Inde (suite)
Allant plus loin, le gouvernement a établi des listes de scheduled castes et de tribes ; les anciens intouchables et les groupes tribaux jouissent d’une protection spéciale : places réservées dans l’Administration, bourses particulières pour l’enseignement secondaire et supérieur, etc. Louable dans son principe, cette protection est une arme à double tranchant. Ne perpétue-t-elle pas dans une certaine mesure l’ancienne infériorité de ceux qu’elle veut protéger ?
Le problème est fondamental si l’on admet que le pourcentage d’ex-intouchables varie, selon les estimations, entre 14 et 20 p. 100 de la population indienne. Mais surtout la question est de savoir si, dans la réalité quotidienne, ces prescriptions constitutionnelles sont respectées. Il est difficile d’empêcher les Indiens de se classer eux-mêmes en un certain nombre de groupes hiérarchiques. À cet égard, il faut distinguer entre villes et campagnes. Dans les villes, l’industrialisation, la crise du logement, les transports en commun sont autant de facteurs atténuant les distinctions de castes. Dans les campagnes, il n’en est rien. On assiste au contraire à un phénomène important : des castes (jāti) de niveau moyen ou inférieur qui se mettent à modifier leur genre de vie dans le sens d’une plus grande rigueur pour se faire, à la longue, reconnaître des autres jāti un statut hiérarchique supérieur. C’est ce que le sociologue indien Srinivas appelle la sanskritisation. Jean-Luc Chambard, dans un village de l’Inde centrale, a constaté le même processus : une des castes dominantes se mettant à observer des interdits alimentaires, par exemple, plus rigoureux que ceux des brahmanes pour réaliser une véritable ascension sociale du groupe.
Quant à l’intouchabilité, il est évidemment bien difficile d’en faire rapidement disparaître toutes les traces. Le combat lancé sur une grande échelle par Gāndhī n’a pas encore abouti. Il ne se passe pas d’année sans que les autorités ne soient saisies du cas d’un ex-intouchable victime de sévices, parce que, précisément, il avait voulu, comme le prescrit la Constitution, s’affranchir des interdits qui pesaient sur lui.
Toutefois, comme le remarquait un député au Parlement de New Delhi, il y a maintenant un fait nouveau : de nos jours, de tels actes scandalisent et provoquent une interpellation à la Chambre, alors qu’il y a cinquante ans ils auraient été considérés comme normaux.
Il n’en reste pas moins que la solution de ce problème ne sera ni aisée ni rapide. Depuis des siècles, dans un pays soumis à de nombreuses dominations étrangères, l’hindou a bien souvent trouvé sa véritable patrie au sein de sa jāti. De plus, certaines castes ou certains groupes (jaina, pārsī, mārwārī) se sont remarquablement adaptés à l’évolution économique pour en arriver à accaparer, en dehors du secteur public, une bonne part des moyens de production et d’échanges.
C’est donc sur le double plan d’une meilleure répartition des richesses et de l’atténuation d’une stratification sociale trop rigide que se pose le problème des castes, qui, à lui seul, est un véritable concentré de l’histoire sociale et de l’histoire tout court de l’Inde.
Au-delà des vicissitudes politiques, inévitables dans un pays ayant choisi la voie de la démocratie parlementaire, de la solution apportée à cette question, avec toutes les implications économiques et sociales qu’elle suppose, dépend finalement le véritable avenir de l’Inde. Il ne faut pas, toutefois, se cacher que la voie est étroite entre les réformes économiques et sociales qui s’imposent et la marge de manœuvre d’un gouvernement qui doit promouvoir le progrès humain sans, pour autant, heurter le front des traditions séculaires.
J. K.
➙ Afghānistān / Alexandre le Grand / Aśoka / Assam / Bengale / Cachemire / Dupleix (J. F.) / Empire britannique / Empire colonial français / Empire colonial portugais / Gāndhāra / Gāndhī (M. K.) / Gāndhī (I.) / Huns / Indus / Moghols (Grands) / Nehru (J.) / Pākistān.
