Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Haydn (Joseph) (suite)

III. De 1766 à 1774 : surtout à partir de 1771, s’épanouit la période romantique (Sturm und Drang), riche en chefs-d’œuvre que d’aucuns estiment n’avoir jamais été dépassés. Les recherches concernent essentiellement l’expression et la structure interne des morceaux. La production haydnienne s’approfondit et se diversifie. Outre environ vingt-cinq symphonies remarquables par leur richesse et leur variété, nous avons alors plusieurs grandes sonates ; les dix-huit quatuors à cordes op. 9 (v. 1769), op. 17 (1771) et op. 20 (1772), dont trois se terminent par une fugue ; les opéras La Canterina (1766), Lo Speziale (1768), Le Pescatrici (1769-70) et surtout L’Infedeltà delusa (1773) ; le Stabat Mater (1767), le troisième Salve Regina (1771) et quatre messes : la Missa solemnis in honorem B. V. M. (1766) composée pour le sanctuaire de Mariazell et improprement dite Missa sanctae Caeciliae, la Grande Messe avec orgue (1768-69), la Missa sancti Nicolai (1772) et une perdue. Cela sans compter (notamment) les cent vingt-six trios pour baryton à l’intention du prince Esterházy. La diversité de tendance de la période précédente s’intègre en une unité supérieure, les dimensions extérieures s’élargissent (symphonie no 42 de 1771), les progrès techniques sont considérables. Haydn n’utilisa jamais autant le mode mineur, mais toute sa musique témoigne alors d’un goût marqué pour les sonorités feutrées, la méditation et la mélancolie (extraordinaires mouvements lents), les effets étranges. Dans la 46e symphonie en si majeur (1772), le menuet revient au milieu du final (ex. 1) ; dans la 45e (les Adieux) en fa dièse mineur (1772), la seule dans cette tonalité au xviiie s., les instruments pour finir s’en vont les uns après les autres. La 49e (la Passion) en fa mineur (1768), la 44e (Funèbre) en mi mineur, la 47e en sol (1772), la 51e en si bémol, la 54e en sol (1774), la 56e en ut et la 64e en la sont aussi parmi les plus grandes jamais écrites. Seule peut leur être comparée, à l’époque, la 29e (K. 201) de Mozart.

IV. De 1775 à 1784 : ici s’étend une période méconnue, parfois qualifiée de galante en raison du rôle nouveau joué par des mélodies souples et bien articulées ou par la variation ornementale : mais ce furent autant de conditions nécessaires du style classique. Haydn, en outre, ne perdit jamais ses anciennes habitudes ; la magistrale triple fugue terminant la symphonie no 70 (v. 1779) provient tout droit de celles des quatuors op. 20, avec en plus un sens inné du théâtre. De 1775 (L’Incontro improvviso) à 1783 (Armida), Haydn composa ses sept derniers opéras italiens pour Esterháza : autant d’étapes indispensables vers son style instrumental, puis vocal de haute maturité. Ils lui apprirent à mettre sa liberté formelle et ses surprises en tous genres au service de la signification dramatique, à concilier continuité et articulation, équilibre d’ensemble et succession d’événements. Certes, ce genre est le seul où Haydn ne se réalisa pas complètement. Mais les sept partitions évoquées sont toutes antérieures aux Noces de Figaro (1786). Et La Vera Costanza (1776) ou La Fedeltà premiata (1780), en particulier leurs finals d’actes, sont certainement ce qui, dans la production du temps (et les opéras italiens étaient légion), se finales d’actes, sont certainement ce qui, dans la production du temps (et les opéras italiens étaient légions), se rapproche le plus musicalement des Noces ou de Don Giovanni. Dans le domaine de l’opéra, Haydn joue exceptionnellement, par rapport à Mozart, un simple rôle de précurseur. Mais il n’avait pas tort en écrivant à Artaria en mai 1781, à propos de L’Isola disabitata (1779) et de La Fedeltà premiata : « Je vous assure qu’aucune musique semblable n’a été entendue à Paris, ni même à Vienne sans doute. Mon malheur est de vivre à la campagne. » De l’influence de la scène bénéficièrent en 1781 les six quatuors op. 33 (les premiers depuis neuf ans) écrits « d’une manière tout à fait nouvelle », ou encore la symphonie no 73 (la Chasse) ; en 1782, trois belles symphonies conçues pour Londres (no 76-78), et dans une certaine mesure la monumentale Messe de Mariazell, une des rares partitions religieuses de l’époque avec Il Ritorno di Tobia et la Missa brevis sancti Joannis de Deo (vers 1775).

