Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

guitare (suite)

Le deuxième tiers du xviiie s. marque de nouveau une certaine désaffection envers l’instrument, puis, vers 1760, aussi subitement que sous François Ier, tout le monde se remet à « guiterner ». Un immense répertoire de romances, de brunettes, de mélodies, de sonates, de variations voit le jour, diffusé dans des périodiques aux titres prometteurs : Journal de guitare, Étrennes chantantes, Après-soupers de la Société. Les méthodes, elles aussi, abondent, assurant (déjà...) une pratique aisée en quelques semaines ! Cédant à une recherche de facilité générale, l’emploi des cordes doubles disparaît peu à peu (à partir de 1775). Pour compenser l’appauvrissement qui en résulte, une sixième corde est ajoutée, au grave. L’accord devient alors mi, la, , sol, si, mi, tel que nous le pratiquons encore de nos jours.

Les modifications ne porteront plus désormais que sur des points de détail : caisse progressivement plus volumineuse, ouïe dépourvue de rosace, frettes de métal au nombre d’une vingtaine, chevilles montées sur une mécanique pour faciliter l’accord. Vers 1870, entre les mains du célèbre facteur Antonio de Torres (1817-1892), la guitare moderne atteint son point de perfection.

Parallèlement à ces transformations techniques, l’instrument attire les virtuoses. Dès l’aube du xixe s., de grands noms brillent dans toute l’Europe : ceux des Italiens Ferdinanno Carulli (1770-1841), Matteo Carcassi (1792-1853), Mauro Giuliani (1781-1828), des Espagnols Fernando Sor (1778-1849) et Dionisio Aguado (1784-1849), du Français Napoléon Coste (1806-1883). Tous laissent de nombreuses études, fantaisies, variations (pour guitare seule ou accompagnée d’un ensemble instrumental) ainsi que des méthodes, dont certaines restent encore en usage de nos jours. Dans le dernier tiers du siècle s’affirmera enfin la puissante personnalité de Francesco Tárrega Eixea (1854-1909).

Après la mort de celui-ci et en dépit de remarquables interprètes, tel Miguel Llobet (1875-1938), la guitare commence à souffrir d’une crise née du manque de répertoire. À cette époque, seul parmi les musiciens de talent, Heitor Villa-Lobos (1887-1959) écrit à son intention. Il faudra attendre les années 20 et l’impulsion donnée par l’illustre Andrés Segovia (1894) pour que les compositeurs s’intéressent de nouveau à elle. Ce sont, notamment, Federico Moreno Torroba (1891), Manuel de Falla (1876-1946), Alexandre Tansman (1897) ; Joaquín Rodrigo (1902) se place au premier rang des compositeurs pour guitare avec son Concerto de Aranjuez (1939) et sa Fantaisie pour un gentilhomme (1955).

Désormais pourvue d’un répertoire « vivant » — auquel s’ajoutent de nombreuses transcriptions de musique ancienne —, la guitare connaît un extraordinaire développement. Ses deux aspects, populaire et classique, s’épanouissent. De grands virtuoses, tels Narciso Yepes, la regrettée Ida Presti, Alexandre Lagoya, Alirio Díaz, John Williams, Julian Bream, portent son renom dans le monde entier. De nombreux amateurs en font en outre leur instrument de prédilection.

À côté de ces aspects traditionnels, il en est un autre — et non des moindres — qui, de nos jours, contribue à la diffusion de la guitare : c’est la musique de variétés, où les chanteurs et les ensembles instrumentaux lui donnent une place de tout premier plan. Afin de répondre aux nouvelles exigences qui en résultent, la guitare va se transformer. Sa sonorité intime, qui s’adapte mal aux exigences des grandes salles et n’émerge guère d’un groupe d’instruments, devra être artificiellement amplifiée. C’est pour répondre à une telle nécessité qu’a été récemment créée la guitare électrique. Assez paradoxalement, la forme de cette dernière s’inspire des courbes harmonieuses de la cithare antique, mais elle n’en conserve guère que le principe de jeu des cordes pincées... La caisse de résonance, d’épaisseur réduite, ne peut suffire à amplifier les sons. Des micros (un ou deux) sont donc disposés sous les cordes, qui seront obligatoirement métalliques cette fois. Placés parallèlement au chevalet, ils transmettent les sons émis à un ou à plusieurs amplificateurs. Un système de vibrato et des boutons de réglage vont permettre de modifier non seulement l’intensité sonore, mais le timbre même de l’instrument.

À la suite de telles adjonctions, la guitare électrique ne conserve qu’une lointaine parenté avec la guitare traditionnelle et peut être considérée comme un instrument ayant acquis son individualité propre. Tout comme les musiciens de variétés, les compositeurs « classiques » s’en avisent et commencent à prendre conscience des nouvelles possibilités qu’elle leur offre.

Les générations futures adopteront-elles cette nouvelle venue ou la guitare à dix cordes réalisée à Madrid par le célèbre Ramirez, à la demande de Yepes ? Il n’est pas douteux qu’en dépit de son succès actuel l’avenir de la guitare pose un certain nombre de problèmes. S’ils veulent qu’elle continue à susciter l’attention des compositeurs, les luthiers et les interprètes devront rapidement les résoudre.

H. C.

 E. Pujol, « la Guitare », dans Encyclopédie de la musique sous la dir. de A. Lavignac et L. de La Laurencie, 2e partie, t. III (Delagrave, 1927). / H. Charnasse et F. Vernillat, les Instruments à cordes pincées (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1971).


Les guitaristes de jazz

Pour les jeunes Noirs du sud des États-Unis, un banjo fait d’une boîte vide et d’un morceau de manche à balai fut souvent non seulement un premier jouet, mais en même temps le premier instrument de musique. Correspondant, semble-t-il, à une tentative de reconstitution d’instruments africains, cet engin aux possibilités surtout rythmiques fut utilisé par nombre de musiciens campagnards trop pauvres pour s’acheter une « vraie » guitare. Jusqu’au début du xxe s., le banjo sera synonyme de musique populaire et indissociable des divertissements prolétariens : spectacles de minstrels, accompagnement de danses « nègres », chansons de cowboys et de paysans, etc. Parallèlement à la promotion sociale des Noirs, qui succède à la guerre civile, et aux premiers mouvements des populations rurales vers les villes industrielles du Nord, les musiciens et les chanteurs négro-américains ne tardent pas à adopter la guitare, plus perfectionnée que le banjo et marquée par les traditions populaires européennes. La nature de ces instruments et la technique des premiers enregistrements limiteront longtemps le rôle des guitaristes-banjoïstes à une fonction essentiellement rythmique (Johnny Saint-Cyr auprès de Louis Armstrong, Bud Scott, Danny Barker, Mancy Cara, Lee Blair, Fred Guy chez Duke Ellington, etc.).