Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

habeas corpus [ad subjiciendum]

Expression latine qui signifie : « Que tu aies le corps pour le produire. » Institution anglo-saxonne qui a pour objet de garantir la liberté individuelle en remédiant au danger des arrestations et des détentions arbitraires. On peut définir le writ d’habeas corpus comme l’ordre adressé par un juge à celui qui détient une personne de la lui présenter et d’exposer les raisons de sa détention ou de son internement.


Cette institution s’est peu à peu transformée au cours de l’histoire pour prendre la physionomie qu’elle revêt essentiellement aujourd’hui, celle d’un moyen efficace de garantie contre l’arbitraire.

La Grande-Bretagne n’a pas rédigé, comme les autres démocraties occidentales, de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Au lieu de proclamer dans une formule abstraite le droit à la liberté, le juriste anglais a minutieusement réglementé la procédure d’habeas corpus et a préféré mettre en place une technique permettant de rendre ce droit effectif et concret.


Historique

À l’origine simple instrument de procédure pénale permettant au citoyen arbitrairement détenu d’en appeler à un juge ou à un tribunal, l’habeas corpus est devenu un véritable moyen de défense de la liberté individuelle.

Apparu vers 1302 sous le règne d’Édouard Ier, il fut utilisé au début du xive s. par les cours royales de justice comme un moyen de procédure pour accroître leur compétence aux dépens des cours locales. La cour de Westminster et sa division la plus célèbre, le « Banc du roi », utilisèrent ce writ pour assurer leur pouvoir et affermir leur autorité. Ordre donné au nom du roi, en vertu de la prérogative royale, il était interdit de lui désobéir. La cour, par ce moyen, connaissait donc des causes qui, normalement, ne relevaient que des tribunaux inférieurs, les cours locales.

Ce n’est cependant qu’au xvie s. que le writ d’habeas corpus joua le rôle qu’on lui connaît actuellement. En effet, les cours royales, ayant assuré leur autorité et assis leur prépondérance sur les cours locales, souhaitaient par ailleurs affirmer leur autonomie à l’égard du pouvoir royal. Retournant cette arme contre le roi lui-même, elles prirent l’habitude, en réaction contre les abus du Conseil privé et de la Chambre étoilée, de statuer sur la légalité des emprisonnements opérés par lettres de cachet.

Le roi Charles Ier fit tout pour se soustraire à ce redoutable contrôle. Il y parvint presque dans l’affaire Darnel, mais le Parlement, en réaction contre l’arbitraire royal, vota la Pétition des droits en 1628, violée de nombreuses fois par son successeur Charles II. Le Parlement édicta l’Habeas Corpus Act en 1679 : essentiel dans l’histoire constitutionnelle de l’Angleterre, cet acte devait devenir une des lois fondamentales du royaume, sorte de rempart à l’abri duquel les libertés publiques anglaises purent s’épanouir sans crainte des exigences de l’exécutif et de la tiédeur des juges.

Complété en 1816, l’habeas corpus, au cours du xixe s., fut étendu à d’autres domaines, notamment à des matières relevant du droit civil (protection des aliénés, garde des enfants, rapports des époux), mais son rôle reste surtout marquant en droit pénal et en droit constitutionnel.

Suspendu à deux reprises du fait des hostilités, l’habeas corpus a fait l’objet d’une réforme en 1960 : l’Administration of Justice Act a apporté des changements importants dans la loi et la pratique, en précisant ses conditions de délivrance et la procédure applicable.


Procédure

Le juge étant au centre de la procédure d’habeas corpus, une requête va lui être adressée par un avocat, la demande étant étayée de motifs raisonnables et accompagnée d’offres de preuve. Toute personne peut faire examiner par ce moyen la légalité de son emprisonnement, qu’il soit punitif ou préventif, qu’il émane d’une autorité administrative ou d’une juridiction de droit commun ou d’exception. Mais cette procédure est l’ultime recours : elle ne peut jouer que si tous les moyens disponibles permettant d’obtenir les mêmes résultats ont été épuisés ou se sont révélés inopérants.

Le juge saisi doit délivrer le writ, qui est de droit. La personne à qui est adressé le writ est tenue de l’exécuter et doit fournir une réponse claire et sans ambiguïté. En cas de réponse intentionnellement fausse, des sanctions sévères sont prévues. C’est à propos de cette réponse (return) qu’intervient l’argumentation qui doit mener soit à la libération soit à la réincarcération de la personne détenue. Après sa libération, le détenu ne peut être poursuivi de nouveau pour les mêmes faits.


Champ d’application

Applicable en Grande-Bretagne et généralement dans tous les pays de Common Law sauf l’Écosse, l’habeas corpus a été intégré dans la Constitution des États-Unis d’Amérique et est reconnu par la loi des États comme par le gouvernement fédéral, malgré quelque diversité dans son application. Dans tous les pays anglo-saxons qui l’appliquent, on peut dire que le droit pour tout homme de ne pas être emprisonné sans raison est un droit effectif.

La France ne connaît pas d’institution comparable malgré son attachement à la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, qui, dans son article 7, affirme que « nul ne peut être arbitrairement arrêté et détenu si ce n’est dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites ». Cependant, un effort particulier a été fait par la loi du 17 juillet 1970 dans le sens du renforcement de la protection de la liberté individuelle en matière de détention provisoire.

Introduit dans un système de droit écrit comme le nôtre, l’habeas corpus perdrait ses qualités essentielles. Imprégné de sens pratique et propre aux droits anglo-saxons, il protège avec une rare perfection la liberté des citoyens.

J. L.

➙ Détention / Libertés publiques.

 B. Delignières, le Writ d’« Habeas corpus ad subjiciendum » en droit anglais (Sirey, 1952).