Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

habillement (suite)

Les acheteurs travaillent pour le compte de la confection de luxe ou de manufacturiers licenciés : le modèle vendu, sous forme de papier-patron, ne pourra être reproduit qu’en tissu et vendu uniquement dans les pays représentés par l’acheteur. Celui-ci peut aussi agir, sans se déplacer, par l’intermédiaire d’un commissionnaire pour le commerce extérieur, qui se charge du paiement et de l’expédition de la marchandise. Si, lors d’une première visite à une maison de couture, l’acheteur de province n’effectue aucun achat, ainsi qu’il en a le droit, il devra, pour y être admis une deuxième fois, s’engager alors à l’achat d’au moins une toile. La vente auprès de la clientèle particulière est dirigée par la directrice du salon, aidée de ses vendeuses. C’est généralement une femme du monde dont les relations sont précieuses pour la maison de couture. Soigneusement organisée et hiérarchisée, la haute couture doit sa notoriété à des modèles originaux : pour certains, cependant, la copie fait partie de l’espionnage industriel pratiquement inévitable ; Chanel y voyait la marque d’un hommage à son talent, hommage qui a dépassé le simple cadre de la copie puisque son influence sur la mode dura près d’un demi-siècle. Son nom constitue, avec quelques autres, un des jalons importants de l’histoire de la couture.


Petite histoire de la haute couture

La couture création est née avant la lettre, grâce au talent de quelques couturières restées célèbres : Rose Bertin (1744-1813), marchande de modes de Marie-Antoinette, acquit une réputation européenne auprès des cours étrangères, et son atelier compta jusqu’à 30 ouvrières ; Mme Palmyre habilla les élégantes de l’époque romantique, et Mme Baudrant se fît un nom sous Louis-Philippe. Mais c’est à Charles Frédéric Worth (1825-1895) que l’on doit l’apparition de la haute couture au sens moderne du terme. À vrai dire, l’exercice de son activité coïncida avec des conditions propices à l’éclosion de son talent : la prospérité économique associée à une vie de cour extrêmement brillante lui assurèrent les commandes d’une clientèle avide de paraître et de se faire habiller par le couturier de l’impératrice. Ses robes figurent parmi les plus chères jamais vendues en haute couture : 5 000 francs-or de l’époque, soit 1 million de nos francs actuels.

Les couturiers ne créent pas la mode*, mais ils concrétisent avec des moyens d’expression personnels les divers courants — techniques, sociologiques, artistiques — qui convergent pour lui donner naissance. La vie mondaine, au début du siècle, resta marquée du souvenir des fastes impériaux : l’élégance ne pouvait être que somptueuse. Les couturiers antérieurs à la Première Guerre mondiale (Callot, Doucet, M. Vionnet, Doeuillet, Redfern) restèrent fidèles à l’image d’une femme liane parée de dentelles mousseuses, de plumes ondoyantes et de bijoux scintillants. La haute couture n’habillait, alors, que l’aristocratie la plus huppée, qui ignorait ses couturiers en dehors du salon d’essayage. La guerre brisera ce cercle fermé : la haute bourgeoisie et les gloires nouvelles du cinéma font désormais appel aux couturiers ; Nina Ricci habille la bourgeoisie cossue, et Grès comprendra si bien l’importance de ce changement qu’elle prendra pour lanceuses de mode des gens du spectacle, qu’elle habillera sous contrat. Aujourd’hui comme hier, la couture bénéficie du renom de personnalités en vue pour rehausser le prestige de sa griffe. L’élargissement de la clientèle des maisons de couture au monde du spectacle entraîna parfois la création par le couturier de costumes de scène. Mais ce fut surtout l’intérêt manifesté par l’Amérique, vers 1920, pour les créations françaises qui fit prendre conscience à la couture de son importance économique et qui l’amena à ouvrir ses portes à un public plus vaste : la production s’organise, les collections tiennent compte de la venue des acheteurs étrangers, la presse est admise aux présentations et en rend compte dans ses colonnes. Cette évolution fut bénéfique à l’expansion de maisons antérieures à la Première Guerre mondiale — Doeuillet, Lanvin (fondée en 1889), Poiret (fondée en 1910), Chanel (fondée en 1911), Madeleine Vionnet (fondée en 1912) — et correspondit à l’essor de noms nouveaux : en 1919, Molyneux et Jean Patou ; en 1929, Maggy Rouff ; vers 1930, Schiaparelli et Grès (qui débuta sous le nom d’Alix) ; en 1934, Jacques Heim ; en 1937, Balenciaga ; en 1939, Jacques Fath. Lucien Lelong, Robert Piguet, Paquin et bien d’autres marquèrent cette époque. L’effectif d’une maison de couture, vers 1900, se composait d’une vingtaine de personnes, alors que, entre les deux guerres, il atteignit 500 à 600 personnes, et même 1 500 chez Patou et Chanel.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, qui avait sorti la femme de ses salons pour la mettre en contact avec une vie active, dentelles et falbalas sont périmés. Une rigueur nouvelle marque le costume de ville : Doeuillet, Patou, Molyneux, Balenciaga illustrent une élégance discrète et raffinée. C’est l’ère du bon ton. De ligne plus dépouillée, les robes du soir empruntent à l’Orient, sous l’influence de Paul Poiret, le jeu des couleurs et l’éclat des lamés. Une mutation est en cours qui va aboutir à l’avènement de la « garçonne », mais c’est à Chanel que revient l’honneur de donner corps à ce nouveau style de femme : elle remodèle la silhouette en la débarrassant du corset et rajeunit la femme en raccourcissant ses jupes et... ses cheveux. L’« indigence dorée » qu’elle offre aux riches n’est que l’expression d’une élégance faite de simplicité et d’une couture qui veut descendre dans la rue.

À quelques exceptions près (M. Vionnet fermée en 1940), la plupart des maisons de couture continuent leur activité après la Seconde Guerre mondiale. Des noms nouveaux apparaissent : Carven (1945), P. Balmain (1945), C. Dior (1947), P. Cardin (1949). Dior va connaître un départ foudroyant grâce au lancement du new-look (v. mode) et à l’appui financier que lui apporte Marcel Boussac. Cette alliance entre couture et industrie est le signe avant-coureur de la transformation qui va marquer la haute couture, quelque dix ans plus tard, sous la poussée de facteurs économiques et sociologiques issus de la guerre : diminution des acheteurs étrangers, sollicités par une couture nationale ; perte de la clientèle particulière liée au contrôle des changes ; production industrialisée, mode de vie axé davantage sur les loisirs que sur les festivités et, surtout, importance prise par les jeunes dans la société de consommation grâce à leur pouvoir d’achat nouveau. L’évolution de la couture française se caractérise, aujourd’hui, par le nombre de contrats qu’elle passe avec l’étranger où les modèles sont fabriqués sous licence et vendus griffés.