Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

inca (Empire) (suite)

Pour unifier les différents peuples qui composaient leur empire, les Incas disposaient de différents moyens. L’un des principaux était le mitmaj : un groupe de population — parfois une tribu entière — était transféré de son pays d’origine dans une région éloignée ; soit qu’il vînt d’une région déjà pacifiée, auquel cas il constituait un élément pacificateur au sein de la région où il était transplanté, soit, au contraire, qu’il s’agît d’un groupe rebelle déporté dans une zone déjà incaïsée, le mitmaj était, de toute façon, un facteur d’amalgame et de cohésion dans cet Empire fait d’une mosaïque de cultures. Autre facteur d’unification, la langue — runa-simi —, qui fut appelée quechua après la conquête et qui était imposée à toutes les populations conquises, remplaçant les dialectes locaux, considérés comme inférieurs. Le runa-simi était enseigné par des fonctionnaires envoyés dans les différentes régions. En outre, les fils des nobles provinciaux étaient envoyés à Cuzco afin d’y assimiler la culture inca et d’y apprendre la langue officielle.

La religion fut également un élément important de la politique inca. Le culte de Viracocha, dieu suprême et créateur de toutes choses, était obligatoire dans tout l’Empire, où il supplanta celui des divinités locales. Celui d’Inti, le Soleil, père de l’Inca et divinité la plus populaire, le suivait en importance, avec ceux de Killa la Lune, d’Illapa l’Eclair, de Choqa Chinchay Orion et des autres astres divinisés.

À l’unification de l’Empire contribua enfin la construction d’un réseau de chemins qui quadrillait le territoire, permettant la communication entre la capitale et les provinces. Larges de 5 m parfois, escaladant les montagnes en ligne droite grâce à des escaliers, franchissant les rivières sur des ponts suspendus, les « chemins de l’Inca » étaient sans cesse parcourus par les chasquis, courriers officiels, et jalonnés d’une série d’édifices, les tampus, à la fois relais, lieux de repos et dépôts d’aliments ou de vêtements pour les armées en campagne.

On aurait tort de croire, cependant, que l’Empire inca constituait une unité sociale et politique parfaite. Il était formé de tribus diverses, liées entre elles par un certain nombre d’obligations et de traits communs, mais gardant chacune son individualité et sa culture propre.


La société et l’État


La caste dirigeante

Le souverain du Tahuantinsuyu, appelé Inca ou Sapa Inca, exerçait une autorité absolue de droit divin, car il était considéré comme le descendant direct du Soleil. Ses sujets ne l’approchaient que les yeux baissés, portant une charge sur la tête en signe d’humilité. Face à cette adoration, l’Inca ne montrait qu’indifférence et supériorité : la tête ceinte du bandeau royal — le llauto, orné de la masca-paicha —, il affectait de ne pas regarder son interlocuteur et s’adressait à lui par des intermédiaires. Lorsqu’il se déplaçait, c’était dans une litière incrustée d’or et d’argent, précédée d’une importante escorte armée. L’épouse de l’Inca, la Coya, devait être sa sœur, et de leur union naissait l’héritier du trône. Les descendants en lignée mâle formaient la panaca, le lignage impérial, chargé de perpétuer la mémoire de l’Inca et de garder sa momie.

Dans la rigide société inca se distinguaient diverses classes privilégiées, qui constituaient la noblesse. Outre les panacas, celle-ci comprenait tous les parents de l’Inca habitant Cuzco — seules ces deux catégories avaient droit au port d’énormes pendants d’oreilles, ce qui leur valut de la part des Espagnols le surnom d’Orejones — puis les nobles de la contrée, les chefs de province et enfin ceux qui s’étaient distingués d’une façon ou d’une autre et auxquels l’Inca avait conféré le privilège de la noblesse.

À ces classes nobles s’ajoutait celle des prêtres. Depuis le grand-prêtre du Soleil, Huillac-Humu, jusqu’aux plus humbles officiants des petites communautés rurales, tous les prêtres étaient, comme les nobles, exemptés de tribut et entretenus par le peuple.


L’organisation économique et sociale

Le pouvoir de l’Inca sur ses sujets était absolu ; ses décisions et sa volonté ne pouvaient être discutées. Depuis le pisco-camayoc, qui commandait à dix familles, jusqu’au suyuyoc, chef d’une des quatre provinces de l’Empire, toute une hiérarchie de fonctionnaires aboutissait à l’Inca, aidé de son conseil suprême. Cette organisation strictement fonctionnelle, avant tout destinée à assurer le recouvrement correct des tributs de toute sorte et l’équitable distribution des biens, supposait la connaissance à tout moment du chiffre des populations et de leurs ressources. Comptabilité écrasante à la charge des quipu-camayoc, qui dressaient recensements et inventaires à l’aide des quipu, faisceaux de cordelettes nouées de différentes couleurs, tandis que d’autres fonctionnaires organisaient et surveillaient les tâches communautaires, distribuaient les produits de consommation ou levaient les tributs.

Le système économique des Incas reposait sur une répartition tripartite des terres. Sitôt conquise, une province était divisée en trois parts : la première pour le Soleil, cultivée pour les besoins du culte et l’entretien du clergé ; la deuxième pour l’Inca, exploitée à son profit et servant aussi de réserve en cas de calamité publique ; la troisième, enfin, répartie annuellement entre les familles qui constituaient une communauté, ou ayllu (groupe de familles unies par des liens de parenté réels ou mythiques et se reconnaissant un ancêtre commun). Chaque famille recevait un tupu, parcelle dont la superficie dépendait à la fois des qualités de la terre et de l’importance numérique de la famille. Le paysan indien devait aussi participer à la culture des parcelles de l’Inca et du clergé. Enfin, il était régulièrement requis pour participer aux tâches d’intérêt commun : construction d’édifices civils ou religieux, de chemins, de ponts, transport de marchandises ou service militaire.