P. Masson-Oursel, H. de Willman-Grabowska et P. Stern, l’Inde antique et la civilisation indienne (la Renaissance du livre, 1933). / R. C. Majumdar, H. C. Raychaudhri et K. Datta, An Advanced History of India (Londres, 1946 ; nouv, éd., 1961). / R. C. Majumdar et coll., The History and Culture of Indian People (Bombay, 1951 et suiv., 10 vol. ; nouv. éd., 1963, 11 vol.). / P. Meile et coll., Histoire de l’Inde (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1951 ; nouv. éd., 1965). / A. L. Basham, The Wonder that was India (Londres, 1954 ; 3e éd., 1968). / D. D. Kosambi, An Introduction to the Study of Indian History (Bombay, 1956) ; The Culture and Civilization of Ancient India (Londres, 1965 ; trad. fr. Culture et civilisation de l’Inde ancienne, Maspéro, 1970). / K. M. Pannikar, Histoire de l’Inde (Fayard, 1958). / S. S. Harrison, India : the Most Dangerous Decades (Princeton, 1960). / P. Spear, India, a Modern History (Détroit, 1960) ; India, Pakistan and the West (Oxford, 1961 ; 4e éd., 1967). / N. Brown, The United States of India and Pakistan (Cambridge, Mass., 1963). / J. Dupuis, Histoire de l’Inde (Payot, 1963). / R. C. Majumdar, History of the Freedom Movement in India (Calcutta, 1963 ; 3 vol.). / F. Doré, la République indienne (L. G. D. J., 1970). / Les Provinces et les ethnies de l’Inde (la Documentation française, Notes et études documentaires, 1970, 3 fasc). / Les Partis politiques indiens (la Documentation française, Notes et études documentaires, 1970-1972, 2 fasc.). / P. Gavi, le Triangle indien. De Bandoeng au Bangladesh (Éd. du Seuil, 1972).
Jalons chronologiques
3000-2000 av. J.-C.Civilisation de l’Indus : sites de Mohenjo-Daro et d’Harappā mis au jour en 1921 par John Marshall et R. D. Banerjī.
2000-1500Irruption des Indo-Aryens au Pendjab, d’où, jusqu’au vie s. av. J.-C., ils vont se répandre dans l’ensemble de la plaine indo-gangétique et dans le sud du pays, reculant de plus en plus les limites de l’Inde dravidienne.
vie-ve s.Vie et mort (mahāparinirvāṇa) du Bouddha Śākyamuni. Vie et mort de Mahāvīra, fondateur du jinisme.
518Le souverain perse Darios envahit une partie de la vallée de l’Indus, qu’il transforme en satrapie.
327-325Expédition d’Alexandre de Macédoine jusqu’à l’Indus.
v. 320Fondation de la dynastie des Maurya par Candragupta (ou Chandragupta), dont la capitale était Pāṭaliputra (auj. Paṭnā).
v. 273 - v. 236Règne d’Aśoka : l’un des rares moments où la majeure partie du sous-continent indien soit soumise à un seul pouvoir politique.
185Fin de la dynastie des Maurya, dont le dernier descendant est assassiné par le commandant en chef de l’armée, Puṣyamitra, qui fonde la dynastie des Śuṅga.
73 av. J.-C - 25 av. J.-C.Dynastie Kāṇva.
iie s. apr. J.-C.Règne du plus grand des Kuṣāṇa (Kushans), Kaniṣka (Kanishka), dont les dates posent un épineux problème de chronologie.
iiie s.Période assez obscure pour l’histoire de la péninsule.
v. 320Avènement de la dynastie des Gupta au Magadha, avec Candragupta Ier (ou Chandragupta Ier).
v. 335 - v. 375Règne de son fils Samudragupta, que ses conquêtes font parfois surnommer le « Napoléon hindou ».
v. 375-414Règne de Candragupta II (ou Chandragupta II), dont l’empire comprend la quasi-totalité de l’Inde septentrionale, le Gujerat, mais pas le Deccan (au contraire des Maurya).
414-455Règne de Kumāragupta, qui doit lutter au nord-ouest contre des invasions de Huns Hephthalites.
455-v. 467Règne de Skandagupta, qui arrête d’une façon décisive l’invasion des Huns en 455 (en Occident, la bataille des champs Catalauniques a lieu en 451).
465La pression des Huns augmente. Ceux-ci établissent leur contrôle sur la majeure partie de l’Indus, et ce jusque vers 550.
606-647Règne d’Harṣa (ou Harsha). Véritable âge d’or politique, économique, social et culturel. La mort d’Harṣa ouvrira une ère d’anarchie politique et de subdivision du pouvoir.
