Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indiens (suite)

Les habitants

Les tribus se répartissaient en cinq grands groupes linguistiques : guaicuru (Abipons, Mocovis, Toba-Pilagas, Payaguas, Mbayas), mataco (Matacos, Chorotis, Chulupis, Makkas), lulevilela, maskoi (Lenguas, Sanapanas, Angaites), zamuco (Chamacocos, Moros). En outre vivent sur la frange occidentale des Indiens Guaranis, venus de l’est au xvie s., les Chiriguanos et les Guarayos. Si le Chaco est homogène du point de vue géographique, on peut dire aussi qu’il l’est du point de vue culturel. En effet, au-delà des différences linguistiques et des particularités propres à chaque unité, des traits récurrents de tribu à tribu leur imposent un « style » commun et permettent de traiter les cultures du Chaco comme un tout, sous réserve seulement des variations locales.


Les ressources alimentaires

• Les plantes cultivées. Tous les Indiens du Chaco connaissent l’agriculture ; mais, à la différence de la plupart des autres tribus sud-américaines, ils ne la pratiquent pas sur brûlis. Vers la fin de la saison sèche, on nettoie un espace à proximité du village et, lorsque les pluies commencent, on plante ou on sème ; la récolte a lieu quelques mois plus tard. On cultive le manioc, le maïs, les haricots, le tabac, le coton, etc. Tous les travaux agricoles sont accomplis par les hommes, les femmes ne participant qu’à la récolte. Il y a deux instruments de travail, en bois très dur : une sorte de pelle et le « bâton à fouir ». Une part considérable du maïs est utilisée dans la fabrication des boissons fermentées. Les gens du Chaco s’occupent peu de leurs jardins ; c’est que, pour eux, l’agriculture est moins importante que pour leurs voisins guaranis par exemple, et cela tient en partie à l’abondance des produits de collecte.

• Les plantes sauvages. Les apparences hostiles et agressives de la végétation du Chaco dissimulent une richesse surprenante en racines, en tubercules, en baies, en fruits, etc., qui jouent dans l’alimentation quotidienne, et en fonction des époques de maturité de ces plantes, un rôle au moins aussi important que les végétaux cultivés. La collecte est une tâche féminine. On peut, en outre, inscrire le miel parmi les produits de collecte. Il y a dans le Chaco une quinzaine d’espèces d’abeilles, dont les hommes sont très habiles à repérer les ruches. Le miel, récolté dès juin, est consommé surtout sous forme de boisson fermentée. Son importance alimentaire et mythologique est très grande.

• La chasse. C’est une activité importante, parce qu’on peut la pratiquer toute l’année et que le Chaco est relativement giboyeux. On chasse tantôt en groupe (en mettant par exemple le feu à une savane pour tuer tous les animaux chassés par les flammes) ou solitairement (pour chasser l’autruche, en particulier). Les armes sont l’arc et la flèche, plus rarement la lance, sans compter le piégeage. L’approvisionnement en viande est donc régulier, mais la chasse joue un rôle plus ou moins important selon qu’il s’agit de groupes situés à l’intérieur ou de groupes vivant au bord des fleuves : en ce dernier cas, les gens disposent des ressources supplémentaires du poisson.

• La pêche. On la pratique intensivement pendant les trois premiers mois de la saison sèche, quand, par millions, les poissons remontent les fleuves. Au cours de cette période, les Indiens s’en nourrissent essentiellement. On pêche à l’arc dans les eaux basses et dormantes des lagunes, au filet et collectivement dans le lit des fleuves : le rendement de cette dernière technique est spectaculaire.


Organisation sociale et parenté

La population des villages indiens varie considérablement : de 100 à 1 000 personnes, comme chez les Chulupis. Les maisons, qui ne sont souvent que des huttes de branchage, sont disposées en cercle autour d’une place centrale toujours bien entretenue, où ont lieu les fêtes, les danses et les rituels les plus importants (comme l’initiation de la jeune fille). Chaque famille individuelle habite sa propre hutte (propriété des femmes) ; les parents en ligne maternelle ont tendance à construire leur abri au voisinage les uns des autres. Pour un enfant, le parent le plus important est en général l’oncle maternel (relations plus affectueuses qu’avec les autres). Le village est le lieu et le centre de la vie sociale durant toute l’année, sauf pendant les trois ou quatre mois que dure la pêche. À cette époque, les gens le quittent, le groupe se divise en bandes de 50 à 100 personnes constituées de parents, et chacune d’entre elles s’en va au bord du fleuve, sur son « terrain » de pêche habituel. Seuls restent les malades et les vieux. On y revient une fois terminée la saison de la pêche ; le village se reconstitue comme unité socio-politique, et la vie sociale recommence comme activité collective. Mais le semi-nomadisme qui caractérise le temps de la pêche laisse apparaître un trait que partagent la plupart des sociétés du Chaco : une forte tendance à la matrilinéarité. Indiquons simplement qu’un enfant est généralement considéré comme appartenant au lignage des maternels. Dans le Chaco, le modèle le plus courant de système de parenté est du type dit « hawaiien » : frères du père et de la mère d’Ego classés ensemble, sœurs du père et de la mère classées ensemble ; de même, tous les cousins, croisés et parallèles, sont classés ensemble et considérés par Ego comme frères et sœurs. Du point de vue du mariage, cela signifie qu’aucun d’eux n’est épousable. C’est pourquoi, dans le Chaco, on doit le plus souvent choisir son conjoint à l’extérieur du cercle des consanguins. Un homme va toujours habiter chez les parents de sa femme. Pour obtenir leur consentement, il doit prouver qu’il est bon chasseur, pêcheur et chercheur de miel. Dès leur puberté, les jeunes filles disposent d’une grande liberté sexuelle ; elles y renoncent, en principe, dès qu’elles se marient. Tant qu’il n’y a pas d’enfants, l’instabilité du couple est grande ; elle explique en partie la pratique de l’infanticide, générale à travers le Chaco.