Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Ince (Thomas Harper)

Metteur en scène et producteur de cinéma américain (Newport 1882 - en mer près de Los Angeles 1924).


Acteur de théâtre, puis de cinéma (il joue à partir de 1906 de petits rôles chez Edison et à la Biograph), Thomas Harper Ince est engagé en 1910 par Carl Laemmle pour le groupe IMP (Independent Motion Pictures), où il est chargé de diriger les films de Mary Pickford et de Lucile Young. Son premier essai, Little Neil’s Tobacco, date des premiers jours de l’année 1911. Mais, en septembre de la même année, Ince passe dans les rangs de la Bison Life Motion Pictures d’Adam Kessel et Charles Baumann. Il propose aussitôt à ses commanditaires d’aller s’installer en Californie, dans le cañon de Santa Ynez, où il fait édifier des studios, s’assure de la collaboration d’une troupe d’Indiens et de cow-boys appartenant à un cirque, le Ranch 101, et commence à tourner de nombreux films (en décors naturels), s’inspirant des pionniers du Far West. C’est le début de la production Bison 101, qui lance sur le marché d’innombrables westerns. En septembre 1912, Ince, infatigable organisateur, constitue la Kay Bee (subdivisée en Kay Bee Broncho et Kay Bee Domino). Il réalise lui-même des films, comme le Déserteur (The Deserter, 1913), le Désastre (The Battle of Gettysburg, 1913), la Colère des dieux (The Wrath of Gods, 1914), l’Honneur japonais (The Typhoon, 1914), et supervise de très près les œuvres d’autres metteurs en scène formés par lui, comme Reginald Barker, Jack Conway, Francis Ford, J. G. Hawks, Scott Sidney. C’est à cette époque que se précise la renommée de William S. Hart, le premier grand cow-boy de l’écran (avec Tom Mix). À partir de 1915, alors que se forme la Triangle, Ince prend la direction artistique de la Triangle-Kay Bee, tout en assurant des fonctions de producteur à la Ince-Triangle. Il signe des films importants, comme Châtiment (The Despoiler, 1915), Un lâche (The Coward, 1915) et surtout Civilisation (Civilization, 1916). Ce n’est qu’en 1917 qu’il abandonne la mise en scène pour se consacrer à son rôle de superviseur-producteur. Le règne de la vedette (le star-system instauré par Adolph Zukor) l’emporte alors sur celui des créateurs. Ince élève sur le pavois W. S. Hart, Charles Ray, Enid Bennett. En 1920, il fonde l’éphémère Associated Producers Renting Corp. avec Mack Sennett, Maurice Tourneur, Allan Dwan et George Loane Tucker sur le modèle des Artistes associés (Fairbanks, Pickford, Chaplin, Griffith). Il serait mort à la suite d’un accident survenu lors d’une croisière sur un yacht appartenant au magnat de la presse W. R. Hearst. On fit courir le bruit que ce dernier, jaloux de la vedette Marion Davies, l’aurait abattu d’un coup de revolver en le prenant pour Charlie Chaplin.

Ince reste dans l’histoire du cinéma comme l’un des très grands pionniers du septième art. Avec le concours du scénariste Gardner Sullivan, il a mis au point la technique du découpage cinématographique. Faisant exécuter les découpages par des « directors » travaillant sous ses ordres, il en supervisait ensuite étroitement le montage.

« Si Griffith fut le premier poète d’un art dont il avait créé la syntaxe élémentaire, on peut dire qu’Ince fut, lui, son premier dramaturge » (Jean Mitry).

J.-L. P.

inconscient

La notion d’inconscient désigne les contenus absents à un moment donné du champ de la conscience, mais, depuis S. Freud, elle a pris une importance toute particulière et se trouve au centre de la théorie psychanalytique.



Le premier « schibboleth » de la psychanalyse

On a souvent fait remarquer que l’idée d’inconscient n’avait pas été découverte par Freud* : rien n’est plus vrai, si l’on entend par inconscient l’ensemble des phénomènes qui ne relèvent pas de la conscience. La plupart des textes philosophiques situent le sujet autonome face à une présence obscure, hétéronome, inconnue. Mais, d’une part, cette présence de l’obscurité inconsciente n’aliène pas le sujet dans son fond, et, d’autre part, l’inconscient n’est rien qu’un défaut : sa définition est privative. Sous des formes variées, dans des contextes historiquement et idéologiquement différents, les philosophes assignent à l’inconscient la place de l’exclusion : ils ne s’en occupent pas. Marquons quelques repères dans l’histoire de ce qu’on peut appeler, dans notre culture, l’inconscient privatif.

L’entreprise philosophique de Descartes* est comme le symbole de la résistance à l’inconscient. La démarche qui donne au sujet pensant son fondement procède à une série d’exclusions qui vont du lointain au proche, du plus loin de la pensée à son voisinage le plus immédiat, ou considéré comme tel ; les marches de cette progression passent par la folie, immédiatement éloignée, la plus lointaine, puis par les songes, d’abord fantastiques, puis familiers, plus proches, enfin par la fiction d’un malin génie qui est le double mauvais et conscient de la pensée. L’inconscient est exclu dès le commencement du doute. La garantie de la conscience se trouve en elle-même, dans sa propre affirmation : « Enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : « Je suis, j’existe », est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois dans mon esprit. » (2e Méditation métaphysique). Dieu garantit, au-delà de l’instant, la durée du cogito ; l’inconscient est de l’autre côté de la pensée.

La place de l’inconscient privatif est souvent synonyme de la discontinuité, et c’est bien cela que refuse radicalement la démarche cartésienne, qui s’assure contre toute rupture par la possibilité d’un cogito permanent ; avec Leibniz*, la continuité se fait totale, plaçant l’inconscient à la suite du conscient, pressentiment ou souvenir, imperceptible mais réel. Le principe de continuité, qui forme avec le principe des indiscernables (deux choses sont toujours discernables, et l’identique n’existe pas) la base de l’architecture du système de Leibniz, postule un passage sans rupture entre des états qui vont du plus profond sommeil à l’extase de la conscience à son plus haut développement : la mort comme rupture n’est pas pensable et, comme tous les états d’inconscience, elle n’est qu’une apparence. On peut s’éveiller de ce très profond sommeil pour accéder à l’éveil le plus grand : « La divisibilité du continu à l’infini fait que toujours demeurent, dans l’insondable profondeur des choses, des éléments qui sommeillent, qu’il faut encore réveiller, développer, améliorer » (De la production de l’origine des choses).