Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Gontcharov (Ivan Aleksandrovitch) (suite)

Pourtant, ce sédentaire, vissé à son fauteuil de bureau, caresse le projet d’un grand voyage. On le prend au mot en lui confiant une mission au Japon, et voilà Gontcharov, pris au piège de ses rêvasseries, souffrant mille morts sur un bateau secoué par les flots. De ce voyage, il rapportera un journal de bord publié sous le titre de la Frégate « Pallas » (1855-1857), et un goût plus prononcé encore pour la douce chaleur de son appartement pétersbourgeois.

En 1859, Gontcharov publie l’histoire complète d’Oblomov et, dix ans plus tard, le Précipice, qui déçoit les lecteurs, à la fois par la faiblesse de la composition et par les critiques qui y sont implicitement contenues contre les radicaux. Ce roman vaut d’ailleurs bien des tourments à son auteur : sur le même thème et vers la même époque, Tourgueniev, qui avait connu le Précipice avant sa publication, publiait Père et fils (1862) ; Gontcharov se prit aussitôt pour un paon à qui l’on aurait dérobé les plumes de la queue ; il parla de plagiat et en voulut beaucoup à Tourgueniev...

À cinquante-six ans, ce respectable fonctionnaire considérait sa vie comme assez remplie pour qu’il pût prendre sa retraite ; il posa presque définitivement la plume et attendit, tranquillement, dans la solitude, vingt ans durant, la mort.

Les personnages de Gontcharov sont des héros de l’impuissance. Riches en espérance et en belles paroles, généreux mais incapables d’agir, ils se prêtent plus qu’ils ne se donnent à la vie ; ils feignent l’amour plutôt qu’ils ne l’éprouvent, et leurs rêves, dès qu’ils se heurtent à la réalité, crèvent comme des baudruches. Adouïev, le héros d’une Simple Histoire, idéaliste, amoureux, épris d’art et de littérature, et Adouïev, son oncle, gros fonctionnaire qui parle avancement, carrière et profit, ne sont en fait qu’un seul et même personnage à deux âges de la vie : les songes creux de la jeunesse ne résistent pas à l’embonpoint de la maturité. De la même manière, Volokhov, ex-étudiant nihiliste qui veut balayer les préjugés de la vieille société et « asperger d’eau de jouvence les cerveaux humains », court au précipice par sa paresse et son indolence.

Mais, alors que ces deux romans, conduits comme des démonstrations presque mathématiques, manquent de vie et d’imagination, Oblomov traduit, jusque dans ses faiblesses, une certaine image de l’âme russe, faite de médiocrité, de nonchalance et de désœuvrement. Non que la peinture soit objective ou simplement réaliste ; en fait, tous ces récits naissent de l’expérience intime de l’auteur plus que de son observation ; même les tableaux de province, la critique du servage ou les conflits de générations qui se profilent en fond de toile sont des jugements personnels et subjectifs ; et, lorsque Gontcharov veut tracer le portrait d’un homme fort, aussitôt la peinture semble artificielle.

Oblomov, propriétaire terrien qui habite Saint-Pétersbourg, douillettement élevé à l’abri des soucis, sombre dans une aboulie pathologique dont son ami, l’Allemand Stolz — personnage antithétique, actif et énergique —, cherche à le tirer en lui présentant une jeune fille et en suscitant sa passion. Oblomov passe ses journées en robe de chambre, étendu sur un canapé dont il faut un chapitre pour le déloger ! Après quelques efforts, il retombe dans sa torpeur et se laisse épouser par sa logeuse.

Le roman se déroule dans une atmosphère accablante de tristesse, mêlée d’amertume, contre laquelle la volonté humaine semble ne rien pouvoir. Le destin qui écrase Oblomov symbolise celui-là même qui engourdit la noblesse russe et la jettera bientôt, inconsciente, à la merci des révolutionnaires.

S. M.-B.

 T. de Wyzewa, « Ivan Gontcharof » dans Écrivains étrangers (Perrin, 1897). / A. Mazon, Un maître du roman russe : Ivan Gontcharov (Champion, 1913).

González (Julio)

Sculpteur et orfèvre espagnol (Barcelone 1876 - Arcueil 1942).


Fils et petit-fils de ferronnier, González excella dans le travail du métal, et c’est au fer qu’il s’adressa pour réaliser ses œuvres les plus originales. Catalan, il fut dès sa jeunesse en contact avec un milieu artistique très ouvert aux manifestations les plus nouvelles (celui qui fréquentait à Barcelone le célèbre cabaret « Els Quatre Gats »), et cette influence explique sans doute le caractère très indépendant de ses recherches et aussi la conception grave et presque tragique qu’il se fit de son art. C’est à Paris, cependant, que se situent les étapes essentielles de son évolution.

En fait, trois dates semblent jalonner la carrière de Julio González. La première, 1900, coïncide avec son installation à Paris, où il s’établit avec son frère aîné Joan (peintre très brillant, mort prématurément en 1908) et où il s’affirme d’abord comme peintre. Tout en fréquentant les artistes d’avant-garde (notamment Picasso), González reste nettement en retrait des grands courants novateurs. Plus encore que par sa peinture, il se fait alors connaître comme orfèvre et artiste décoratif. Ce faisant, et presque malgré lui, il ne cesse de s’intéresser à des problèmes qui sont plus du domaine de la sculpture que de celui de la peinture. Ses premiers essais (Nu debout, 1910-1916 ; le Couple, 1914) sont encore marqués par l’influence de Rodin. Mais une série de masques lui permet d’appliquer la technique relativement originale du bronze repoussé. En 1917, il s’initie au procédé de la soudure autogène. Vers 1927, il commence à réaliser quelques sculptures en fer, qu’il exposera au Salon d’automne de 1929.

Il semble que cette deuxième date charnière marque une rupture : à des sculptures de taille assez réduite et encore chargées de réminiscences « décoratives » (même le célèbre Don Quichotte, 1929) succèdent de grandes constructions, dont l’Arlequin (1927-1929, Zurich, Kunsthaus) peut être considéré comme la préfiguration : Daphné (1930-1933), la Grande Maternité (1930-1933, Londres, Tate Gallery), les diverses variantes de la Femme se coiffant (1930-1936), la Grande Trompette (1932-1934). Cet « art de ferrailleur », pour reprendre l’expression de certains critiques, surprit même le public le mieux disposé : devant ces formes, où tout volume et même tout espace étaient anéantis, pouvait-on encore parler de sculpture ?