Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

González (Julio) (suite)

En 1937, troisième date charnière, l’art de González (qui, cette année-là, se marie et s’installe dans sa propre maison à Arcueil) atteint à une sorte d’apogée : la Montserrat exposée au pavillon espagnol de l’Exposition internationale représente une synthèse exceptionnelle entre la forme construite telle que l’artiste la conçoit et la référence au réel. Dans ses dernières œuvres, et en particulier dans les diverses versions de l’Homme cactus, le jeu des volumes et des lignes atteint à un point d’équilibre éminemment suggestif.

L’importance de González ne fut pleinement reconnue qu’après la Seconde Guerre mondiale. Travaillant surtout le fer et créant des œuvres uniques, il n’a probablement pas bénéficié de la large diffusion que les tirages en bronze ont assurée à l’œuvre de son contemporain Giacometti*. Mais les abstraits ont reconnu en lui un de leurs pionniers, même si lui-même rejetait ce qualificatif. Face aux constructions géométriques d’un Gabo ou d’un Pevsner*, González apparaît comme plus sensible à la matière et à l’apparence des objets. C’est dans cette union du matériau de rencontre avec un graphisme austère — dont témoigne une abondante œuvre dessinée — que réside l’originalité de Julio González, qui, plus encore qu’un « plasticien du vide » (Maurice Raynal), peut être défini comme un dessinateur d’espace.

J. R. G.

 P. Descarges, Julio González (le Musée de poche, 1971).

Goodman (Benny)

Clarinettiste, saxophoniste et chef d’orchestre américain (Chicago 1909).


Parmi les jazzmen blancs, Benjamin David Goodman est surtout connu pour avoir popularisé l’art du grand orchestre à la fin des années 30. Fils d’une famille nombreuse, originaire de Russie et de condition modeste, il étudie la clarinette au moment où Chicago découvre la musique des Noirs du sud des États-Unis qui émigrent vers les cités industrielles. À treize ans, il s’inscrit au syndicat des musiciens pour faire partie des groupes de Charles Podalsky, de Chuck Walker, d’Arnold Johnson et d’Art Kessel. C’est pour lui l’occasion de fréquenter les musiciens de l’école de Chicago (chicagoans), et notamment Jimmy McPartland, Art Hodes et Dave Tough. En 1926, il part pour la Californie avec Ben Pollack, qu’il suit, après un stage chez Isham Jones (1927), à New York en 1928. Membre du groupe de Red Nichols (1929-30), il participe également à de nombreuses séances d’enregistrement dirigées par Paul Whiteman, Ted Lewis, Ben Pollack, Eddie Lang et Joe Venuti, Jack Teagarden, Hoagy Carmichael, Red Norvo et Bessie Smith. Il commence aussi à diriger des groupes orchestraux pour le disque. En 1934, il réunit un grand orchestre, qui bénéficiera de la popularité d’une émission radiophonique (Let’s Dance) diffusée à travers tous les États-Unis (Coast to Coast). Le succès est confirmé au Palomar Ballroom de Los Angeles en 1935, puis au Congress Hotel de Chicago en 1935 et en 1936. Goodman, idole de la jeune génération des « jitterbugs », qui découvrent des nouveaux pas de danse, devient la vedette de la mode « swing » (swing craze), qui trouve son apogée au cours de concerts organisés au Carnegie Hall le 16 janvier 1938, à New York, où la « bonne société » découvre le jazz. Dès 1936, il se singularise en faisant participer à ses travaux des musiciens noirs (Teddy Wilson au piano, Lionel Hampton au vibraphone, puis, plus tard, Cootie Williams, Charlie Christian, Slam Stewart et Sid Catlett) sans tenir compte des sentiments ségrégationistes encore très vifs même dans les milieux du jazz. En dépit d’une carrière parfois interrompue par la maladie (sciatique), son orchestre reste très populaire durant les années 50. Sa première visite en Europe s’effectue en Grande-Bretagne en 1939. Avec une petite formation où jouent le trompettiste Roy Eldridge et le saxophoniste Zoot Sims, il revient en 1950 sur le Vieux Continent, puis visite l’Extrême-Orient (1956-57) et l’Europe de nouveau en 1958 avec un grand orchestre. En 1962, il est le premier jazzman américain officiellement convié à présenter une grande formation en Union soviétique.

Si, à ses débuts, il improvise à la clarinette dans la tradition des solistes de style Chicago (Frank Teschemacher et Leon Rappolo, eux-mêmes influencés par Johnny Dodds et Jimmie Noone), il met au point ensuite un jeu plus personnel, séduisant à force de vélocité, voire de préciosité. Sa technique consommée, son habileté dans l’articulation du phrasé lui permettent de s’adapter à l’évolution des années 30, marquée par l’effacement des formules collectives au profit de la mise en valeur du soliste. Ces qualités s’épanouissent dans le contexte du grand orchestre. Les meilleurs arrangeurs du moment (Horace et Fletcher Henderson, Will Hudson, Edgar Sampson, Mary Lou Williams, Benny Carter et Jimmy Mundy) fournissent à Goodman des partitions qui seront exécutées par une équipe dont la précision d’ensemble n’exclut pas le brio en solo : Bunny Berigan, Chris Griffin, Harry James, Ziggy Elman et Cootie Williams aux trompettes, Lou McGarity au trombone, Vido Musso, Babe Rusin, Bud Freeman et Georgie Auld aux saxophones, Jess Stacy, Mel Powell ou Johnny Guarnieri au piano, Gene Krupa et Dave Tough à la batterie. Le répertoire, qui tient compte de la mode, les arrangements favorables à un swing direct exalté par le dynamique Gene Krupa, les solos — en particulier ceux du clarinettiste lui-même — contribuent à la production d’un « son Goodman », qui sera diversifié et amplifié vers un modernisme sophistiqué avec les œuvres de Deane Kincaide, de Claude Thornhill, d’Eddie Sauter, de Glenn Miller ou, à l’opposé, vers la romance pour grand public avec les chanteuses Helen Ward, Helen Forrest, Martha Tilton et Peggy Lee. C’est le secret de la « recette » Goodman : son style fait de rigueur, de richesse et de swing — voire de violence — est enrobé dans une enveloppe policée accessible au grand public, mais il flatte les puristes en exploitant avec bonheur l’excitation des solos en petite formation — trio d’abord avec Teddy Wilson et Gene Krupa, quartette ensuite avec l’appoint décisif de Lionel Hampton, sextette plus tard avec Charlie Christian, Cootie Williams, Red Norvo, Georgie Auld et Slam Stewart — ou d’autres musiciens d’inégale valeur. Ainsi, Goodman sut gagner sur plusieurs tableaux, même celui de la musique occidentale de concert, puisqu’il joua aussi, à l’occasion, du Mozart et du Bartók.