711-712Invasion du Sind par les Arabes de Muḥammad ibn al-Qāsim.
735Installation des Parsis en Inde.
xe s.Un grand nombre de dynasties se partagent le pouvoir en Inde :
— Gurjara Pratīhāra dans une bonne partie de la plaine du Gange ;
— Pāla au Bengale ;
— Rāṣṭrakūta dans la partie occidentale du Deccan ;
— Cera (ou Chera), Pāṇḍya et Cola (ou Chola) dans le sud.
Première conquête musulmane en Inde, celle de Mahmūd de Rhazna.
1192Défaite du dernier roi hindou d’Ajmer et de Delhi, Prithvī Rāj, devant les armées de Muḥammad de Ghor (Muḥammad de Rhūr), qui devient rapidement le maître de la moitié septentrionale de l’Inde.
Qutb al-Dīn Aybak lui succède.
1206-1526Période dite « du sultanat de Delhi ».
1211-1236Règne d’Īltutmich.
1290-1320Dynastie des Khaldjī :
— Djalāl al-Dīn (1290-1296) ;
— ‘Alā’ al-Dīn (1296-1316).
Dynastie des Turhluq.
fin xve s. - début xvie s.Dynastie des Lōdī à Delhi ; apogée du royaume hindou de Vijayanagar (au sud de la Kistnā).
1498Vasco de Gama ouvre la route des Indes.
1510Les Portugais s’emparent de Goa.
1526Fondation de l’Empire moghol par Ẓahīr al-dīn Muḥammad Bābur (1483-1530).
1556-1605Règne d’Akbar.
1565Bataille de Talikot (Talikota), qui entraîne la chute du royaume de Vijayanagar.
1600Fondation de l’East India Company, qui obtint en 1613 un firman de Djahāngīr l’autorisant à établir une factorerie à Surat, suivi de comptoirs à Masulipatam, à Madras (1639), à Bombay (1668), à Calcutta (1690).
1627-1680Vie du chef marathe Śivājī Bhonsle, qui fonde l’Empire marathe en 1674.
1742Dupleix devient gouverneur de Pondichéry.
1757L’Anglais Clive remporte la décisive bataille de Plassey contre le nabāb du Bengale.
1761Bataille de Pānīpat entre les Marathes et les Moghols, qui marque le début du déclin de la puissance marathe.
1763Traité de Paris, excluant les Français de l’Inde.
1778-1782Révolte du souverain musulman Ḥaydar ‘Alī, allié des Français.
1799Mort de Tīpū Sāhib, fils d’Ḥaydar ‘Alī, et début de la véritable conquête de l’Inde par Wellesley.
1819Chute de l’Empire marathe, dont les territoires sont annexés par la Compagnie des Indes orientales.
1828Fondation du Brahmo Samāj par Rām Mohan Roy.
1831Déposition par la Compagnie du rājā du Mysore (Maisūr).
1835Rapport de Macaulay sur la nécessité d’occidentaliser l’éducation.
1839Mort de Ranjīt Singh.
1839-1842Première guerre afghane.
1845-1846Première guerre sikh.
1848-1849Seconde guerre sikh.
1848-1856Lord Dalhousie gouverneur général.
1853Renouvellement du privilège de la Compagnie. Débuts en Inde du chemin de fer et du télégraphe.
1856Annexion de l’Aoudh.
1857Création des universités de Calcutta, de Bombay et de Madras. En mai, débuts de la révolte des cipayes, ou grande mutinerie.
1858Fin de la mutinerie. Transfert de l’Inde britannique à la Couronne.
1859-1869Percement du canal de Suez.
1860Troubles sociaux dus à des difficultés économiques dans le Nord-Ouest et le Bengale.
1861Naissance de Rabindranāth Tagore.
1867Famine de l’Orissa.
1869Naissance de M. K. Gāndhī.
1874Famine au Bihār.
1875Fondation de l’Āryā Samāj par Dayānanda Sarasvatī.
1877Famine quasi générale. La reine Victoria est proclamée impératrice des Indes.
1878-1880Seconde guerre afghane.
1885Fondation par A. O. Hume du Congrès national indien.
1905Défaite des Russes devant les Japonais. Partition du Bengale.
1906Fondation de la Ligue musulmane.
1905-1907B. G. Tilak lance un mouvement de boycott.
