Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

goutte (suite)

Signes cliniques

La goutte, affection généralement masculine et souvent familiale, se manifeste d’une part par des accès inflammatoires aigus, surtout des jointures, d’autre part par des dépôts d’urate de sodium, les tophus, qui, eux aussi, prédominent aux articulations. Ces dépôts uratiques font toute la gravité de la maladie.


Goutte aiguë

La manifestation la plus typique de la goutte est la crise aiguë du gros orteil. Elle est souvent favorisée par un excès alimentaire, un surmenage ou un traumatisme et parfois précédée de troubles digestifs, nerveux ou urinaires. La crise débute brutalement, en général la nuit, par une douleur vite insupportable du gros orteil. À la base de celui-ci, l’articulation devient rapidement volumineuse, luisante, rouge pivoine et chaude. Cette crise s’accompagne d’une réaction générale avec une fièvre qui peut atteindre 39 °C. En l’absence de traitement, la douleur s’atténue à l’aube, mais la jointure reste douloureuse et ne reprend pas sa coloration normale. Pendant une huitaine de jours vont se succéder des phases d’aggravation nocturne et d’amélioration diurne qui constituent l’attaque de goutte. Le traitement, en particulier la colchicine, abrège rapidement cette évolution. Malgré sa prédilection pour le pied — d’où le terme de podagre longtemps utilisé pour désigner la goutte —, l’atteinte articulaire peut, surtout lors des crises ultérieures, frapper le genou, les doigts (chiragre) ou très rarement la hanche. Plusieurs articulations sont parfois touchées simultanément. Les crises aiguës peuvent également se localiser à des formations para-articulaires : tendinites goutteuses du cou-de-pied ou du tendon d’Achille, inflammation des bourses séreuses (ou bursites), en particulier au coude. Quant aux manifestations cardiaques, intestinales ou cérébrales parfois observées au cours de l’accès goutteux, elles ne sont que le reflet de perturbations neurovégétatives et ne méritent pas le terme de manifestations viscérales réservé aux rares phlébites, pharyngites et conjonctivites goutteuses.

L’évolution de la goutte est très variable : la crise aiguë peut demeurer unique, mais, le plus souvent, les accès se répètent pendant des années avec des périodes de rémission de plus en plus brèves ; c’est dans ces conditions que s’installe de façon insidieuse la goutte chronique.


Goutte chronique

C’est la conséquence de la surcharge uratique que l’organisme est incapable d’éliminer. Les dépôts d’urates se font essentiellement dans le tissu conjonctif sous-cutané, les articulations et le rein. Dans le tissu conjonctif sous-cutané, ils donnent lieu à la formation d’un tophus, tuméfaction de quelques millimètres à plusieurs centimètres de diamètre, indolore, ferme, blanc jaunâtre, visible sous l’épiderme, qui s’est aminci et s’ulcère parfois en laissant échapper une substance tophacée pâteuse. Les tophus siègent électivement au pavillon de l’oreille, au coude, au doigt et dans les tendons (tendon d’Achille, tendons des doigts). Au niveau des articulations, des dépôts d’urates, en se déposant dans les tissus mous et dans les extrémités osseuses, sont responsables d’arthropathies chroniques parfois très invalidantes. C’est habituellement au cours de la goutte chronique que s’observent les manifestations rénales : la précipitation des urates dans les voies urinaires aboutit à la formation de calculs, avec le risque de coliques néphrétiques (v. lithiase). Mais la complication la plus grave, apanage des gouttes sévères non ou insuffisamment traitées, est la survenue d’une insuffisance rénale qui peut être mortelle. Dans sa genèse participent l’obstacle sur les voies urinaires que sont les calculs, la précipitation des urates au sein même du tissu rénal et diverses lésions associées.


Signes biologiques

• L’hyperuricémie est le signe biologique fondamental ; le taux d’acide urique dans le sang dépasse la limite supérieure admissible de 70 mg par litre.

• L’hyperuraturie, c’est-à-dire l’augmentation de l’élimination urinaire d’acide urique, est moins fréquente (25 p. 100 des cas). Le chiffre normal est en moyenne de 500 mg par vingt-quatre heures.

• L’examen du liquide articulaire, lorsque le prélèvement est possible (genou), peut mettre en évidence le seul signe véritablement spécifique de l’accès de goutte : la présence de microcristaux d’urate monosodique aux extrémités acérées.

• Le prélèvement au niveau d’un éventuel tophus permet, lors de l’examen en lumière polarisée, après imprégnation argentique, de reconnaître des amas de petits cristaux.


Mécanismes pathogéniques

La connaissance des troubles métaboliques observés dans la goutte a permis de distinguer la goutte dite « primitive » et la goutte dite « secondaire ».

• La goutte primitive, encore appelée goutte commune, est le résultat d’une exagération de la synthèse de l’acide urique, prouvée par l’utilisation de substances radio-actives. Cette exagération est d’origine génétique, comme en témoigne la fréquence des cas familiaux. Le mode de transmission reste discuté. On tend à admettre que sont impliqués plusieurs gènes à transmission indépendante. Le mécanisme intime qui préside à l’emballement de la synthèse de l’acide urique a pu, dans quelques cas, être rattaché à une carence enzymatique. Cette goutte dite « primitive » touche dans 95 p. 100 des cas l’homme ; chez la femme, elle apparaît rarement avant la ménopause.

La suralimentation, l’excès d’apport en alcool ne créent donc pas la goutte, mais, en apportant des substances susceptibles de se transformer en acide urique, favorisent indéniablement son apparition.

• La goutte secondaire est plus rare ; elle résulte d’une maladie préexistante :
— soit une affection sanguine, lorsque celle-ci comporte une production et une destruction accélérée des cellules sanguines, cellules riches en acides nucléiques, précurseurs de l’acide urique (conditions réalisées au cours de la polyglobulie et de la splénomégalie myéloïde) ;
— soit une affection rénale, provoquée par une accumulation d’acide urique dans le sang par insuffisance d’élimination dans les urines. L’intoxication par le plomb, parfois responsable de goutte (goutte saturnine), se rattache à cette dernière catégorie par le biais de lésions rénales.

Quant à la crise de goutte au niveau d’une articulation, on admet qu’elle est secondaire à la présence dans la jointure des microcristaux d’acide urique : lorsque ceux-ci sont absorbés par les globules blancs (phagocytes), ils libèrent au cours de l’opération des enzymes qui déclenchent l’inflammation.