Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

guitare (suite)

Du banjo au solo

Quelques musiciens, cependant, essaieront de jouer un rôle mélodique, souvent en s’inspirant du style des chanteurs de blues, pour qui la guitare est polyvalente : mélodique, dans la mesure où elle répond au chant ou le prolonge ; harmonique et rythmique, car elle est tout l’orchestre-accompagnement dont dispose le chanteur. Au sein de divers contextes, des musiciens comme Eddie Lang, Lonnie Johnson et Teddy Bunn mettront au point un style de solistes.


Électricité et be-bop

Tournant décisif dans l’histoire de la guitare, la découverte des procédés d’amplification électrique va libérer et encourager ces ambitions mélodiques. Les premières tentatives du tromboniste-guitariste Eddie Durham, dans le grand orchestre de Jimmie Lunceford, et de Floyd Smith, chez Andy Kirk, annoncent la disparition de la guitare ordinaire (« sèche » ou « acoustique ») au profit de la guitare électriquement amplifiée. Tandis qu’en Europe Django Reinhardt* oppose en son jeu le style tsigane et les traditions négro-américaines, et met au point un discours parfaitement original (Reinhardt n’utilisera la guitare amplifiée que vers la fin de sa carrière), l’univers des guitaristes de jazz va être bouleversé, d’abord aux États-Unis, par deux événements : l’apparition de Charlie Christian et l’avènement du be-bop. Christian s’attachera à démontrer toutes les possibilités de la guitare « électrique », ouvrant la voie aux improvisateurs qui se sont imposés dans les années 40 et 50. Ses disciples constatent que leur instrument peut rivaliser en puissance et en vélocité avec n’importe quelle voix orchestrale. Les phrases deviennent aussi rapides et complexes que celles des saxophones, les développements harmoniques sont plus riches et plus subtils, et, plus encore, le perfectionnement des amplificateurs autorise un travail quasi illimité sur les sonorités, notamment dans le registre aigu. Libérée du cadre de la section rythmique, la guitare s’impose comme une voix soliste. Désormais, chaque nouvelle tendance de la musique négro-américaine comprend parmi ses représentants quelques guitaristes remarquables. Alors que Charlie Christian avait été associé aux petites formations de Benny Goodman et aux rencontres de Thelonious Monk et Kenny Clarke, tandis qu’Oscar Moore, Irving Ashby, John Collins, Tiny Grimes et Everett Barksdale contribuent au son des trios King Cole et Art Tatum, à la mode vers 1940, on trouvera : auprès de Dizzy Gillespie et de Charlie Parker, les guitaristes Remo Palmieri, Chuck Wayne, Bill de Arango, Mundell Lowe, Herb Ellis, Barney Kessel ; dans l’orchestre de Stan Kenton. Sal Salvador, puis Laurindo Almeida ; Billy Bauer aux côtés du pianiste et théoricien Lennie Tristano ; Jimmy Raney avec Stan Getz ; Jim Hall avec le clarinettiste Jimmy Giuffre, Bill Evans ou Sonny Rollins ; Kenny Burrell en compagnie de Gillespie, Getz, Kenny Dorham ; le Belge René Thomas avec Chet Baker, puis Sonny Rollins ; Tal Farlow avec Charlie Mingus ; le Hongrois Attila Zoller avec le pianiste Martial Solal ; Joe Pass et Barry Galbraith dans les groupes californiens des années 50... Avec Wes Montgomery, qui apparaît sur la scène du jazz à la fin des années 50, il semble que tout un aspect de l’héritage de Charlie Christian commence à s’épuiser ; l’harmonie postparkérienne et la conception traditionnelle de l’instrument semblent avoir fait leur temps. Au moment où le free jazz ébranle les conforts et les routines de la musique négro-américaine, et où le blues, par le biais du rhythm and blues, et du rock, fait un retour massif dans les divertissements populaires, les guitaristes sont condamnés, eux aussi, à interroger leur instrument et à renouveler les thèmes et les rythmes musicaux dans un sens nouveau.


Entre le « rock » et le « free »

Peu à peu, la guitare disparaît des orchestres de jazz moderne. Seuls continuent de travailler, au début des années 60, les guitaristes qui se contentent de prolonger le discours de Charlie Christian, voire de l’actualiser en s’inspirant de Wes Montgomery (Kenny Burrell, Grant Green, George Benson, René Thomas...). En revanche, du côté des bluesmen, la guitare est restée l’instrument roi. Amplifiée, elle s’est imposée dans les orchestres de rhythm and blues, notamment les groupes dirigés par des organistes (Thornell Schwartz et Quentin Jackson avec Jimmy Smith, Billy Butler avec Bill Doggett, Larry Dale avec Cootie Williams, Bill Jennings avec Jack McDuff), et a été adoptée par les jeunes musiciens de rock and roll. En continuant avec obstination de chercher de nouvelles sonorités, ceux-ci ont découvert (et Jimi Hendrix fut un pionnier du genre), grâce à l’amplification électrique, tout un au-delà sonore où le parti pris de joliesse et d’« harmonie » apparaît désuet : modulations de l’effet Larsen (jusqu’alors considéré comme un « accident » regrettable), distorsions, effets d’écho, etc. Avec Larry Coryell puis John McLaughlin et Sonny Sharrock, ces procédés sont intégrés au jazz des années 70. Ainsi, et comme en contrebande, un certain esprit du blues vient nourrir de nouveau le jazz. Cette nouvelle façon de travailler le matériau sonore reflète en effet une constante de la musique négro-américaine : la « vocalisation » du discours instrumental. Simplement, le chant de la guitare est devenu cri.

P. C.


Les principaux guitaristes de jazz


Charlie Christian

(Dallas 1919 - New York 1942). Il découvre la guitare en 1937 et, deux ans plus tard, est engagé par Benny Goodman. Vedette de l’orchestre du clarinettiste, il joue aussi avec Lionel Hampton et les musiciens bop qui se réunissent au Minton’s. Atteint de tuberculose, il meurt à vingt-deux ans. Considéré par les uns comme un pionnier du be-bop, par d’autres comme le seul guitariste remarquable — avec Django Reinhardt — de toute l’histoire du jazz, il est, en tout cas, responsable d’une émancipation décisive de la guitare.
Enregistrements : Solo Flight (avec Goodman, 1941), From Swing to Bop (jam session au Minton’s, 1941).


Larry Coryell