Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

hébraïque (littérature) (suite)

Quand les conservateurs s’élevèrent contre Wessely parut la Lettre de justice, satire anonyme de Saul Berlin où il ridiculise l’ancienne méthode d’éducation et les superstitions des rabbins. Ces maskilîm élevés dans le ghetto voyaient dans l’éducation qu’ils y avaient reçue, dans leur isolement et leurs coutumes la seule cause de leur condition dégradée. Il manquait à tous, quelles que soient leurs options, un jugement indépendant et une critique lucide sur la valeur et le développement de la culture hébraïque. Pour eux, le salut ne pouvait venir que de l’imitation aveugle de leur entourage non juif.

Tel était l’esprit du journal Meassef (Mélanges), fondé à Königsberg en 1784 et auquel participèrent d’abord Isaac Abraham Euchel (1758-1804), puis Mendelssohn, Wessely, David Friedländer (1750-1834), Isaac Satanov. Ce groupe d’écrivains entendait faire de l’hébreu une langue apte à véhiculer l’enseignement moderne européen. Mais le progrès de l’assimilation en Allemagne était tel que, lorsque après une éclipse Euchel voulut en 1794 faire revivre Meassef, son entreprise fut sans lendemain, car la plupart des juifs allemands n’étaient déjà plus à même de comprendre l’hébreu, et Meassef eut pour successeur Sulamith, journal juif en langue allemande édité à Dessau.

La Haskalah allemande donne encore quelques livres : les travaux philologiques de Lev ben Zeev, le commentaire du Kusari par Isaac Satanov, les œuvres de Liebermann, puis le centre de la culture passe en Galicie et dans les provinces italiennes de l’Empire autrichien.

Chalom Jacob Cohen édite à Vienne, entre 1820 et 1831, douze volumes de Bikkouré ha‘ittim (Prémices des temps). Il écrit aussi des fables et des poèmes historiques juifs : Plantes d’Orient en terre nordique (1807), un drame allégorique et didactique, Amal et Tirsa, imité de Luzzatto, et une épopée biblique, la Lumière de David, dans l’esprit de Wessely. Moins rationaliste, il introduit dans son œuvre sentiments et descriptions, ouvrant ainsi la voie à Mapou*.

La contribution de Meir Halevi Letteris (1800-1871) est double : il traduit les classiques européens et écrit des poèmes originaux — le Roucoulement de la colombe, Larmes, la Voix de l’oiseau — pleins de lyrisme et influencés par le classique autrichien Franz Grillparzer.

Dans les périodiques Bikkouré ha‘ittim et Kerem ḥemed (la Vigne agréable), on peut lire les monographies sur les savants juifs médiévaux de Salomon Yehoudah Rapoport (1790-1867).

Le poète Samuel David Luzzatto (1800-1865) est le premier à retrouver les accents de la poésie hébraïque médiévale. Dans son œuvre de publiciste, il lutte contre le rationalisme et met en relief le rôle important des facteurs émotionnels dans l’histoire et la culture ; il montre la grande valeur culturelle des traditions nationales, des coutumes et des rites. Il démontre la spécificité de la culture hébraïque, voit dans l’hellénisme et le judaïsme deux cultures antagonistes irréductibles et s’élève contre un esprit d’imitation et d’assimilation serviles.

Avec Naḥman Krochmal (1785-1840), on arrive à un tournant dans la conception de l’histoire juive. Il est en effet le pionnier de la Wissenschaft des Judentums (science du judaïsme). Leopold Zunz (1794-1886) en Allemagne, S. Y. Rapoport en Galicie et S. D. Luzzatto en Italie explorent l’histoire juive, la philosophie et la littérature, et, pour la première fois, le Midrash et le Talmud sont regardés comme des sources.

La lutte des progressistes contre les forces hassidiques en Galicie crée un terrain choisi pour le genre satirique. Isaac Erter (1792-1851) le manie avec grand art, et Joseph Perl (1773-1851) écrit son Rouleau caché dans l’esprit des Epistolae obscurorum virorum (1515).

Le judaïsme russe apporte sa contribution à ce renouveau littéraire avec Nevakhovitch.

Sous l’influence des circonstances, le lien entre juifs orthodoxes et modernistes se distendait dans une certaine mesure.


Orthodoxie et modernisme

La réaction coïncide avec l’épanouissement du hassidisme, qui se défie de la Haskalah, dont les manifestations sont suspectées d’hérésie. Si au temps du gaon de Vilna la propagation des lumières n’avait pas provoqué d’opposition, les œuvres de ses disciples se trouvaient mises au ban. Ainsi, vers le premier quart du xixe s., les partisans de la sécularisation s’étaient détachés des masses populaires, et cela avait une influence dans la littérature même. Les maskilîm russes, sous l’influence de Mendelssohn et du périodique Meassef, avaient adopté non la culture russe mais la culture allemande, et ainsi l’écrivain séparé du peuple, ne pouvant s’identifier à lui, avait donné toute son attention à la langue, devenue ainsi un but en soi. Cette attitude avait paralysé bien souvent les plus grands talents de l’époque.

Un changement intervient avec Aaron Mordecaï Ginzburg de Kovno (1795-1846). Historien, il combat la rhétorique et la phraséologie et essaie d’affiner le goût. Dans son autobiographie inachevée, Aviezer, il décrit sans concession les tristes résultats d’une éducation anormale et des mariages précoces.

Abraham Dov (Ber) Lebensohn, connu sous le nom d’Adam Ha-Kohen (1794-1878) de Vilna, écrit un nombre incalculable de poèmes dans un style ampoulé et hyperbolique en l’honneur de la science et de la Haskalah, fille de Dieu : Chants de la langue sainte. Ses idées sont intéressantes, mais il ne réussit pas à faire œuvre d’artiste. Seuls ses poèmes pessimistes, influencés peut-être par la mort de son fils Mikal Yosef, atteignent à la vraie poésie. Mikal Yosef Lebensohn (1828-1852), connu sous le nom de « Mikal », est lui un authentique poète lyrique. Il est l’auteur des Chants de la fille de Sion (1851), où l’on trouve des poèmes sur Salomon, Samson, très peu compris de son temps rationaliste. Avec Yehoudah Leib Gordon (1830-1892), très influencé par sa poésie, Mikal et son père peuvent être considérés comme les pionniers de la poésie hébraïque moderne.

Disciple de N. Krochmal et S. Y. Rapoport, Isaac Ber Levinsohn (1788-1860), dans une langue populaire, écrit Témoignage en Israël et la Maison de Juda. Il s’attaque à des problèmes réels et tâche de donner une image claire de l’éthique juive, de la religion, tout en essayant de prôner l’amour du travail productif et de la science parmi les juifs russes.