Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

habillement (suite)

Élaboration et diffusion d’une collection

Comment naissent ces modèles qui sortent des ateliers de haute couture après des heures de travail ?

La couture création, tenue de présenter deux collections par an pour être ainsi homologuée, relève de l’imagination créatrice du couturier et de ses modélistes. Ces derniers ont assuré le renom de maisons de couture : Marc Bohan chez Dior, Michel Goma chez Patou, Gérard Pipart chez Nina Ricci, J. F. Crahay chez Lanvin. Point n’est besoin pour le couturier de savoir coudre, et son crayon de dessinateur lui est souvent plus utile que l’aiguille, cependant il ne peut ignorer les impératifs techniques. À vrai dire, il n’y a pas de règle absolue dans ce domaine : Grès coupait elle-même ses toiles et les apportait épinglées à l’atelier ; Chanel, qui ignorait la coupe autant que le dessin, créait ses modèles sur mannequin, ainsi d’ailleurs que Madeleine Vionnet. Bien des couturiers, hommes ou femmes, firent leurs premières armes dans des ateliers ou chez des tailleurs (M. Vionnet, Grès, C. Balenciaga, P. Cardin), alors que d’autres s’orientèrent vers la couture par la voie de l’architecture (Pierre Balmain, Paco Rabanne).

Le modèle, d’abord exécuté dans de la toile à patron par les soins de la première, est ensuite (souvent après de nouvelles retouches) réalisé dans le tissu choisi à son intention ; il passera alors un nouvel examen sous l’œil scrutateur du couturier, qui le choisira ou le rejettera.

La mise en œuvre d’un modèle stimule les métiers annexes qui collaborent étroitement avec le couturier pour traduire le croquis original avec le maximum de perfection : depuis l’industrie textile, dont les tissages furent parfois exécutés à l’instigation de couturiers (P. Poiret, Grès, Chanel), jusqu’à la parurerie, en passant par les métiers de la fourrure et du cuir. Le renom de la couture est tel qu’un tissu sélectionné par un couturier jouit d’une faveur accrue. Certains métiers, tributaires de la haute couture, ont été victimes des fluctuations de la mode : les plumes et les dentelles qui ornaient à profusion les toilettes du début du siècle ne sont plus en faveur ; l’entre-deux-guerres marqua la régression des broderies, suivie par la fermeture d’ateliers spécialisés, et celle, plus progressive, des chapeaux entraîna la disparition de modistes célèbres (Caroline Reboux, Agnès, Rose Valois).

La collection une fois prête, il incombe à l’habilleuse d’en prendre soin pendant la durée des présentations et de rassembler, à la manière d’un régisseur de théâtre, tous les accessoires d’une toilette, avant l’entrée en scène du mannequin qui va donner vie et style au modèle. Malgré le renom de certains mannequins qui se sont imposés dans la profession — Praline, Lucky, Bettina, Victoire —, celle-ci offre des perspectives limitées. Au sortir d’un stage de quelques mois dans une école professionnelle, deux possibilités s’offrent au futur mannequin : entrer comme « mannequin de cabine » dans une maison de couture, dont elle reçoit un salaire mensuel, ou être placée, par l’intermédiaire d’une agence, comme « mannequin volant » auprès de maisons de couture, de magazines ou de photographes de mode. L’âge limite dans le temps l’activité de mannequin, mais l’incertitude du lendemain est aussi fonction de la mode. On a aimé les mannequins aux formes épanouies jusqu’à l’avènement de la garçonne, qui a lancé le style de la femme maigre ; le mannequin sophistiqué des années 30, au regard lourd de femme fatale, a fait place, aujourd’hui, à des filles jeunes, d’allure sportive. Les goûts du couturier entrent aussi en jeu. Balenciaga avait une prédilection pour les mannequins à « l’arrogance anguleuse », et Grès les choisissait pour leur simplicité élégante. En 1924, Patou fit appel à des mannequins américains, femmes particulièrement grandes. Nous connaissons, actuellement, la vogue des mannequins scandinaves et allemands et nous assistons à l’apparition de mannequins de couleur, originaires d’Asie et d’Afrique.

Une révolution s’opère dans la manière de présenter les collections. Courrèges fut un des premiers à offrir une « collection-spectacle », formule qui tend à se répandre et bouleverse l’atmosphère feutrée et recueillie des collections. Tout y est fait pour accrocher l’œil et faire dresser l’oreille : chatoiements des couleurs et gesticulations des mannequins sur fond de musique sérielle ou de jazz. Il n’est pas jusqu’à la fréquence rituelle des collections qui ne soit remise en question : Pierre Cardin depuis 1972 présente une seule collection par an, en avril, au lieu des deux, inaugurées par la chambre syndicale de la haute couture parisienne dès 1890 pour faciliter la venue des acheteurs américains. Il invoque à ce titre l’absence de saisons vraiment tranchées, et surtout les capitaux considérables investis dans chaque collection. La réalisation de l’une d’entre elles, composée de 100 à 150 modèles, implique près d’un millier d’heures de travail et un investissement de l’ordre d’un million de francs amortissable en trois mois. À la suite de l’intérêt accru manifesté par les acheteurs étrangers pour les présentations du prêt-à-porter, en avril et en octobre, Y. Saint-Laurent a choisi ce calendrier pour présenter sa collection de prêt-à-porter à l’ensemble de la presse et il réserve aux dates traditionnelles sa collection de quelques modèles de haute couture à un cercle restreint de journalistes. En 1972, enfin, onze couturiers ont ouvert un stand au Salon du prêt-à-porter.

La chambre syndicale, qui date de 1868, s’est fixé pour tâche de préserver les droits à l’exclusivité de la couture création. Depuis 1952, une loi assimile la création du couturier à la création artistique, lui accordant ainsi le bénéfice de la loi sur la propriété artistique et littéraire. La chambre syndicale établit le calendrier des collections et donne le feu vert à la presse pour la parution des photos, environ un mois après les collections, de façon à permettre la livraison de modèles exclusifs aux acheteurs. Dépositaire d’une certaine image de marque de haute élégance, elle lui reste fidèle et n’admet dans ses rangs que les couturières répondant à des critères déterminés de la profession. Soucieuse de faire respecter la griffe du couturier, elle a réglementé pour les professionnels les conditions d’accès aux présentations des collections et celles qui sont requises pour effectuer des achats. Journalistes et acheteurs sont admis dans les salons de couture sur présentation de la carte délivrée par la chambre syndicale, après enquête sur l’identité de l’acheteur et sur sa solvabilité.