » locaux, transcrivent de l’assyrien ou de l’ourarthéen, mais leurs formules stéréotypées renseignent assez mal sur l’histoire événementielle et même sur la suite des différents souverains. On devine cependant les grands traits de l’évolution de la domination des rois d’Ourarthou. Profitant de la crise intérieure qui frappe l’Assyrie entre 828 et 746, ils soumettent au tribut les Mannéens de la région du lac de Rezāye et les Néo-Hittites du Sud-Est anatolien et de la Syrie du Nord. Mais Sardouri, fils d’Argishti, qui s’est proclamé « Roi des rois », est chassé de Syrie (743) par l’Assyrien Téglatphalasar III, qui vient l’assiéger dans Toushpa (735), sa capitale. Son fils, Rousâ, qui tente de reconstituer son empire, voit ses États envahis par les Cimmériens et par Sargon II d’Assyrie, et il se suicide (714). Ses successeurs rétablissent la situation et, ayant renoncé à la domination sur les Mannéens et les Néo-Hittites, ont des rapports corrects avec les Assyriens. Mais les invasions continuent au Proche-Orient, et l’Ourarthou disparaît au début du vie s., détruit sans doute par les Mèdes et par les Scythes. Bientôt après, la prédominance en Anatolie orientale passe à un autre groupe ethnique, celui des Arméniens.

Cependant, l’Ourarthou, qui avait su réaliser une synthèse originale des styles de la Mésopotamie et de la Syrie, a eu le temps d’influencer la production artistique des Scythes, de la Phrygie et de la Grèce archaïque, et de donner une première version de ce qui sera l’apadâna perse (salle au toit soutenu par des rangées de colonnes).


Les royaumes de Phrygie et de Lydie (viiie-vie s.)

Les Phrygiens, qui seraient un peuple de langue indo-européenne venu de Thrace à la fin du xiiie s., se sont concentrés dans le bassin du Sakarya ; dans le reste de l’Anatolie, ils ne constituent qu’une aristocratie guerrière, et c’est ainsi qu’un de leurs rameaux, les Moushki, s’est installé au milieu des Néo-Hittites du Taurus. Après 800, la vie urbaine reprend de l’importance en Anatolie, et les Phrygiens sont réunis en un grand royaume, dont les souverains se seraient appelés en alternance Gordias et Midas. Leur capitale a été retrouvée à Gordion, dont les tombes princières, faites d’une chambre de bois sous tumulus et remplies de riches offrandes, ont révélé l’habileté des bronziers et des ivoiriers locaux. Le style de leurs œuvres et l’emploi à Gordion, dès la fin du viiie s., d’un alphabet assez proche du type grec et vraisemblablement, comme lui, tiré du modèle phénicien indiquent que la civilisation phrygienne doit beaucoup à ce carrefour de la Syrie du Nord, où se rencontrent Ourarthéens, Assyriens, Chypriotes, Phéniciens et Néo-Hittites.

Mais le royaume phrygien est de courte durée : si ses maîtres tiennent tête aux Assyriens dans le Taurus, ils sont submergés par les Cimmériens, qui détruisent Gordion vers 690. La prédominance politique en Anatolie passe alors à la Lydie, sous la domination de laquelle des dynasties phrygiennes locales survivent.

Les Lydiens, qui seraient, comme les Hittites, un amalgame des vieilles populations anatoliennes et des envahisseurs à parler indo-européen du IIe millénaire, occupent essentiellement la région à l’ouest de l’Anatolie, entre le Méandre et le Caicos. Au début du viie s., ils connaissent un brusque essor ; c’est le moment où Gygès (v. 687-652), fondateur d’une nouvelle dynastie, impose sa domination sur la moitié occidentale de l’Anatolie, avant d’être vaincu et tué par les Cimmériens. Ses successeurs, qui finiront par débarrasser la péninsule de ces Barbares, arrêtent la progression des Mèdes sur le fleuve Halys et réussissent à imposer leur protectorat aux villes grecques de l’Asie. Mais le dernier roi lydien, Crésus, est pris et mis à mort par le Perse Cyrus (547). La réputation de richesse de l’infortuné et de son État a été confirmée par les fouilles de Sardes, la capitale ; à proximité, des tumulus géants, comme celui d’Alyattês, père de Crésus, qui mesure 355 m de diamètre, montrent les moyens puissants dont cette monarchie dispose. Mais si la Lydie, riche de ses gisements d’électrum, a peut-être initié les cités helléniques à la frappe de la monnaie, elle est, dans les autres domaines, tributaire de la civilisation grecque, à qui elle doit en particulier son alphabet.