Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

inca (Empire) (suite)

De la naissance à la mort

Dès sa naissance, l’individu se trouvait pris dans cette énorme machine administrative qui allait régler son existence jusqu’à la mort. La population était divisée en dix catégories, fondées sur l’âge et l’aptitude au travail. Tout jeune, l’enfant aidait ses parents aux travaux des champs, gardait le troupeau familial — quelques lamas et alpacas — ou les cochons d’Inde, qui pullulaient dans la maison. À vingt-cinq ans, l’Indien était marié, en même temps que tous les jeunes gens de son âge, par un fonctionnaire venu de la capitale à cet effet. Devenu un purej, adulte et chef de famille, il pouvait avoir sa propre maison, le plus souvent simple pièce de torchis ou de pierres sèches couverte de chaume, sans meubles, où l’on couchait sur le sol enroulé dans une couverture. Il cultivait son tupu, faisant pousser le mais, la quinoa et surtout, sur les hautes terres, la pomme de terre ; dans les basses régions, plus chaudes, croissaient les courges, les piments, les haricots, le manioc, le coton. Ces biens circulaient à travers tout l’Empire grâce au troc entre paysans des montagnes et paysans des vallées inférieures, mais grâce surtout au système du tribut, car l’économie inca ignorait la monnaie. Au prix d’efforts immenses, les Indiens gagnaient des terres cultivables en aménageant les pentes en terrasses, qui escaladaient le flanc des montagnes jusqu’à la limite des neiges.

La femme participait aux travaux des champs et tissait les étoffes pour la famille ou celles qui étaient destinées à l’État, au titre du tribut ; elle accompagnait parfois son mari à la guerre, portant les provisions et préparant les aliments. Aux vieillards étaient confiées quelques tâches ménagères faciles.

Ainsi se déroulait l’existence de la famille, rude et sans fantaisie. Rares étaient ceux qui parvenaient à sortir de leur condition de paysans pour accéder à une classe privilégiée. Les artisans — architectes, tailleurs de pierre, métallurgistes, potiers — formaient une classe à part. Ils étaient souvent enlevés à leur ayllu pour être attachés au service exclusif de l’Inca, tout en jouissant de certains privilèges.

Parvenu au terme de sa vie, l’Indien était enterré par sa famille, entouré de ses instruments de travail, de quelques talismans et d’offrandes alimentaires. Mais, après la mort, le « double » continuait de réclamer attentions et offrandes ; aussi chaque année apportait-on aux mallquis, sépultures des ancêtres, de la nourriture et divers objets afin d’en maintenir l’intégrité, garante de celle de leur double.


Les bâtisseurs

Les Incas sont célèbres à juste titre pour leur architecture et leurs réalisations dans le domaine des travaux publics : routes, ponts, aqueducs et terrasses de culture, ou andenes. Les plus beaux spécimens de l’architecture inca, ceux où l’on peut le mieux admirer le célèbre appareillage de pierres étroitement encastrées sans mortier, se trouvent à Cuzco, la capitale du Tahuantinsuyu, et dans ses environs.

À l’origine simple groupement de chaumières, Cuzco devint sous le règne de Pachucútec une cité aux vastes places bordées d’édifices imposants, réservés au souverain, à la noblesse et aux prêtres. De la place principale, Huacaipata, partaient les quatre routes dallées qui reliaient Cuzco aux quatre provinces du Tahuantinsuyu, tandis que, du haut de ses trois murailles en dents de scie, la forteresse de Sacsahuamán dominait la ville de ses blocs cyclopéens, assemblés par des hommes qui ignoraient la roue et ne possédaient que des outils de pierre et de bronze.

Dispersés dans la vallée du Cuzco et jusqu’aux limites de la forêt amazonienne, des édifices religieux ou des forteresses, tels que Kencco, Pucará, Ollantaytambo, Machu Picchu, préservaient l’accès de la capitale contre toute incursion ennemie. Les voyageurs approchant de la capitale s’écriaient : « Je te salue, grande cité de Cuzco », et ils saluaient ceux qui en sortaient, car ils venaient de la Ville des dieux.

Contrastant avec les réalisations architecturales, les arts de la poterie et des textiles n’atteignent pas la perfection des œuvres des civilisations précédentes ; technique et facture sont bonnes, mais un décor et des formes stéréotypées reflètent une production en série.


La fin d’un monde

Le 16 novembre 1532, l’Inca Atahualpa fut capturé par Francisco Pizarro. Son armée, taillée en pièces, était en fuite. En une journée, le plus grand État de l’Amérique précolombienne avait définitivement cessé d’exister. Après une brève captivité, Atahualpa fut étranglé secrètement dans sa prison sur l’ordre de Pizarro, premier sacrifice que le Pérou offrait à la culture de l’Occident. L’époque coloniale commençait, qui allait voir la mise en coupe réglée du pays, la chute brutale du chiffre de la population, les abus de toutes sortes, tant civils que dus aux moines évangélisateurs. Exploités et opprimés, les Indiens ne restèrent cependant pas toujours apathiques. En 1536, Manco Cápac II, souverain fantoche placé sur le trône par les Espagnols, se révolta, s’enfuit et réussit à lever une armée. Repoussé devant Cuzco, qu’il avait assiégé, il se réfugia dans les Andes et mena durant des années une guerre d’escarmouches. Son fils, puis son frère Túpac Amaru continuèrent la résistance jusqu’à ce que l’implacable vice-roi Francisco de Toledo (1569-1581) vînt à bout de ces premiers « guerrilleros ».

Deux siècles plus tard, le nom de Túpac Amaru servira de cri de ralliement aux insurgés au cours de la dernière et la plus sanglante révolte qu’aient connue les Espagnols.

D. L.

➙ Amérique précolombienne.

 I. Garcilaso de la Vega, Comentarios reales (Cordoue, 1609-1616, 2 vol. ; trad. fr. Commentaires royaux, Club des libraires de France, 1959). / L. Baudin, les Incas du Pérou (Génin, 1947) ; la Vie quotidienne au temps des derniers Incas (Hachette, 1955). / J. H. Rowe, « Inca Culture at the Time of the Spanish Conquest », dans Handbook of South American Indians, sous la dir. de J. H. Steward, t. II : Andean Civilizations (New York, 1957). / A. Métraux, les Incas (Éd. du Seuil, coll. « Microcosme », 1962). / B. Flornoy, l’Aventure inca (Perrin, 1963 ; nouv. éd., 1972).