Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Centre de longue occupation, important carrefour, Mathurā était le lieu où se côtoyaient bouddhistes, jaina et brahmanistes, et où le culte des génies locaux (yakṣa, nāgarāja ou rois-serpents) semblait solidement implanté. Si, grâce aux Kuṣāṇa, elle reçoit des apports hellénistiques, palmyriens, iraniens, voire Scythes (statues royales : effigie décapitée de Kaniṣka, d’un style rude, avec accoutrement étranger à l’Inde), elle les assimile très vite, adoptant pour ses images du Bouddha un style plus monumental que celui du Gāndhāra, plus indien, mieux en accord avec la tradition iconographique locale (images de yakṣa, puissantes et hiératiques). De la rencontre des traditions locales et des apports gāndhāriens naît un style équilibré, vivant, tout ensemble sensuel et idéaliste, qui contient en germe tout le classicisme gupta. Victime de l’histoire, ruinée au cours des siècles, l’architecture de Mathurā n’est malheureusement connue que par quelques fragments et par de rares édifices figurés en bas relief, mais qui révèlent le même traditionalisme et la même faculté d’adaptation que la sculpture.

L’art des Andhra, continuateurs des Sātavāhana, est représenté par l’école d’Amarāvatī. Dans cette région, où, dès le iie s. av. J.-C., des ateliers (Jaggayyapeṭa) œuvraient dans un style proche de l’art śuṅga, se développe jusqu’au début du ive s. (Nāgārjunakoṇḍa) un art bouddhique original. Fidèle à l’orientation proprement indienne du bouddhisme, attachant traditionnellement un grand prix à la valeur des symboles, il saura, néanmoins, tirer bénéfice d’apports extérieurs transmis par l’intermédiaire de Mathurā ou plus ou moins directement apportés par le commerce romain et alexandrin sur la côte de Coromandel. La diversité des sectes, leur fidélité variable au bouddhisme aniconique se traduisent par le conservatisme, dû aux réticences manifestées à l’adoption de la figuration humaine du Bouddha, de nombre de compositions. Cet art, qui conserve aux thèmes inanimés toute leur valeur ancienne, est aussi celui qui portera la science du bas-relief à son plus haut degré de perfection. Des scènes d’une surprenante densité, volontiers animées, pleines de raffinement et de distinction, sont souvent des chefs-d’œuvre de composition. L’image du Bouddha, au vêtement finement et régulièrement plissé, allie le même idéal à une sobriété d’expression proposée par la doctrine. Influant sur l’iconographie gupta, elle s’est propagée, par la voie maritime, de Ceylan à l’Insulinde. Tous ruinés, les stūpa sont surtout connus par des représentations figurées propres à l’école. Ils sont proches de la tradition ancienne, mais leur construction (Nāgārjunakoṇḍa), les cinq piliers qui ornent leurs plates-formes révèlent des préoccupations symboliques. Les monastères, connus grâce aux fouilles, montrent une évolution parallèle à celle du Gāndhāra, avec, semble-t-il, une tendance plus nette à une différenciation qui pourrait refléter la diversité des sectes (Nāgārjunakoṇḍa, Salihundam...).


L’art classique

On admet que, débutant avec le règne de Chandragupta (ou Candragupta) [320 apr. J.-C], la période classique englobe l’art gupta (ive-ve s.) et l’art dit « post-gupta » (vie s. à env. milieu du viiie), rassemblant des écoles héritières de la tradition gupta, au premier rang desquelles figure celle des Chālukya (ou Cālukya) occidentaux (de Bādāmi). Dans le sud de l’Inde, un style proche et original tout à la fois fleurit aux viie-viiie s. sous les Pallava. L’ensemble de la période est marqué par le déclin du bouddhisme et les rapides progrès de la commande brahmanique, la généralisation du culte des idoles anthropomorphes, l’apparition d’une architecture construite en matériaux durables.

À partir de la période gupta, l’architecture prend la première place. Les modestes sanctuaires appareillés du début du ive s. (Sāñcī n° 17) sont à l’origine d’une lignée de temples dont l’évolution extrêmement rapide conduit aux remarquables compositions du temps des Chālukya (Aihole, Bādāmi, Paṭṭaḍakal). Cet essor s’accompagne d’un renouveau de l’architecture rupestre (Ajaṇṭā*, Aurangābād, Ellorā*...) et, cessant d’être de destination essentiellement bouddhique dès le début du ive s. (Udaigiri, près Bhilsa), connaîtra ses plus brillants développements au service des religions brahmaniques (Ellorā, Elephanta...) et jaina (Ellorā), durant la période post-gupta.

Construit ou excavé, le temple fournit de nouvelles surfaces au ciseau du sculpteur. Piliers, soutiens d’entablements, architraves, encadrements de portes se couvrent de scènes et de décors savamment composés. Apparaissent surtout de grandes compositions en haut relief illustrant la vie du Bouddha, la légende des dieux ou figurant des divinités gardiennes en de vastes panneaux ménagés sur les murs des sanctuaires (Deogarh) ou sur les parois des fondations rupestres (Ajaṇṭā, Ellorā, Elephanta...). La beauté et l’équilibre de ces compositions, la science des formes, des attitudes et, surtout dans les monuments brahmaniques, du mouvement (Ellorā, caves 14 et 15 ; Elephanta) ne doivent pas faire oublier la sereine grandeur des images en ronde bosse (Bouddha des écoles de Mathurā et de Sārnāth). Trop rares, les grandes statues de bronze témoignent des mêmes qualités et de la perfection de la technique (Bouddha de Sulṭāngañj, musée de Birmingham).

L’architecture rupestre a seule préservé la peinture murale. Presque tout ce que nous en connaissons est d’inspiration bouddhique. Les œuvres conservées à Ajaṇṭā paraissent s’échelonner du ve s. environ (vihāra 16 et 17) au début du viie s. (vihāra 1 et 2), qui marque l’apogée du style par l’harmonie des compositions et des gammes colorées. Les peintures de Bāgh, de Bādāmi (cave 3, datée 578, d’inspiration brahmanique) attestent la vitalité des écoles locales. Les œuvres plus tardives (Ellorā) montrent déjà plus de maniérisme.