Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indiens (suite)

Croyances, chamanisme

C’est sans doute au niveau religieux que chaque société marque le mieux sa différence propre. Non que le système des croyances diffère profondément d’un groupe à l’autre ; mais chaque groupe sait imprimer à ce système son caractère spécial, son style particulier. Les différences appartiennent donc plutôt à l’ordre du détail. Il est d’ailleurs normal que la liberté de création se fasse jour surtout sur le plan de la religion, qui, mieux que tout autre, échappe aux déterminations de l’écologie. Cela dit, une évidente parenté relie entre elles les religions de ces sociétés : elles ont un air de famille, il y a un « style chaco ». Il n’est que de comparer la mythologie des différents groupes pour s’en apercevoir (à l’exception, peut-être, des Zamucos, qui offrent des traits assez divergents par rapport aux autres cultures). Très répandue est la croyance en un être qui introduisit dans le monde l’ordre qui le rend habitable aux hommes (par exemple, en instituant la succession régulière du jour et de la nuit). L’apparition de la culture, c’est-à-dire du fait que les gens vivent comme des personnes et non comme des animaux, est également souvent attribuée à des « héros culturels » qui peuvent être soit le Carancho, une espèce de vautour, ou un scarabée, ou encore un chaman très puissant. Les astres (lune, soleil) et certaines constellations sont considérés comme des personnages et sont héros de nombreux mythes. En beaucoup de tribus, l’apparition des Pléiades à l’horizon donne lieu à des fêtes très importantes, liées en même temps à une célébration du miel nouveau : les Pléiades annoncent qu’on peut commencer à le recueillir. Partout, la forêt, le ciel, l’eau sont peuplés d’esprits ou de maîtres des animaux. Partout également sont dangereuses les âmes des morts, qui ne se résignent pas à quitter le monde des vivants et persistent à hanter les villages. Contre cela, et aussi contre les maladies, il faut se protéger : c’est là la fonction du chaman, à la fois médecin et intermédiaire entre le monde humain et le monde surnaturel. Pour être chaman, il faut avoir la vocation, certes, mais il faut aussi s’astreindre, sous la direction d’un maître plus âgé, à un rigoureux apprentissage, qui dure plusieurs années. Les mortifications, le jeûne, la veille, les épreuves physiques mettent le candidat en un état d’exaltation qui facilite sa mise en contact avec le monde des esprits : car un chaman a toujours besoin d’un ou de plusieurs « esprits-assistants » pour l’aider en ses cures. La pratique médicale est liée à la théorie de la maladie — celle-ci provient de l’introduction magique dans le corps du patient d’un objet étranger, qu’il s’agit d’extraire, ou bien elle est provoquée par le départ de l’âme, enlevée par des esprits méchants et qu’il faut alors retrouver afin de la remettre à sa place. Le chaman chante, danse, crache et souffle de la fumée de tabac sur le malade. Le plus souvent, les chamans réussissent à guérir leurs patients ; pour cela, ils reçoivent des honoraires. Mais la profession n’est pas dépourvue de risques : des échecs répétés ou bien des événements inexplicables se produisant dans le groupe porteraient les gens à accuser le chaman soit d’incapacité, soit de sorcellerie. Alors, on le tue, car, si le chaman est nécessaire au groupe comme médecin, il est en même temps très dangereux comme sorcier. (V. magie.)


La guerre

Avec plus ou moins d’intensité, elle est pratiquée par toutes les sociétés du Chaco. On peut parler, pour cette région d’Amérique du Sud, d’un véritable ethos guerrier des tribus, et c’est là sans doute la marque à la fois la plus profonde et la plus perceptible de ces cultures indiennes. Les causes du conflit armé sont de deux ordres. Il y a d’abord les raisons « classiques » : la défense de l’espace tribal, le rapt de femmes, la compétition pour les territoires de chasse et de pêche, et l’hostilité spontanée entre les tribus. Mais on trouve également un second ordre de raisons, plus fondamental peut-être que celui des causes externes. C’est que la guerre était en quelque sorte inscrite dans la structure même de ces sociétés ; elle leur était nécessaire, car l’ordre social ne pouvait se maintenir que par le biais de la guerre. En effet, le modèle idéal que ces sociétés proposaient à leurs jeunes gens, c’était celui du guerrier. Le seul moyen pour un jeune homme de parvenir au faîte de la hiérarchie du prestige, c’était de pouvoir s’affirmer comme guerrier valeureux. Des privilèges divers s’attachaient à la « fonction » de guerrier : titres spéciaux qu’on utilisait pour s’adresser à eux, ornements, sans compter l’admiration qui accueillait leurs exploits. Comment obtenait-on le titre de guerrier ? En tuant un ennemi au combat et en rapportant son scalp (c’est pourquoi tous les hommes, dans le Chaco, portaient très longs leurs cheveux). Les fêtes annuelles du scalp, où l’on célébrait les victoires passées, étaient très importantes dans la vie collective de ces tribus. L’esprit guerrier imprégnait l’idéologie individuelle, mais affectait aussi le fonctionnement de la société globale : les guerriers (tous les hommes ne l’étaient pas) constituaient à l’intérieur de la tribu un groupe autonome qui détenait en fait, autour des chefs de guerre, le pouvoir politique dans la société. Pour maintenir ce pouvoir et ce prestige, il fallait sans cesse renouveler les exploits guerriers. C’était une sorte de fuite en avant dans la guerre. À l’intérieur de la tribu, la solidarité jouait entre les villages, mais il pouvait y avoir alliance entre tribus ; par exemple, les Chulupis et les Makkas guerroyaient ensemble contre les Tobas, alliés des Pilagas. Il va sans dire que, pour être chef, il fallait être un grand guerrier. D’ailleurs, les chefs, en ces sociétés, étaient presque toujours des chefs de guerre, dont l’autorité se renforçait de ce que, fréquemment, ils étaient en même temps chamans. Pour toutes ces tribus, lorsqu’elles n’ont pas été exterminées, la décadence a commencé à partir du moment où, par suite de la conquête et du contact avec les Blancs, la guerre est devenue impossible.

P. C.