Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

géomorphologie

Branche de la géographie* physique.


La géomorphologie (du grec : , terre ; morphê, forme ; logos, science) est, au sens étymologique, la science des formes de la Terre. Elle se propose de décrire, de classer et d’expliquer les multiples aspects du relief terrestre, continental et sous-marin.

L’objet de ses études est la surface le long de laquelle la lithosphère entre en contact avec l’atmosphère et l’hydrosphère. Deux forces antagonistes s’affrontent de part et d’autre de cette surface : des forces internes (tectonique, volcanisme), qui déforment la croûte terrestre ; des forces externes (l’eau, le vent, la glace...), dont l’action prolongée tend à en réduire les inégalités. Le relief doit donc être envisagé comme le bilan, à un instant donné, de cette interférence, ou, mieux, comme un « équilibre mouvant », selon l’heureuse expression de Jean Tricart.


Le développement

Dès l’Antiquité, les esprits curieux ont essayé de comprendre le relief. Pourtant, la géomorphologie n’est véritablement née qu’à la fin du xixe s. Sans doute relève-t-on de perspicaces observations dans les carnets de Léonard* de Vinci et plus encore dans les travaux de Bernard Palissy*. Sans doute, aussi, les recherches des ingénieurs des xviiie et xixe s., restés très près de la nature, présentent-elles un réel intérêt géomorphologique : le mémoire d’Alexandre Surell sur les torrents des Hautes-Alpes (1841) en est la meilleure preuve. Un pas décisif avait été franchi lorsque James Hutton (1726-1797), étudiant les discordances des bassins houillers anglais, démontra que d’anciennes montagnes ont été nivelées par l’érosion ; mais il faudra attendre encore longtemps pour que A. C. Ramsay énonce clairement qu’un tel aplanissement est l’œuvre de processus d’érosion identiques à ceux qu’il nous est donné d’observer actuellement (principe de l’actualisme). Les remarquables travaux de John Wesley Powell (1834-1902) et de Grove Karl Gilbert (1843-1918) dans l’Ouest américain devaient en apporter une éclatante démonstration.

Cependant, la géomorphologie restait du domaine de la géologie. Ce n’est que dans les dernières années du xixe s. que William Morris Davis (1850-1934) devait en faire une discipline autonome en coordonnant les observations de ses prédécesseurs en une synthèse cohérente fondée sur la théorie du « cycle d’érosion ». Selon cette théorie, les reliefs créés par le jeu, quasi instantané à l’échelle géologique, de la tectonique sont attaqués par l’érosion, qui les réduit à l’état de pénéplaine au terme d’une longue évolution dont les étapes successives s’enchaînent inéluctablement.

Mais, fondés sur l’imagination plus que sur l’observation, les schémas davisiens ne devaient pas tarder à scléroser la recherche. Le cycle d’érosion repose en effet sur le concept d’« érosion normale », dont on croit suffisamment connaître les lois pour se dispenser d’analyser les processus qui concourent à modeler les reliefs. D’autre part, le cycle d’érosion pose en principe que les déformations tectoniques sont de brutales crises suivies de longues phases de stabilité absolue, ce que contredisent les faits.

Le renouveau de la géomorphologie s’est amorcé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lorsque, dans la lignée des naturalistes allemands (Ferdinand von Richtofen [1833-1905], Siegfried Passarge [1867-1958]), on a reconnu la diversité du façonnement des reliefs suivant les milieux bioclimatiques et l’importance des formes héritées modelées sous des climats différents de l’actuel. Au même moment était affirmée la simultanéité des déformations tectoniques et de l’érosion. Enfin, exploitant la notion de « formation corrélative » introduite par Walther Penck (1888-1923) et selon laquelle les dépôts sont le reflet des reliefs et des modalités de l’érosion qui les ont engendrés, les géomorphologues se sont forgé un fructueux instrument de recherche.


La méthodologie actuelle

Dès lors, face à un relief donné, une étude géomorphologique doit résoudre une série de problèmes.

• Dégager les influences structurales : influence directe si le relief se calque sur les déformations tectoniques qui lui ont donné naissance ; influence indirecte s’il résulte de la mise en valeur par le jeu de l’érosion différentielle des contrastes de résistance d’un matériel rocheux dont la disposition commande l’architecture des formes. La géomorphologie est ici tributaire de la géologie, à laquelle elle demande les éléments nécessaires à son enquête. Toutefois, le comportement des roches à l’égard de l’érosion n’est pas nécessairement évident et suppose parfois le recours à des études complémentaires d’un type particulier : mesure de la porosité et de la fissuration d’une roche cristalline, expériences sur la gélivité d’un calcaire... En outre, la résistance relative des roches varie en fonction des climats.

• Identifier les formes modelées par les divers systèmes morphogénétiques qui ont laissé des traces dans le paysage (cirque glaciaire, glacis d’érosion) et les formations corrélatives qui leur sont liées (cône de déjection, coulée de solifluction, moraine de front...). L’interprétation de ces dernières repose sur un certain nombre de critères relevant de techniques diverses. Les unes, relativement simples, peuvent être pratiquées par le géomorphologue lui-même (granulométrie, morphoscopie des sables par exemple) ; d’autres, au contraire, nécessitent de faire appel à des spécialistes (minéralogie des argiles, palynologie).

• Reconstituer l’évolution. Il s’agit en premier lieu d’établir des corrélations entre les formes et les formations en les groupant par générations ; plusieurs méthodes peuvent être utilisées dans ce travail, qui s’avère délicat et est souvent l’objet de désaccords entre plusieurs chercheurs s’intéressant à une même région. On a donc intérêt à multiplier les critères pour lever les incertitudes : agencement dans l’espace, types d’altération, caractéristiques granulométriques... En second lieu, les familles de formes ainsi définies doivent être classées dans un ordre chronologique en recourant aux enchaînements logiques qui relient les générations entre elles et en utilisant tous les repères de datation disponibles (faunes, flores...). Ainsi, de proche en proche, en contrôlant à chaque étape du raisonnement qu’il n’y a pas désaccord avec les observations, se bâtit le scénario suivant lequel les différents éléments du relief sont venus s’inscrire dans le paysage.