Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Haydn (Joseph) (suite)

Michael Haydn, très méconnu, ne le cède en son temps qu’à son frère et à Mozart. Cultivé, il s’intéressa aux classiques latins, aux sciences naturelles, à la météorologie. Il reste surtout célèbre comme compositeur religieux, mais sa musique orchestrale et de chambre est le plus souvent de toute beauté, et (par-delà de stupéfiantes ressemblances avec Mozart) très originale et prenante dans sa synthèse d’intellectualisme et de sensualité. Il y a chez lui une certaine ivresse mélodique et sonore qui ne put que captiver le futur auteur de Cosi fan tutte. Il évolue, certes, moins que son frère et Mozart, mais on peut à son sujet prononcer le mot de génie. Plusieurs de ses œuvres furent faussement attribuées à Joseph, et sa symphonie en sol de 1783 passa longtemps pour la 37e (K. 444) de Mozart, qui n’en écrivit que l’introduction lente. Michael Haydn nous laisse une cinquantaine de symphonies (la dernière est de juillet 1789), des musiques de scène comme celle pour Zaïre de Voltaire (1777), l’opéra Andromeda e Perseo (1787), de la musique de chambre dont des quintettes à cordes (1773) ; des chœurs d’hommes sans accompagnement reconnus comme les premiers du genre (à partir de 1788), une quarantaine de messes (la Leopoldmesse de décembre 1805 est sa dernière partition achevée) et de nombreux ouvrages religieux allemands ou latins dans le style soit concertant, soit ancien a cappella. Son Requiem en ut mineur, terminé en 1771 pour les funérailles de Sigismund von Schrattenbach, et dont Mozart vingt ans plus tard devait largement s’inspirer, a acquis ces derniers temps une nouvelle célébrité. De même pour plusieurs œuvres instrumentales (symphonie en mineur de 1784) ou vocales (Missa hispanica) éditées seulement depuis la Seconde Guerre mondiale.

Il exista un troisième frère Haydn, Johann Evangelist (1743-1805), qui passa une vie obscure comme ténor chez les Esterházy.


L’œuvre

Haydn forme, avec ses cadets Mozart et Beethoven (mais il survécut dix-huit ans à Mozart), la trinité classique viennoise. Il n’a rien de ce vieillard timide dont l’image nous fut léguée par le xixe s. Contrairement à Mozart, il se soucia peu des convenances et de la tradition. De son vivant, on lui reprocha violemment d’avilir son art par son humour et ses traits plébéiens, bref (le mot est d’Einstein) de travailler en bras de chemise. Il fut le type du créateur original. De 1760 à la fin du siècle, l’histoire de la musique devint de plus en plus la sienne, et il finit, comme déjà Monteverdi, par l’orienter pour cent cinquante ans. Il ne créa pas le quatuor à cordes, encore moins la symphonie, mais leur donna leurs lettres de noblesse, les porta au plus haut niveau. Le premier, il se servit génialement de la forme sonate et en exploita, avec une liberté et des ressources inépuisables, toutes les virtualités dialectiques, tant sur le plan du travail thématique que des relations tonales. Comme Mozart, mais à partir de prémisses autres, et sans toujours cultiver les mêmes genres, il fit du discours musical l’expression d’une action (et non plus d’un simple sentiment) dramatique : un mouvement comme le premier de la symphonie « Oxford » (no 92, 1789) condense en moins de dix minutes tout un opéra en trois actes. Des compositeurs de son temps, Haydn fut celui dont la pensée, rapide et concentrée, procédant par ellipse et d’essence épique (d’où ses triomphes dans le quatuor, la symphonie et l’oratorio), se rapproche le plus d’un des aspects essentiels de la musique du xxe s. (celui qui est issu des premières mesures du quatuor op. 7 de Schönberg telles qu’elles furent analysées par Alban Berg). Stravinski le vit bien, qui estime qu’au xviiie s. « Haydn fut le plus conscient du fait qu’être parfaitement symétrique signifie être parfaitement mort ». Comme celle de Rameau, on ne pénètre la musique de Haydn que par elle-même, sans argument extérieur. Sa carrière fut longue (un demi-siècle), elle s’étendit de l’Art de la fugue à la Symphonie héroïque. Haydn, en d’autres termes, vécut musicalement la fin de l’ère baroque, le classicisme et (alors que Beethoven sur ce point reprenait le flambeau) le début d’un certain romantisme : celui qui allait mener à Schubert et à Weber ; cela en conservant jusqu’au bout les traces des étapes parcourues. Les cuivres perçants, la férocité rythmique, les bonds en avant et les irrégularités formelles de Haydn sont autant de traits (beaucoup plus rares chez Mozart) de son héritage baroque et préclassique. Son problème fut d’intégrer ces traits, sans les sacrifier, dans un équilibre et une cohérence à grande échelle. Pour Mozart, ce fut en gros l’inverse. Tous deux y parvinrent définitivement vers 1780.

L’évolution de Haydn se divise en périodes. En deux par exemple, avec coupure en 1774-75 (fin du Sturm und Drang et transition vers le style classique). Ou alors en sept.

I. Jusqu’en 1760 : Haydn reste ancré dans une tradition autrichienne et viennoise issue de Johann Joseph Fux (1660-1741) et d’Antonio Caldara (1670-1736), et se distingue à peine de ses prédécesseurs Georg Christoph Wagenseil ou Georg Reutter, de ses contemporains Florian Leopold Gassmann (1729-1774) ou Leopold Hofmann (1738-1793) [thèmes initiaux d’intérêt plus rythmique que mélodique]. Il écrivit alors de la musique religieuse, dont deux messes brèves en sol et en fa (1750-1753), des Divertimenti per il clavicembalo solo (sonates), des concertos (son plus ancien autographe daté ayant subsisté est celui du concerto pour orgue de 1756), des divertimentos pour combinaisons instrumentales diverses dont une série pour vents composée chez Morzin ; en 1757, chez le baron von Fürnberg, les premiers des divertimentos à quatre actuellement groupés comme quatuors à cordes op. 1 et 2 (l’op. 3 n’est pas de lui) ; et une quinzaine de symphonies, courtes et pour la plupart en trois mouvements sans menuet (la 37e de l’édition complète existait en 1758).

II. De 1761 à 1765 (premières années chez les Esterházy) : Haydn expérimente avec fruit, surtout dans la symphonie. Dès 1761, il réalise un coup de maître avec les no 6 (le Matin), 7 (le Midi) et 8 (le Soir), brillantes synthèses de baroque et de classicisme. Les suivantes vont dans des directions fort diverses : finals fugués des 13e et 40e (1763), mélodie de choral de la 22e (le Philosophe) [1764], parfum balkanique des 28e et 29e (1765), instruments solistes dans la 13e (1763), la 24e (1764), la 36e et surtout la 31e (Hornsignal) [1765]. La 12e (1763) est la dernière à ne pas avoir de menuet ; les quatre mouvements deviennent de règle. Pour faire briller ses musiciens, Haydn écrivit aussi à cette époque la plupart de ses concertos. Il y eut aussi l’opera seria Acide (1762) et le premier Te Deum (1764).