Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

hébraïque (littérature) (suite)

Nationalisme

Nous arrivons à la seconde étape de la littérature hébraïque moderne : son étape nationale. Le théoricien en est Moshe Leib Lilienblum (1843-1910), dont la thèse est la suivante : « Nous juifs, nous sommes étrangers. Nulle part on ne nous aime. Si nous ne voulons pas périr physiquement ou mener une existence amoindrie, il ne nous reste qu’un seul moyen. Faire revivre notre peuple sur la terre de nos aïeux où nos enfants mèneront une vie nationale normale. » Ce mouvement est connu sous le nom de Hibbat Sion : Amour de Sion.

Si dans la presse on traitait principalement des aspects pratiques du présionisme, dans la littérature on ressuscitait le pays et son passé historique. Bien que passé de la poésie de la Haskalah à la poésie nationaliste, Menachem Mendel Dolitsky (1856-1931) ne fut qu’un médiocre poète, comme d’ailleurs Naftali Herz-Imber (1856-1909), dont le seul mérite est d’avoir écrit Ha-Tiqvah (l’Espérance), devenu l’hymne national israélien après avoir été le chant du sionisme.

Un poète lyrique peu compris, Mordecaï Zvi Maneh (1859-1886), exprime sa nostalgie du pays miraculeux dans Mon idéal. À la pléiade des poètes de ce temps appartiennent aussi Aaron Kaminka (1866-1950), Yehoudah Leib Baruch (1874-1953), le jeune Isaac Leib Peretz* (1852-1915), devenu par la suite le grand classique yiddish, et David Frischmann (1859-1922), qui écrit Dans les sentiers du Messie sous la forme d’un poème populaire. Il écrit également des poèmes philosophiques, où il emploie la métrique tonique au lieu de la fade métrique des voyelles en honneur à l’époque de la Haskalah.

Si, dans les années 60, la jeunesse méprisait tout ce qui était juif, vingt ans plus tard, les maskilîm firent leur mea culpa et commencèrent à défendre la tradition. Tels Saul Pinchas Rabinowitch (1845-1910) et Zeev Jawitz (1847-1924), ce dernier essayant dans son Histoire d’Israël de concilier la recherche scientifique et l’immuabilité de la tradition religieuse ; Eleazar Atlas (1851-1904) va plus loin, pour qui le sionisme est hérétique et qui mène son combat ultra-conservateur dans Ha-Peles.

L’intérêt pour la langue hébraïque, devenue le rempart de l’idée nationaliste, stimule la littérature. On édite la Moisson, l’Assemblée d’Israël (Kenesset Israel), Trésors de la littérature. Les quotidiens font leur apparition et favorisent la prose : le Jour, fondé par Y. L. Kantor (1849-1915) ; le Matin, par Nahum Sokolow (1859-1936), qui est déjà un journaliste pleinement européen. Au lieu d’une prose tendancieuse, nous trouvons déjà des essais réalistes, une peinture des temps.

Deux générations d’écrivains se côtoient ; parmi les plus anciens, Rubin Asher Braudes (1851-1915), et parmi les plus jeunes, Ezra Goldin (1868-1915), qui écrit aussi en yiddish, Ben Avigdor, pseudonyme d’Abraham Leib Schalkovitch (1866-1921), fondateur de la maison d’édition Tushia et d’une bibliothèque de poche. La maison Achiasaf apporte son importante contribution.


Idéologie et écriture

Dans la dernière décennie du siècle, le mouvement Hibbat Sion donne une base idéologique au problème national. Le théoricien principal en est Asher Ginzberg (1856-1927), connu sous le nom d’Ahad Haam, qui exprime ses vues dans À la croisée des chemins. Il soumet cet amour de la Palestine à une critique réaliste et affirme qu’avant de parler de la renaissance de « la terre ancestrale » il faut penser à une « renaissance des cœurs », une renaissance spirituelle et morale de la nation. Pour lui, le peuple juif a une mission. Il est porteur d’un idéal de délivrance et de justice du monde. C’est l’idéal exprimé par les prophètes. Mais le processus inéluctable de l’assimilation et de l’émancipation le met en péril, aussi faut-il créer en Palestine un centre spirituel capable de réagir contre les forces négatives qui s’exercent dans la Dispersion. Il est adversaire du sionisme politique de Herzl*. Ces idées sont développées dans deux périodiques dont il est le rédacteur : Ha-Pardès et Ha-Shiloah. Toutes les souffrances du peuple juif et sa tragédie nationale reçoivent une expression poétique très émouvante et vigoureuse dans les poèmes de Bialik*.

Mordecaï Zeev Feierberg (1874-1899) a peu écrit dans sa courte vie, mais ses contes aux titres pleins de lyrisme sont de la couleur de l’époque : les Ombres, Dans le crépuscule et surtout Où aller ?

Micah Yosef Berdichevsky (1865-1921), connu sous le nom de Bin-Gorion, écrit des récits courts et mystérieux où des personnages d’un autre monde sont projetés dans le monde d’aujourd’hui. Il décrit le déchirement et les luttes intérieures de certains juifs de l’intelligentsia et crée un néo-hassidisme romantique.

Le poète Saül Tchernikhovsky* (1875-1943) apporte un courant de joie de vivre et ce courant est neuf.

Il faudrait énumérer ici toute une pléiade de poètes appelés « les contemporains de Bialik ». Nommons Jacob Cohen (1881-1960), néo-romantique qui chante la vie, l’amour et la nature, et fait une synthèse heureuse des valeurs purement juives et des valeurs humaines. Sioniste, il propage dans le mouvement l’hébreu comme langue vivante et, de 1927 à 1933, il est professeur de littérature hébraïque à Varsovie, avant de partir en 1934 pour la Palestine.

Zalman Shneour (1887-1959) est un lyrique d’une grande puissance. Poète, prosateur et essayiste, il se méfie de la tradition et frise le blasphème dans sa manière d’en mettre en doute les valeurs éternelles traditionnelles. Pourtant, il invite le peuple à la vigilance, à l’affirmation de soi pour être à même de redevenir le champion des valeurs spirituelles. Interné à Berlin, il se rend à Paris, où il demeure de 1924 à 1940. En 1951, il part pour Israël. Parmi ses œuvres, citons : Au coucher du soleil (1906), Dans les montagnes, Chants et poèmes (1914), les Ponts, les Visions (1924), Pour l’enfant juif (1933). Il écrit en yiddish et traduit lui-même en hébreu ses romans.

Isaac Kazenelson (1886 - mort en 1944 à Auschwitz) est un poète lyrique dont les poèmes chantent surtout l’amour à la manière de Heine et une joie de vivre qui contraste avec le marasme des contemporains. Mais cette joie est brisée par la guerre, et, au temps du ghetto de Varsovie, il déplore les massacres dans son grand poème de la tragédie juive, le Peuple juif assassiné.