Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

impôt (suite)

Incidences économiques de l’impôt

L’impôt est un prélèvement pécuniaire obligatoire, définitif (contrairement à l’emprunt, même forcé, puisque ce dernier donne lieu à remboursement des sommes perçues), opéré d’autorité par l’État en vertu de son pouvoir de contrainte, sans contrepartie immédiate (encore que le contribuable bénéficie d’avantages procurés par l’État ou de transferts substantiels, mais sans équivalence directe entre ce qu’il verse à l’État et ce qu’il en retire), pratiqué sur les ressources des personnes physiques et morales pour couvrir les dépenses d’intérêt général de l’État et des collectivités publiques.

Dans la conception classique, l’objet de l’impôt devait consister à couvrir les dépenses publiques, celles qui sont engendrées par le fonctionnement des services publics jugés indispensables et que ne pouvait pas assurer l’initiative privée. Dans cette perspective, la fiscalité devait être neutre, c’est-à-dire que les conditions de la concurrence ne devaient pas en être modifiées et que, par ailleurs, les situations de fortune des contribuables et la répartition des revenus entre eux devaient rester, après paiement de l’impôt, identiques en valeur relative, ou encore les rapports entre les revenus et les fortunes des divers contribuables demeurer inchangés. Il s’agit là d’une neutralité « sociale » de l’impôt. Certes, cette neutralité ne signifiait pas que l’impôt ne modifie pas nécessairement le jeu de l’offre et de la demande des produits, et, par conséquent, les prix, la production, la consommation et la répartition des richesses. Mais ces effets n’étaient pas pris en compte par la théorie classique, car considérés comme secondaires, compte tenu du volume réduit du prélèvement fiscal.

À l’époque contemporaine, cette conception a été abandonnée, car on estime de plus en plus normal d’utiliser l’impôt non seulement pour financer les charges publiques, mais en outre pour provoquer ou accélérer une évolution jugée désirable. On voit donc dans l’impôt la contrepartie des dépenses destinées à satisfaire des besoins collectifs jugés nécessaires par les pouvoirs publics et déterminés en fonction de certains impératifs de fonctionnement des sociétés contemporaines. L’impôt est donc devenu un mode de financement de certains besoins sociaux, ceux pour lesquels le financement par les prix ne peut jouer. Plus précisément, l’impôt participe au financement de certains services fournis par l’État parce que ceux-ci sont indivisibles, ne peuvent pas être attribués de manière précise à un consommateur déterminé à l’avance, et parce que le principe d’exclusion ne peut pas s’appliquer à leur égard (leur utilisation par un consommateur n’empêche pas leur utilisation par d’autres consommateurs) : si l’on considère que la justice rendue par les magistrats ou la Défense nationale sont des services collectifs, il est bien évident que la plus ou moins grande utilisation de ces services n’exclut pas leur utilisation par d’autres. Le volume et la consommation d’un tel bien, qualifié de public, ne peuvent pas être déterminés par le mécanisme des prix ou du marché.

Dans cette analyse, l’impôt en vient à être considéré comme l’élément fondamental d’une théorie générale, qui est celle de l’intervention de l’État. C’est en raison de leur nature particulière (par exemple l’indivisibilité) que certains besoins ne peuvent pas être satisfaits par le marché, et qu’ainsi l’État est amené à intervenir, ce qui l’oblige à se servir de l’impôt comme moyen de financement.


Les fonctions dérivées de l’impôt

Dès lors, l’impôt s’est vu assigner d’autres fonctions que celles de financement des services et des besoins publics. L’impôt peut ainsi servir de moyen de lutte contre l’inflation (action sur la consommation privée des particuliers), contre les récessions (par les dégrèvements ou allégements fiscaux propres à ranimer cette même consommation) ; il peut être utilisé à contribuer au maintien ou à la transformation de certaines structures économiques ou sociales (protection, pour des raisons sociales, de l’artisanat ou du petit commerce de détail ; système d’encouragements fiscaux à des industries exportatrices) ou à favoriser l’expansion ou la croissance économique, l’État étant désireux d’en accélérer le rythme et d’écarter tous les obstacles qui pourraient s’opposer à l’expansion. Dans ce dernier cas, les mesures prises consistent surtout en dégrèvements apportés aux charges fiscales supportées par les entreprises (régime d’amortissement dégressif, exonérations diverses). L’État a également fait appel à l’impôt, sous le couvert de subventions ou de détaxations, pour mettre en œuvre une politique d’aménagement régional.


Les réactions devant l’impôt

Cette utilisation de l’impôt à des fins de politique économique et sociale a abouti à un aménagement complexe des systèmes fiscaux. Mais ce n’est pas seulement la politique économique et sociale qui a été à l’origine de cet aménagement : la fiscalité a été également aménagée par les pouvoirs publics pour tenir compte des effets de l’impôt sur l’activité économique, ou, plus exactement, des modifications qu’il suscite dans le comportement des agents économiques (entrepreneurs, consommateurs ou travailleurs).

En effet, les contribuables ne restent pas sans réaction devant le prélèvement fiscal. Ainsi, dans le domaine des prix et de la production, on a pu dénoncer, avant 1953, les inconvénients provoqués par le système de taxes sur le chiffre d’affaires. Du point de vue économique, la taxe à la production et la taxe sur les transactions présentaient le défaut de frapper lourdement les biens d’équipement achetés par les entreprises. Pour l’assiette des taxes, les firmes ne pouvaient pas déduire des impôts calculés sur leurs ventes ceux qui avaient été payés sur les biens d’équipement employés par elles. La valeur de la production imposée comprenait pourtant une part de la valeur des biens d’équipement. Ces derniers étaient donc imposés pratiquement deux fois, un investissement neuf, susceptible d’accroître la productivité du travail, pouvait ne pas être financièrement rentable et le progrès économique s’en trouver freiné. De même, la législation des taxes sur le chiffre d’affaires comportait de nombreuses inégalités d’imposition qui favorisaient certaines formes de production et certains circuits économiques par rapport à d’autres. L’existence d’impôts perçus en cascade avantageait, par exemple, les entreprises intégrées, car elles étaient incitées à satisfaire elles-mêmes tous leurs besoins, ce qui ne favorisait guère une recherche de la productivité. La taxe sur les prestations de services et la taxe sur les transactions, acquittée par les entreprises de transports, ne pouvaient pas, avant les réformes, être déduites par les entreprises qui s’adressaient à elles. En effectuant eux-mêmes leurs transports, les industriels évitaient de supporter ces taxes, et, poussés par la législation fiscale à posséder un parc de véhicules de transport et un personnel spécialisé, ne pouvaient pas toujours l’utiliser à plein rendement. Une telle inégalité d’imposition gênait ainsi le développement de la productivité et empêchait la rationalisation des entreprises.