Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

impérialisme (suite)

Selon les auteurs, tel ou tel point de la théorie se trouve plus ou moins valorisé. Rudolf Hilferding insiste surtout sur la concentration des capitaux et le remplacement du capital industriel par le capital financier, c’est-à-dire la victoire des banquiers sur les entrepreneurs. Rosa Luxemburg montre que le capitalisme ne peut grandir sans dégager, à la fin de chaque exercice, un surplus qui doit être exporté parce qu’il ne peut pas trouver preneur sur le marché intérieur. Trotski insiste longuement sur la contradiction entre les forces de production, dont le niveau suppose une extension planétaire, et les rapports de production, étriqués dans leur cadre national : cette contradiction ne peut susciter que les crises et le sous-emploi systématique des capacités productives de la société.


Le thème de l’impérialisme à l’épreuve de la nouvelle situation internationale

Le monde issu de la Seconde Guerre mondiale a rendu indispensable d’introduire des modifications substantielles dans ce schéma général. Le système diplomatico-stratégique qui en est issu, organisé pendant plus de vingt ans en fonction de deux pôles antagonistes, a rendu improbable un conflit entre les pays constituant le « camp impérialiste » ; or, si l’on ne peut plus prédire des guerres inévitables entre les États-Unis, l’Allemagne, l’Angleterre, la France, un élément essentiel de la théorie s’effondre. L’après-guerre a connu une dissolution rapide des empires coloniaux, somme toute aux moindres frais. En dehors de quelques exceptions (comme l’Algérie), liées à des conjonctures particulières, les métropoles n’ont pas engagé à défendre leurs possessions l’énergie que l’on eût attendu d’elles s’il s’était agi d’une question de vie ou de mort. Bien plus, l’Occident a connu deux décennies de croissance économique accélérée et continue, hormis quelques récessions passagères et superficielles. Enfin, il était pour le moins paradoxal d’accorder un brevet d’anti-impérialisme au premier pays socialiste, l’U. R. S. S. qui, au lendemain du conflit, élargissait sa sphère d’influence.

Il reste bien difficile d’interpréter le système international à l’aide du schéma antérieur ; il ne peut rendre compte de sa structure bipolaire et, depuis un certain temps, pluripolaire avec l’accession de la Chine, demain, peut-être, du Japon et de l’Europe au rang de parties prenantes indépendantes au jeu international.

Ces circonstances nouvelles ont entraîné non pas l’abandon de la théorie, mais son aménagement selon des modalités diverses. Les uns s’attachent au seul élément traditionnel qui tienne encore, à savoir la concentration du capitalisme. Il est de fait que les capitaux nécessaires à l’édification d’une entreprise n’ont cessé de croître, ainsi que le marché nécessaire pour rentabiliser la production. D’où l’apparition d’entreprises géantes, qui essaiment des filiales à travers le monde. On parle de monopoles ou de capitalisme monopoliste. Dans un deuxième temps, on montre que ces monopoles, pour défendre leurs intérêts, investissent les pouvoirs publics et s’entendent avec les autorités militaires : ils finissent par dominer entièrement les rouages de l’État et par dicter leur volonté. Autrement dit, cette version de la théorie contemporaine de l’impérialisme tente d’expliquer la politique du monde occidental, celle notamment des États-Unis, par les intérêts des capitalistes. Elle culmine dans la dénonciation véhémente du « complexe militaro-industriel », c’est-à-dire de la liaison intime entre les visées militaires et les intérêts de l’industrie des armements, auprès de qui les gouvernants viendraient prendre leurs ordres.

Une autre version met l’accent sur la situation des pays non industriels. Il reste vrai, selon elle, que le système capitaliste a vitalement besoin d’exploiter le reste du monde. Il en a besoin surtout pour s’alimenter en matières premières et en sources d’énergie (pétrole). Il en tire un avantage supplémentaire, en raison des taux de profit particulièrement élevés que lui procure le bas prix de la main-d’œuvre employée dans les succursales. Enfin, les efforts d’équipement des pays pauvres requièrent des importations de biens d’équipement et des prêts : de chaque opération, les capitalistes retirent des bénéfices substantiels. Tous ces avantages, tirés de ce qui constitue un véritable « pillage du tiers monde », permettent aux capitalistes de masquer à leurs travailleurs l’exploitation dont ils sont victimes et d’entretenir une prospérité artificielle. En un mot, la richesse des uns est faite de la pauvreté des autres. La solution réside dans un sursaut des exploités, qui doivent s’emparer du pouvoir, reconquérir la maîtrise de leurs ressources naturelles et chasser les capitalistes étrangers de toutes les positions qu’ils occupent dans le pays. Par l’accumulation des victoires dans un nombre croissant de pays pauvres, non seulement le spectre de la misère s’éloignera, mais l’impérialisme sera progressivement acculé à la défensive, les contradictions du système ne pourront plus être masquées, et la révolution sera de nouveau à l’ordre du jour en Occident.

Une dernière version n’est qu’une exacerbation et une simplification de la précédente. Elle a été exprimée dans sa forme extrême par le maréchal Lin Biao (Lin* Piao) dans un discours de décembre 1965. La révolution chinoise a montré que, par l’adoption d’une direction éclairée et d’une stratégie patiente, les campagnes peuvent l’emporter sur les villes. La mobilisation des paysans chinois a permis d’occuper en taches d’huile les campagnes chinoises, d’isoler les villes et, finalement, de battre les armées du Guomindang (Kouo-min-tang). En étendant ce schéma à la planète, on dira que les pays impérialistes (où il faut compter l’U. R. S. S., qui, selon cette version chinoise, a rompu avec la révolution et le socialisme, et compose avec les pays capitalistes) sont les villes et que les pays pauvres sont les campagnes. Il suffira donc d’éveiller, de mobiliser et d’organiser les pauvres pour que, à l’horizon, les villes soient isolées, paralysées et vaincues. Che Guevara*, peu avant sa mort, préconisait la même stratégie, en voulant faire se multiplier les Viêtnam à travers le monde, pour engluer l’impérialisme dans des guerres sans issue el l’amener à capituler.