1907Scission entre les deux tendances du Congrès : les modérés de Gokhale et les extrémistes de Tilak.
1909Réformes Morley-Minto.
1911Suppression de la partition du Bengale.
Delhi remplace Calcutta comme capitale des Indes britanniques.
1915Retour de Gāndhī en Inde. Conflit communaliste à Ceylan.
1916Fondation de la Home Rule League par B. G. Tilak et A. Besant. Réconciliation politique en Inde, où modérés et extrémistes du Congrès s’allient à la Ligue musulmane (Lucknow pact) pour demander l’autonomie de l’Inde.
1919Réformes Montagu-Chelmsford. Massacre de Jaliyānvālabāgh à Amritsar le 13 avril.
1920Mort de Tilak.
Gāndhī, avec l’appui des musulmans, lance le mouvement de non-coopération.
1922Suspension par Gāndhī de la non-coopération après les incidents de Chauri Chaura.
1927À Madras, le Congrès demande l’indépendance complète de l’Inde.
1929-1930Procès de Mirat (Meerut) contre des syndicalistes et des communistes indiens.
1930Gāndhī lance un mouvement de désobéissance civile.
1931Pacte Irwin-Gāndhī, mettant fin à la désobéissance civile.
1931-1932À Londres, deuxième et troisième conférence de la Table ronde.
1932Gāndhī réactive la désobéissance civile.
1933Fondation officielle du parti communiste indien.
1935Government of India Act, Constitution permettant aux Indiens de devenir des ministres provinciaux. Création de l’All-India Kisan Sabhā (organisation paysanne indienne). Création à Ceylan du LSSP (Lankā Sama Samāja Party) [orientation à gauche].
1937Autonomie provinciale en Inde et victoire électorale du Congrès.
1939S. C. Bose fait sécession au Congrès et fonde le Forward Bloc. L’Inde est déclarée en état de guerre par le vice-roi. Démission des ministres congressistes.
1940Relance de la non-coopération. Exigence pour la Ligue musulmane d’un Pākistān séparé de l’Inde.
1942En mars-avril, échec de la mission Cripps. En juillet-août, mouvement Quit India ; dure répression britannique.
1942-1943S. C. Bose crée un comité dissident de l’Azād Hind (l’Inde libre) et l’Indian National Army, pro-japonaise.
Terrible famine au Bengale (de 2 à 3,5 millions de morts).
1945Échec du plan Wawell, visant à réconcilier le Congrès et la Ligue musulmane.
1946Création d’un gouvernement provisoire indien sous la présidence de Jawaharlāl Nehru.
1947Le 15 août, indépendance du sous-continent indien. Partition entre un Pākistān musulman et une Union indienne. Invasion du Cachemire par des tribus venues du Pākistān.
1948Le 30 janvier, assassinat du Mahātmā Gāndhī. Annexion par l’Inde de l’État du niẓām d’Hyderābād.
1949En janvier, cessez-le-feu et partage du Cachemire.
1950Entrée en vigueur de la Constitution.
1952Aux élections législatives, le parti du Congrès obtient la majorité absolue.
1953Création de l’Andhra Pradesh, premier État à base linguistique (ici, le telugu).
1955Visite de Khrouchtchev et de Boulganine en Inde. Conférence de Bandung, où Nehru joue un rôle essentiel.
1957Le Congrès conserve la majorité aux élections législatives. Au Kerala, création d’un gouvernement à majorité communiste.
1959Chute du gouvernement communiste au Kerala, qui est placé sous l’autorité de New Delhi en vertu du President’s Rule.
1962Le Congrès conserve la majorité. Conflit sino-indien aux frontières de l’Assam.
1964Scission du parti communiste indien. Le 27 mai, mort de J. Nehru. Le 9 juin, le chef du groupe parlementaire du Congrès, Lal Bahādur Shastri, est nommé Premier ministre.
1965En août et en septembre, violents combats indo-pakistanais à propos du Cachemire.
1966Du 4 au 9 janvier, conférence de Tachkent, sous la présidence de A. Kossyguine, entre M. Ayyūb khān et L. B. Shastri. Mort de L. B. Shastri. Mme Indira Gāndhī (fille de Nehru) est nommée Premier ministre.
1967Le Congrès conserve la majorité, mais celle-ci s’effrite de plus en plus.
1969