Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Germanie

En lat. Germania, contrée de l’Europe centrale.


Peuplée progressivement par les Germains* entre 1000 av. J.-C. et 500 apr. J.-C., la plaine de l’Europe du Nord entre Rhin et Vistule reçoit, au plus tard au ier s. av. J.-C., le nom de ses occupants, nom qu’illustre Tacite en le donnant pour titre à l’un de ses plus célèbres ouvrages.

Le De origine et situ Germaniae (rédigé v. 98 apr. J.-C.) décrit ce pays de forêts et de marécages, habité de populations diverses et belliqueuses. Certaines tribus sont placées de fait sous l’autorité de Rome dès le ier s. de notre ère : il en est ainsi des Frisons, des Bataves et des Trévires à l’ouest du Rhin, des Vindeliciens et des Taurisques au sud du moyen Danube. Ces peuples se trouvent donc séparés de leurs frères germaniques : Bructères, Sicambres et Chattes dans le premier cas, Hermondures, Marcomans et Quades dans le second.

Les premières de ces tribus, renforcées à l’arrière par les Chérusques établis entre la moyenne Weser et le cours moyen du Main, menacent la sécurité de l’Empire, dont Auguste désire repousser la frontière jusqu’à l’Elbe.

Ne parvenant pas à contrôler par voie de mer les rives germaniques de la mer du Nord, Auguste tente en vain d’occuper le territoire convoité : l’expédition menée par Tibère en 4 apr. J.-C. traverse le territoire des Chattes et des Bructères sans les soumettre ; en 6 apr. J.-C., l’action convergente menée contre Marobode, le roi des Marcomans établis en Bohême vers 9 av. J.-C., échoue du fait de la révolte de l’Illyricum ; en 9, l’habileté d’Arminius entraîne la perte de Varus au cœur de la forêt de Teutoburg. Germanicus enfin peut anéantir les Marses en 14 et écraser les forces du Chérusque Arminius à Idistaviso en 16, il ne détruit pas leur force de résistance.

Tibère rappelle Germanicus en 17 et renonce à occuper la rive droite du Rhin, à l’exception du pays des Canninéfates, des Frisons et des Chauques, dans le delta du fleuve, et d’une tête de pont en face de Mogontiacum (Mayence) ; il entreprend de réorganiser la frontière du Rhin.

Renonçant à l’unité de commandement de l’armée romaine qui la défend, il la confie aux deux légats de Germanie supérieure et de Germanie inférieure, districts militaires de la province de Belgique. La frontière du Rhin, qui est renforcée de nombreux ouvrages fortifiés édifiés à Remagen, à Sinzig, à Vindonissa (auj. Windisch), etc., n’est menacée qu’en 28 apr. J.-C. par la brève révolte des Frisons. Parallèlement, l’élimination de Marobode par son rival Catualda en 18 apr. J.-C. permet à Tibère de faire accepter le protectorat de Rome aux Marcomans de Bohême.

Dans la crainte d’un réveil de la Germanie, Claude fait construire de nombreux castella, implantés au-delà du Rhin et du Danube. Poursuivant son œuvre, les Flaviens repoussent progressivement la frontière vers le nord-est et entreprennent la construction, entre Confluentes (auj. Coblence) et Castra Regina (auj. Ratisbonne), d’un limes puissamment fortifié, qu’Antonin déplace légèrement vers l’est (au iie s.) dans la partie centrale entre le Main et la Rems.

Les districts militaires de Germanie supérieure et de Germanie inférieure, détachés en 90 de la Belgique, sont érigés en provinces, dont les chefs-lieux respectifs, Colonia Claudia Ara Agrippinensis (auj. Cologne) et Mogontiacum (auj. Mayence), servent de résidences aux légats consulaires qui les gouvernent et en assurent la défense, articulée autour des grands camps légionnaires de vétérans (établis par Trajan), Bonn, Mogontiacum et Argentoratum (auj. Strasbourg), aux portes desquels se multiplient les canabae peuplées de marchands, de femmes et de leurs enfants illégitimes : les ex castris.

À l’abri du limes qui rend possible la jonction directe des armées du Danube et du Rhin et facilite la diffusion dans la Germanie romaine des hommes, des produits et des idées de l’Orient, notamment du mithriacisme, Rome procède dès la fin du ier s. apr. J.-C. à la colonisation par de petits propriétaires gallo-romains des Agri Decumates.

L’une des régions les plus peuplées de l’Empire, la Germanie romaine, devient l’objet d’une intense mise en valeur agricole (vignobles de la Moselle, défrichements des Champs Décumates, iie s. apr. J.-C.) et industrielle (zinc de Gressenich, près d’Aix-la-Chapelle ; poteries sigillées de la forêt de Coblence ou de Mayence ; briqueterie de Rheinzabern, fondée au moins dès 50 apr. J.-C. ; manufactures légionnaires de Xanten et de Neuss pour la poterie, de Weisenau près de Mayence pour les lampes, dont le travail se trouve ralenti par la révolte du Batave Civilis en 70, révolte qui favorise par contrecoup les ateliers civils de poterie sigillée établis à Heiligenberg et à Rheinzabern ; industrie du laiton, transférée vers 80 de Capoue dans la région de Liège et d’Aix-la-Chapelle ; verrerie accueillie par Cologne ; enfin, textiles, dont Trèves devient un centre célèbre [foulage, teinture]).

Les principales bénéficiaires de cette expansion sont les villes rhénanes, notamment Strasbourg et Cologne. Bien équipées (manufactures, ports, docks, entrepôts), elles assurent la redistribution locale des denrées alimentaires importées massivement du reste de l’Empire (céréales, vin, huile, conserves), ainsi que l’exportation de leur propre production à travers toute la Germanie en échange de l’ambre, des esclaves et des fourrures des pays baltiques.

Un tel trafic est facilité par la densité des voies de communication romaines d’intérêt militaire (rocades parallèles au limes, au Rhin ou au Danube ; routes de liaison avec l’arrière-pays [Cologne-Bavay]), dont les principales suivent l’axe séquano-rhodanien prolongé par la Moselle et la gouttière helvétique ; par les fleuves, enfin, desservis par les flottes du Danube et du Rhin (classis germanica), dont l’action économique se trouve prolongée par le commerce des produits pondéreux en provenance ou à destination des pays de la mer du Nord, voire de la Baltique, par un cabotage qui atteint la Norvège et remonte l’Ems, la Weser et l’Elbe.

Mais cet essor de la Germanie romaine se trouve remis en cause par le réveil en 166 des Germains du Danube, Quades et Marcomans, que Marc Aurèle réussit à rejeter au-delà du fleuve.