Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indiens (suite)

Les Indiens chasseurs et collecteurs du Sud

Dans tout l’extrême sud du continent américain, les contraintes particulièrement fortes de l’environnement ont profondément influé sur le peuplement et le comportement culturel des groupes humains. À l’ouest, les Andes s’émiettent en milliers d’îles, dont les falaises granitiques tombent à pie dans la mer. Une forêt dense et impénétrable couvre les pentes, fouettées tout au long de l’année par des tempêtes. Une barrière à peu près infranchissable de glaciers sépare ces archipels magellaniques des grandes steppes de Patagonie, à l’herbe courte et sèche, balayées par les vents froids de l’ouest. Vers le nord, plus tempéré, un sol plus riche forme la pampa, couverte d’herbe drue.

Partout, le sol est impropre à l’agriculture ; l’archipel chilien est trop froid, la Patagonie trop aride, le sol de la pampa trop dur. Dans les archipels, le gibier terrestre est inexistant, le poisson peu abondant, les plantes sauvages comestibles très rares (quelques mousses, algues et baies) ; les principales ressources sont donc les coquillages, extrêmement abondants, les mammifères marins (phoque, loutre, baleine) et les oiseaux (oie, canard, cormoran, etc.). Dans les steppes et les pampas, en revanche, le gibier abonde : guanaco, autruche d’Amérique (sauf en Terre de Feu), rongeurs, oiseaux ; les baies et les plantes comestibles sont rares.

De telles conditions écologiques n’ont permis que l’implantation de quelques groupes humains très clairsemés, ayant en commun un mode de vie nomade qui leur permettait d’aller à la recherche de leur nourriture et une organisation sociale en petits groupes autonomes fondés sur la famille. L’obtention de la subsistance conditionnait tous les aspects de la culture. Tous les groupes ignoraient l’agriculture et l’élevage, l’habitat permanent (et, par conséquent, l’architecture), la poterie, le tissage, la métallurgie.


Les groupes culturels et linguistiques

Les archipels du Chili méridional et de l’ouest de la Terre de Feu étaient occupés par des ramasseurs de coquillages nomadisant en canots le long des côtes ; du nord au sud s’échelonnaient les Chonos, de Chiloé au golfe de Penas, les Alakalufs, de ce dernier au canal Cockburn, et les Yamanas (ou Yahgans), de ce canal au cap Horn. Du point de vue linguistique, J. Steward rattache ces populations à la sous-famille andine (famille andine-équatoriale) ; chaque groupe était divisé en plusieurs sous-groupes dialectaux.

Les pampas et les steppes de l’Est étaient le domaine des bandes de chasseurs de guanaco nomades ; les Charruas occupaient les pâturages au nord du río de La Plata ; les Querandis et les Puelches, les pampas herbeuses de La Plata au río Negro ; les Tehuelches, les steppes de Patagonie depuis le río Negro jusqu’au détroit de Magellan. Enfin, les Onas (sous-groupes : Selknams et Haushs) occupaient toute la Terre de Feu, à l’exception de la côte sud. Linguistiquement, ces populations sont réparties par Steward dans deux familles :
1o andine-équatoriale, sous-famille andine (groupes : Selknams, Tehuelches, Puelches, Querandis) ;
2o gé-pano-caribe, sous-famille « macro-pano » (groupe Charruas).

Aux deux formes d’économie pratiquées correspondaient deux types, ou plutôt deux niveaux d’organisation sociale : au niveau le plus simple, Chonos, Alakalufs et Yamanas étaient fragmentés en familles nucléaires autonomes, tandis que les chasseurs des steppes étaient organisés en lignages patrilinéaires de 40 à 100 personnes. Enfin, après l’introduction du cheval au xviiie s., des bandes plus larges se formèrent, composées de plusieurs lignages et pouvant atteindre 500 ou même 1 000 personnes.


Les peuples des canots

Chonos, Alakalufs et Yamanas avaient en commun une complète dépendance vis-à-vis de l’océan, qui leur imposait une grande dispersion le long des rivages des innombrables îles et de la côte sud de la Grande Île ainsi qu’un nomadisme littoral pratiqué en canot.

Physiquement, les Indiens des archipels étaient petits, trapus, extraordinairement résistants au froid.

La productivité très basse du milieu naturel les obligeait à se fractionner en petits groupes familiaux, exogamiques et à résidence patrilocale, qui ne se regroupaient qu’à de rares périodes de l’année, lors de fêtes ou de circonstances exceptionnelles (capture d’un gros gibier). Chaque famille se déplaçait sans itinéraire fixe et dans une aire non limitée, à la recherche des bancs de coquillages ; de ce fait, des heurts avaient parfois heu entre familles arrivées au même endroit. Toute l’alimentation était fondée sur la collecte des coquilles (moules et patelles) et complétée par la chasse des phoques, des loutres et des oiseaux marins, exceptionnellement par la capture des baleines échouées (qui étaient alors partagées entre plusieurs familles). Quant aux Yamanas de Terre de Feu, ils se rendaient parfois à l’intérieur des terres pour chasser le guanaco.

La collecte des coquilles était effectuée par les femmes, depuis le rivage ou le canot ; les hommes chassaient les mammifères et les oiseaux, fabriquaient le canot et les armes ; les enfants ramassaient des oursins ou des coquillages.

L’équipement matériel de ces peuples se limitait à l’indispensable : outre le canot de bois ou d’écorce et les rames, il comprenait des harpons et des épuisettes, des paniers de vannerie, un briquet de silex ou de pyrite, quelques couteaux de coquille et les peaux pour la couverture de l’abri lorsque la famille abordait le rivage. Cet abri, hutte hémisphérique des Alakalufs, tipi conique des Yamanas, ne servait que temporairement entre deux randonnées en canot ; seuls les Yamanas de l’Est, qui chassaient parfois à l’intérieur des terres, avaient des villages fixes de dix à trente huttes. Le costume se limitait à une simple pièce de peau jetée sur les épaules, et les hommes allaient souvent nus, malgré la pluie et le vent constants. Les Alakalufs et les Yamanas se peignaient le corps à l’aide d’un mélange d’huile et d’ocre ; outre ces peintures, on note l’existence de quelques colliers et bracelets de coquilles, de plumes ou de peau.