Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

La période historique débute avec l’âge du fer. Les sites ne sont qu’approximativement datés, mais, dans le Nord, un hiatus de quatre ou cinq siècles semble séparer la culture du Gange de l’apparition du fer, associé à une nouvelle poterie (grise à décor noir), vers 1100-750, dans une région qui correspond au Kurukṣetra de l’Epopée et que rendra bientôt célèbre la carrière du Bouddha... Vers le même temps se développe dans le sud du Deccan une culture caractérisée par sa céramique noir et rouge, et par ses pratiques funéraires : inhumations à deux degrés dans des urnes de grandes dimensions, dans des fosses circulaires ou des tombes à cistes relevant d’une culture mégalithique (Brahmagiri), qui connaîtra d’importants et tardifs développements dans l’extrême Sud (Kerala).


Formation de l’art indien

Les fouilles n’ont révélé que de rares vestiges des cités qui s’élevaient au temps du Bouddha et du Jina : enceintes fortifiées, en brique crue, de Kauśambī ; fondations d’édifices et muraille cyclopéenne de Rājagriha... Vers le même temps, des contacts établis avec l’Iran achéménide semblent introduire des influences qui se concrétiseront quelque deux siècles plus tard, sous les Maurya. On peut remarquer que, de même, la campagne d’Alexandre* (327-325) n’aura que des effets indirects et plus longtemps encore différés.

Il ne reste que fort peu de chose de l’enceinte et du palais de Pāṭaliputra (auj. Paṭnā), capitale des Maurya, dont le Grec Mégasthènes a vanté la magnificence et où le bois semble avoir joué un rôle prépondérant dans la construction. L’art n’apparaît véritablement qu’avec le règne d’Aśoka* (273-236), dont la conversion au bouddhisme et la volonté de faire figure de monarque universel sont sans doute les premiers responsables du nombre et de la dispersion de ses fondations : stūpa élevés en tous lieux, mais dont rien n’est aujourd’hui connu, parce qu’ils sont ruinés ou masqués par les agrandissements successifs ; piliers monolithes portant les édits de l’empereur et sommés d’un chapiteau campaniforme (inspiration achéménide) surmonté d’un abaque portant un animal en ronde bosse d’un style puissant. Parmi ces piliers, celui qui fut élevé à Sārnāth, sur le lieu de la première prédication du Bouddha, avec ses quatre protomés de lions adossés supportant primitivement la roue (ici symbole de la loi bouddhique), est une œuvre aussi remarquable par la beauté de son exécution que par la grandeur du symbolisme. Au même règne doivent être attribuées des caves creusées au bénéfice de la secte des Ājīvika dans les collines de Barābar (Bihār) et dont les parois ont été polies avec le même soin que les sculptures... Quelques statues (yakṣīṇī de Dīdārgañj, musée de Paṭnā), quelques têtes, des chapiteaux ou fragments de chapiteaux (grès), des statuettes modelées, des tablettes circulaires sont aussi attribués à la période maurya, qui prend fin vers 187 av. J.-C.

Sous les dynasties Śuṅga, puis Kāṇva, qui se succèdent au Magadha, sous les Sātavāhana, qui s’imposent dans l’ouest du Deccan, l’architecture marque de notables progrès et offre un champ nouveau aux sculpteurs : vastes stūpa dont la balustrade (vedikā) et surtout les porches (toraṇa) vont se couvrir de scènes illustrant les vies du Bouddha, de figures de génies protecteurs, de symboles de bon augure (motifs végétaux, joyaux). Le style un peu gauche, mais vigoureux et expressif de Bhārhut s’affine dans les compositions plus savantes de Sāñcī (stūpa no 1), exécutées entre le milieu du ier s. av. J.-C. et la fin du ier s. apr. J.-C., sous les Sātavāhana. Au Mahārāshtra, sous le même patronage, l’architecture rupestre connaît, pour le bouddhisme, un rapide et brillant essor. Directement inspirés de constructions à l’air libre, en matériaux légers, deux types d’édifices excavés sont créés : le caitya (ou chaitya), sanctuaire de plan absidial, dont le plafond imite une voûte en berceau sur cerces, et le vihāra, monastère constitué d’une salle quadrangulaire, sur laquelle s’ouvrent les cellules des religieux, et précédé d’un portique. Si quelques caves paraissent un peu antérieures aux Sātavāhana (Bhājā, Kondāne...), on doit à ceux-ci les fondations les plus évoluées et au décor le plus riche de Bedsā, de Nasik, de Kānheri (caves les plus anciennes), les ensembles de Junnar et de Mānmoda, et surtout le vaste caitya de Kārli, réussite la plus parfaite de cette période. Les caves 9 et 10 d’Ajaṇṭā conservent les restes de peintures remarquables, traitées dans le même esprit que les reliefs de Sāñcī, dont elles semblent être sensiblement contemporaines. En Orissa, les caves jaina d’Udayagiri-Khaṇḍagiri, près de Bhubaneswar, creusées vers le même moment que l’ensemble du Deccan occidental, doivent sans doute à leur destination d’être conçues dans un esprit très différent.


Formation de l’art classique

Des débuts de l’ère chrétienne à l’avènement des Gupta (320 apr. J.-C.), l’Inde connaît, du point de vue artistique, le changement qui conditionnera son évolution ultérieure.

L’adoption de la figuration humaine pour le Bouddha, les Tīrthaṅkara et les divinités brahmaniques n’ouvre pas seulement à la sculpture des perspectives nouvelles : imposant la création d’une architecture destinée à abriter les idoles, elle donnera naissance au temple indien. C’est sous deux dynasties contemporaines que s’opèrent l’élaboration et la propagation de la tendance : les Kuṣāṇa, dans l’Inde du Nord, avec les deux grands foyers artistiques du Gāndhāra et de Mathurā ; les Andhra, dans le Deccan, avec les centres de la basse Kistnā (région d’Amarāvatī).

C’est sans doute au Gāndhāra* que prend naissance, à la faveur d’un courant d’échanges avec Mathurā, facilité par l’autorité des Kuṣāṇa, l’iconographie nouvelle. Née d’un compromis entre le bouddhisme et la pensée indienne, d’une part, et l’esthétique d’un monde imprégné de traditions hellénistiques, d’autre part, elle aboutit à la création d’une sculpture réaliste, moins symbolique que celle qui l’avait précédée, mais riche de toutes les possibilités offertes par l’accès à un domaine jusqu’alors prohibé. La création d’un type « apollonien » du Bouddha et d’une abondante imagerie ne saurait représenter l’unique apport de l’école. Sous l’impulsion d’importantes et actives communautés — et sans évoquer ici le rôle éminent qu’elle a joué dans la propagation du bouddhisme et de l’iconographie nouvelle —, elle est aussi responsable d’importants progrès dans l’architecture monastique comme de l’évolution du stūpa vers des types accordant à la sculpture une place plus importante que par le passé.