Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

hébraïque (littérature) (suite)

Vers le milieu du siècle, on tend à passer d’un sentimentalisme rêveur et romantique à la création indépendante. L’enthousiasme aveugle pour la langue de la Bible s’étend à la vie même décrite dans la Bible. La vie dans le ghetto, étouffée par les maskilîm, invite à se tourner vers ces temps de grandeur et à les magnifier. C’est l’époque d’Abraham Mapou*. Cette vie ancienne exaltante parée de mille couleurs devenait pour les élèves des Yechivot (écoles talmudiques) symbole de renouveau et de renaissance. La Russie elle-même se trouvait dans une période de réformes, qu’Henri Troyat a peinte de nos jours, mais que la littérature hébraïque du temps reflétait déjà. La presse hébraïque est abondante : Ha-Maguid (1857) à Lyck auj. Ełk, Ha-Melitz, qui devient quotidien à Saint-Pétersbourg, Ha-Carmel, tous ces journaux font le lien entre la vie quotidienne et la littérature. Celle-ci perd son caractère noble. Des écrivains roturiers apparaissent qui s’approchent du ghetto. Les jeunes s’intéressent à la vie et à la littérature russes, tandis que la Russie, repoussant la culture allemande, se tourne vers le réalisme sous l’influence de D. I. Pissarev. Cette influence se fait sentir dans les contes de Mendele-Mocher Sefarim (Abramovitz*). A. Papierna et d’autres luttent contre les autorités reconnues ; Moshe Leib Lilienblum (1843-1910), auteur d’un roman (Péché de jeunesse), est le chef de file de cette renaissance nationale. Dans le Chemin de Talmud, il préconise une forme socio-économique de la vie juive et des pratiques religieuses. Il deviendra l’un des leaders du mouvement Hibbat Sion.

Rubin Asher Braudes (1851-1915) est un réaliste, ses peintures familières sont d’une grande fraîcheur et d’une beauté simple et naturelle : les Vieux et les jeunes, la Religion et la vie (1876), les Deux Extrêmes (1888).

Yehudah Leib Gordon adopte une attitude très sévère envers les pasteurs de son peuple, qu’il rend responsables des aberrations de la vie des juifs russes.

Tendances nationalistes et résistance des orthodoxes modérés s’affrontent dans le journal Ha-Levanon et dans le recueil intitulé la Guerre dans la paix.

Le plus en vue de ces publicistes était Yehiel Michel Pines (1843-1913), devenu par la suite le porte-parole de Hibbat Sion. Il considère dans les Enfants de mon esprit la tradition et les mœurs du judaïsme comme l’expression pratique de l’affectivité intellectuelle juive, et la religion comme la source du vrai sentiment national. Mais ses livres n’avaient pas de succès auprès des jeunes, ni ses idées. C’est la parole de Gordon qui l’emporte à cette époque et qui est le mot d’ordre de la lutte engagée : « Réveille-toi mon peuple. Assez dormi. La nuit s’achève et le soleil brille. »

Beaucoup de livres scientifiques paraissent alors dans toutes les disciplines : Histoire naturelle d’Abramovitz, Histoire universelle et Géographie de la Russie de Kalman Schulman (1819-1899). Ha-Ṣefira, quotidien édité à Varsovie par H. Z. Sonimski (1810-1904), popularise ces sciences, de même que la collection dédiée aux sciences naturelles par Hirsch Rabinowitch (1832-1882) ; les premiers essais de critique historique paraissent ; il faut citer les œuvres d’Eleazar Zevi Zweifel (1815-1888) sur le hassidisme*, de Eisik Hirsch Weiss (1815-1905) sur l’histoire de la tradition juive. Zeev Wolf Jawitz (1848-1944) raconte dans une langue biblique les Haggadah du Talmud, Chalom Friedberg (1838-1902) écrit des récits historiques, Abraham Ber Gottlober (1811-1899), en plus de son œuvre littéraire et poétique, devient l’historien du mouvement caraïte, avec Simhah Pinsker et Abraham Firkowitch.


Un vent nouveau

À partir des années 70 commence à souffler un vent nouveau. L’influence des radicaux russes se répercute jusque dans la littérature hébraïque. Yehoudah Leib Lewin dit Yehalal (1845-1925), d’abord poète de la Haskalah, écrit ensuite des satires sur le temps présent : l’Esclave des esclaves, Savoir réaliser. Il fait œuvre de publiciste dans le premier journal socialiste, Ha-Emet, édité par Aaron Samuel Liebermann (1848-1880). Après les pogroms des années 80, il adhérera à Hibbat Sion. Des idées socialistes, nous en trouvons encore chez le poète Isaac Kaminer (1834-1900), chez Ben Sion Nowakhovitch, qui, sous le pseudonyme de Morris Wintchewsky, devient ensuite un poète populaire yiddish. Poètes et écrivains socialistes se dressaient contre le nationalisme juif, dont le porte-parole était le rédacteur de l’Aube (Hachabar), Peretz Smolenskine (1842-1885). Dans ses œuvres : l’Errant (1868), l’Enterrement d’un apostat, le Peuple éternel, le Temps de planter, il s’élève contre l’obscurantisme, contre les superstitions hassidiques et, comme ses collaborateurs Gordon et Bernstein, il rend S. Berlin et Mendelssohn responsables de l’assimilation des juifs allemands poussée jusqu’à l’apostasie.

A. B. Gottlober tente de défendre Mendelssohn, mais la théorie nationaliste de P. Smolenskine l’emporte. Sur la formule simple : « Libérez l’individu de l’emprise religieuse et acceptez l’enseignement européen », Smolenskine greffe le problème national, qui s’est décanté dans la lutte contre l’assimilation.

Avec entêtement, il répète que les juifs ne sont pas une secte religieuse, mais un peuple indivisible, alors même qu’ils ne possèdent ni terre ni pays. Ils sont une « nation spirituelle ». L’étape suivante des nationalismes apparaît dans l’Aube avec les articles d’Eliezer Ben Yehoudah (1858-1922), pseudonyme de Perelman, qui suit la pensée de Moses Hess (1812-1875). Avec Hirsch Kalisher (1795-1874), il affirme que la conservation de la nation juive est possible par le simple amour du pays ancestral et de la langue. Il est le premier à avoir introduit dans sa maison l’usage de l’hébreu comme langue quotidienne et il entreprend son grand dictionnaire de la langue hébraïque. Ces idées sont étayées par les événements politiques des années 80 en Russie. La politique réactionnaire à l’égard des juifs conduisant aux pogroms donne le coup de grâce aux idéaux de la Haskalah. La grande déception des adeptes de ce mouvement perce dans la littérature, qui, à vrai dire, avait pressenti cet aboutissement.