Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

hébraïque (musique) (suite)

La Bible, le Talmud, divers textes rabbiniques (notamment les Responsa) contiennent une abondante somme d’informations sur la vie musicale dans les diverses communautés. Des manifestations musicales sont attestées par les écrits bibliques dès avant la royauté (xie s. av. J.-C.). Les instruments en usage sont cités : la haṣoṣerah (trompette), le tôf (tambour), le ḥalîl (chalumeau), le kinnôr (lyre), le chofār (corne de bélier ou de bouc, etc. La partie musicale du culte au Temple était à la charge de certaines familles descendant de la tribu de Lévi, qui formaient une véritable caste de musiciens professionnels. À l’époque du roi David, on compte 4 000 lévites sachant chanter et jouer d’instruments. Au retour de l’exil de Babylone, sous Esdras (ve s. av. J.-C.), il y a 328 musiciens. C’est à cette époque que sont instituées la synagogue et la lecture publique de la Bible.

Après la prise de Jérusalem par Titus, après la destruction du second Temple (70 apr. J.-C.), la synagogue devient le centre de la vie cultuelle et communautaire. Les instruments de musique — à l’exception du chofar — sont exclus de la synagogue. La raison généralement invoquée est le deuil consécutif à la destruction du Temple. Mais il semble qu’il y ait eu aussi volonté de ne pas distraire l’attention des fidèles de l’essentiel, c’est-à-dire du texte. Déjà le Talmud n’admettait qu’une musique au service du culte. Cette attitude sera aussi celle des autorités post-talmudiques au Moyen Âge et au-delà. Ainsi, Maïmonide (1135-1204) écrit dans un Responsum : « Interdiction de toute pratique musicale, sauf pour la prière, [où la musique] aide et éveille l’âme à la joie et à la tristesse. »

Le chant synagogal est-il en filiation directe avec celui du Temple ? On ne saurait l’affirmer. Quoi qu’il en soit, le Talmud déjà fait état d’usages locaux divergents, ce qui semble contredire une telle hypothèse. À la synagogue, la fonction de l’officiant est assumée par les différents membres de la communauté, et ce n’est qu’après l’achèvement du Talmud (vers 500) qu’apparaît l’emploi du ḥazzān (chantre professionnel).

La lecture chantée de la Bible (cantilation) est attestée dès l’époque talmudique. L’enseignement en est tout d’abord assuré par des signes chironimiques, méthode qui précède les systèmes de notation et qui survit jusqu’à nos jours dans quelques rares communautés, notamment à Rome.

Après l’achèvement du Talmud, on assiste, entre le vie et le ixe s., à l’élaboration des systèmes de notation des te‘amîm, signes qui donnent une expression graphique à la cantilation et qui assument simultanément une fonction grammaticale et musicale. Ces signes, dont le rôle est essentiellement mnémotechnique, n’indiquent ni les intervalles ni les modes, mais des formules mélodiques dont le contour dépend du choix du mode. L’interprétation sera donc très différente selon les divers rites, et même dans le cadre d’une même tradition, selon le texte lu (Pentateuque ou Prophètes, etc.).

La cantilation biblique nous est connue par les diverses traditions orales. Mais un document, découvert en 1965, permet pour la première fois de corroborer les données fournies par l’ethnomusicologie. Il s’agit de la plus ancienne notation d’une cantilation biblique (5 versets de la Bible), de la main d’Abdias, un prosélyte normand du xiie s. Cette même cantilation, qui appartient au répertoire des plus anciennes cantilations synagogales, s’est maintenue jusqu’à nos jours dans la tradition orale de plusieurs communautés juives (en Syrie, à Djerba et en Italie notamment).

Au Moyen Âge, malgré l’attitude le plus souvent négative des autorités rabbiniques, on assiste néanmoins à un développement de la pratique musicale. Selon les communautés et les époques, une interprétation plus ou moins stricte sera donnée aux notions de musique « religieuse » et « profane ». Le recours à la musique est fréquent à l’occasion des fêtes et réjouissances liées à une prescription religieuse : circoncision, noces, etc.

Le chant synagogal évolue grâce à l’éclosion de la poésie religieuse, le piyyout, et à l’institution du chantre, le ḥazzān. Le piyyout se développera surtout au Moyen Âge au contact de la culture arabe, notamment en Espagne, puis au xvie s. dans le centre cabalistique de Safed. Ce genre est introduit à la synagogue, et les mélodies utilisées sont empruntées soit au répertoire traditionnel juif, soit à celui de l’environnement (arabe, espagnol, provençal, italien, allemand). Cette floraison de piyyoutîm ainsi que le déclin de la connaissance de la langue hébraïque dans de nombreuses communautés sont parmi les causes de l’apparition du ḥazzān, chantre attaché à la synagogue, pour l’art duquel on constate un engouement de plus en plus marqué.

Ce n’est qu’à partir de la fin du xvie s. que l’on note l’apparition, dans certaines communautés, d’une pratique musicale chorale ou instrumentale dans le cadre de la vie religieuse juive. Cette musique synagogale savante, influencée par la culture occidentale, apparaît surtout en Italie du Nord, où elle est sans doute une conséquence de l’institution du ghetto. Les musiciens professionnels juifs, dont l’activité se déployait en milieu chrétien, se sont vus empêchés d’exercer leur art à l’extérieur de la communauté et se sont donc tournés vers la synagogue. Salomone Rossi (v. 1570 - v. 1628), musicien de la cour de Mantoue, et le rabbin Léon de Modène introduisent l’art choral dans certaines fêtes. En 1622-23, Rossi publie un important recueil de psaumes et de cantiques religieux comportant de 3 à 8 voix. Cette musique savante s’implante dans de nombreux centres du Nord de l’Italie, en Hollande, dans le comtat Venaissin, et se maintient tout au long des xviie et xviiie s.

Parallèlement, on assiste à une remarquable expansion du chant sefardi (espagnol) dans les communautés juives des pays méditerranéens.