Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Germains (suite)

Sous la conduite d’Arioviste, ils se portent en effet en 72 av. J.-C. au secours des Séquanes, tribus celtiques menacées par les Éduens. Ces derniers, vaincus et opprimés par les Suèves, font appel à César, qui, en 58 av. J.-C., écrase l’armée d’Arioviste dans le sud de l’Alsace. Arioviste abandonne aux Romains les pays situés à l’ouest du Rhin ; il laisse alors César traverser ce fleuve à deux reprises près de Coblence ; en même temps, celui-ci jette les bases de la colonisation des pays situés au sud du Danube, pays qui constituent à partir de 16-15 av. J.-C. les deux provinces de Rhétie et de Norique.

Dès lors contenus par les forces romaines le long des rives occidentales et méridionales du Rhin et du Danube — rives qui sont renforcées à partir de la deuxième moitié du ier s. apr. J.-C. par les fortifications de limes —, les Germains se stabilisent dans leur habitat du centre et du nord de l’Europe, se contentant de briser toutes les velléités de Rome de les assujettir à son joug, notamment lorsqu’ils détruisent les légions de Quintilius Varus dans la forêt de Teutoburg en 9 apr. J.-C.

Nés avant ou après la formation de leur communauté linguistique, mais n’ayant jamais pris conscience de leur unité ethnique et ne s’étant donc jamais réunis en une seule communauté politique, les peuples (ou Stämme) germaniques affirment alors de plus en plus nettement leur individualité sous l’autorité de dynastes auxquels leur ascendance divine confère un caractère sacré dont bénéficient les plus célèbres d’entre eux entre le ve et le viiie s. apr. J.-C. (Amales ostrogothiques, Balthes wisigothiques, Mérovingiens francs, etc.), à moins qu’ils ne fondent leur pouvoir sur la conquête et le compagnonnage. En fait, à l’époque historique, seuls les peuples proches des territoires celtiques semblent avoir préféré un type de régime confiant le pouvoir à des chefs de lignage aristocratique : les « principes » de Tacite.

Mais, à la faveur de cette période de stabilisation qui dure près de deux siècles, une nouvelle influence s’exerce sur les Germains, celle des Romains, dont les instruments essentiels sont l’armée, que les Germains servent comme fédérés ou auxiliaires, parfois aux plus hauts postes, et le commerce, auquel ils se livrent avec les négociants méditerranéens le long des grandes voies : Aquilée - Carnuntum - Baltique et Marseille ; Jylland occidental par le Rhône, la Moselle, le Rhin, la Lippe et l’Elbe (route de l’ambre).

Échangeant armes, cheveux de femmes, plumes d’oies, bovins et esclaves contre d’autres armes, de la poterie, de la verrerie et des étoffes, les plus riches d’entre eux adoptent un mode de vie plus luxueux et se dotent même d’une écriture alphabétique : les runes, inventés sans doute dans le Jylland au iie s. apr. J.-C. et qui ont survécu en Angleterre jusqu’au ixe s., en Scandinavie jusqu’au xve s. Dotés d’un caractère magique à l’origine, ces runes sont l’une des manifestations de la croyance des Germains dans les forces surnaturelles qu’ils divinisent et surtout dans le Destin, représenté par les trois Nornes (Urd, Verdandi et Skuld), qui représentent le passé, le présent et l’avenir, c’est-à-dire les trois temps à l’intérieur desquels s’inscrit la vie de l’homme dans un monde que les dieux n’ont pas créé, mais ordonné.

Les Germains ne restent d’ailleurs pas également fidèles au paganisme. Plus redoutables pour l’Empire, puisque plus nombreux, et responsables par leurs migrations en Europe orientale de la reprise des assauts de leurs frères contre l’Empire le long du Danube en 166 apr. J.-C., les Goths, évangélisés dans la seconde moitié du iiie s. apr. J.-C., se convertissent à la forme arienne du christianisme sous l’influence de l’un d’eux, l’évêque Ulfilas, dans le troisième quart du ive s. Imitant les Wisigoths et les Ostrogoths, Vandales, Gépides, Alains, Ruges, Alamans, Thuringiens et finalement Lombards s’arianisent à leur tour, ce qui, paradoxalement, rend plus difficile leur intégration à l’Empire, au sein duquel l’orthodoxie catholique s’affirme victorieuse au ve et au vie s. Privés de l’appui de l’Église, ces Germains ne sont qu’une minorité isolée au sein du monde romain, qu’ils ont pourtant pénétré profondément depuis le iie s. apr. J.-C. Après les percées coûteuses mais sans lendemain effectuées, en 166, par les Quades et les Marcomans de la Pannonie à la Vénétie, les Costoboques et les Bastarnes du Danube à l’Achaïe, les Germains ont multiplié leurs raids destructeurs au iie et au iiie s. en Germanie supérieure en 254, en Belgique vers 259, en Gaule entre 268 et 278, puis en 352 (Alamans), en 388 (Francs), en Italie en 260 et en 270 (Alamans), dans les Balkans et en Asie Mineure entre 258 et 269 (Goths). Finalement, après les traversées décisives du Danube par ces derniers en 376 (victoire d’Andrinople, remportée sur l’empereur Valens en 378) et du Rhin par les Vandales, les Alains et les Suèves, le 31 décembre 406, ces Barbares arianisés s’installent définitivement dans la Pars occidentalis de l’Empire. Pourtant, Vandales d’Afrique du Nord, Ostrogoths d’Italie et Wisigoths d’Espagne ne survivront pas, les premiers et les deuxièmes à la reconquête byzantine du vie s., les derniers à la conquête musulmane du début du viiie s. Au contraire, leurs frères restés païens : Francs, Angles, Jutes et Saxons, réussissent à s’implanter durablement dans l’Empire grâce à l’appui de l’Église catholique, qui les convertit à l’orthodoxie romaine à la fin du vie et au cours du viie s. et trouvera chez eux d’intrépides missionnaires.

P. T.

➙ Barbares / Francs / Germanie / Lombards / Ostrogoths / Vandales / Wisigoths.

 F. Lot, la Fin du monde antique et le début du Moyen Âge (A. Michel, coll. « Évolution de l’humanité », 1927 ; nouv. éd., 1968) ; les Invasions germaniques. La pénétration mutuelle du monde barbare et du monde romain (Payot, 1935 ; 2e éd., 1945). / T. Frings, Germania Romana (Halle, 1932). / R. Latouche, les Grandes Invasions et la crise de l’Occident au ve siècle (Aubier, 1946). / P. Courcelle, Histoire littéraire des grandes invasions germaniques (Hachette, 1948). / E. Schwarz, Goten, Nordgermanen, Angelsachsen. Studien zur Ausgliederung der germanischen Sprachen (Berne, 1951). / H. Hubert, les Germains (A. Michel, coll. « Évolution de l’humanité », 1952). / P. Riche, les Invasions barbares (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1953 ; 4e éd., 1968) ; Grandes Invasions et empires, ve-xe siècle (Larousse et Libr. gén. fr., 1968). / G. Dumézil, les Dieux des Germains (P. U. F., 1959). / L. Musset, les Invasions, t. I : les Vagues germaniques (P. U. F., coll. « Nouvelle Clio », 1965). / E. A. Thomson, The Early Germans (Oxford, 1965). / R. Hachmann, Die Germanen (Munich, 1971 ; trad. fr. les Germains, Nagel, 1971).