V. De 1785 à 1790 : c’est l’apogée du style classique défini en tant que démarche comme un équilibre longtemps refusé mais finalement accordé, comme une résolution harmonieuse de forces opposées. Mozart avec ses opéras et ses concertos pour piano, Haydn avec les dix-neuf quatuors op. 42 (1785), 50 (1787), 54-55 (1789) et 64 (1790) et les onze symphonies (no 82-92) destinées à Paris alignent les chefs-d’œuvre. Ils profitent l’un de l’autre et se rendent hommage, mais leurs différences s’accusent. Haydn intègre de plus en plus dans son langage des thèmes d’aspect populaire, mais, paradoxalement, ce langage en devient plus maniable et savant. Ses idées sont imprégnées d’une énergie latente et chargées de conflits dont la résolution ne sera autre que l’œuvre elle-même, qui donc ne se dévide plus comme au temps du baroque et du préclassicisme mais se projette de l’intérieur, avec comme moteur principal son propre matériau (ex. 2). Par là, Haydn révolutionna la musique. Les symphonies no 86 en , 88 en sol et 92 (Oxford) en sol, suivies de près par la 85e (la Reine) en si bémol ou la 87e en la, sont à cet égard des modèles insurpassables, et il en va de même de tous les quatuors. De cette veine sont encore la sonate (no 59) en mi bémol dédiée en 1790 à Marianne von Genzinger, ou les huit nocturnes composés la même année pour le roi de Naples.

VI. De 1791 à 1795 : sous le signe des deux voyages à Londres, Haydn intègre soudain aux certitudes et à la sérénité grave de 1789-90 des excentricités et une veine expérimentale dignes de sa jeunesse. Des procédés abandonnés depuis longtemps réapparaissent transfigurés, comme l’utilisation d’instruments solistes (Haydn écrivit à Londres sa seule symphonie concertante) dans un orchestre au demeurant flamboyant, toujours avec trompettes et timbales et annonçant parfois Bruckner. Nouvelle période d’aventures expressives et techniques donc, d’autant qu’une fois de plus la production haydnienne se diversifie. Nous avons alors, outre les douze symphonies « londoniennes » (no 93-98 et no 99-104) et la concertante (1792), les quatuors op. 71 et 74 (1793), les trois dernières sonates pour piano (1794), d’admirables et prophétiques trios piano-violon-violoncelle, les danses pour la Redoute de Vienne (1792) et beaucoup de musique vocale : l’opera seria Orfeo ed Euridice (1791), où le chœur joue un grand rôle, le chœur l’Orage (1792), des airs de concert dont la Scena di Berenice (1795), aux modulations spectaculaires (ex. 3), et une série de canzonets anglaises frayant la voie aux lieder de Schubert. Faste, virtuosité et profondeur caractérisent l’ensemble. Toutes les symphonies « londoniennes » sont des chefs-d’œuvre, mais les plus connues comme la 94e (la Surprise) ou la 100e (Militaire) sont encore surpassées par la 98e (1792), la 99e (1793) et surtout par les trois dernières, créées en 1795 : la 102e en si bémol, la 103e (les Timbales) en mi bémol et la 104e (Londres) en . Les solutions formelles diffèrent toujours et atteignent souvent le développement perpétuel. Les plus audacieuses, celles des finals des 101e (l’Horloge) ou 103e (les Timbales), des premiers mouvements des 96e (le Miracle) ou 102e, de l’andante de la 104e (Londres), confirment à quel point confondent structure interne et simples dimensions extérieures ceux qui répètent que, de Beethoven, la plus haydnienne des symphonies est la première (1800). La descendance des « londoniennes », il faut la chercher dans l’Héroïque (1804), troisième symphonie du maître de Bonn.