Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Gama (Vasco de) (suite)

Depuis ce dernier exploit, toutefois, un événement capital a pu laisser penser aux rois portugais que ces efforts ont été vains : Christophe Colomb a osé rechercher la route de l’Orient par l’ouest. Mais les renseignements sur le nouvel itinéraire se précisent avec le deuxième voyage du Génois : à son retour (juin 1496), il apparaît que les terres découvertes ne ressemblent guère à celles de l’Asie du Sud-Est. La conquête d’un nouveau monde outrepasse les pouvoirs d’un bien petit pays ; il reste au Portugal à s’édifier une prodigieuse puissance commerciale en ravissant aux Arabes le trafic des épices sur l’océan Indien : les rapports d’un agent portugais, Pêro da Covilhã, viennent d’ailleurs de préciser toute l’activité qui règne sur les rives de cette mer lointaine.

Il est temps pour Manuel d’envoyer un ambassadeur au plus grand souverain des côtes indiennes pour amorcer l’opération de détournement commercial. Vasco de Gama dispose de quatre navires, dont la construction a été particulièrement soignée. Innovation remarquable, ils emportent des pièces de rechange pouvant être utilisées indifféremment sur chacun d’entre eux. Le chef de l’expédition embarque sur le São Gabriel, navire de 120 tonneaux ; son frère Paulo commande le São Rafael, de 100 tonneaux ; le petit Bérrio ne compte que 50 tonneaux, mais le navire de charge, pour les approvisionnements de l’aller, jauge 200 tonneaux. Les équipages auraient compté 170 personnes (320 selon certains), dont divers aventuriers, auxquels seront réservées des missions périlleuses.

Bien que cela ne soit pas précisé par le journal de voyage anonyme de l’expédition, il semble bien que Vasco de Gama, parti le 8 juillet 1497, ait trouvé d’emblée la bonne voie en osant, au-delà du cap Vert, aller en plein océan pour profiter des alizés et éviter les calmes équatoriaux du golfe de Guinée. Après un immense détour, il aurait retrouvé, vers 30° de lat. S., les grands vents d’ouest qui le ramènent près de l’extrémité sud de l’Afrique le 4 novembre 1497. Le 22 novembre, après une terrible tempête qui provoque une ébauche de mutinerie, le Cap est franchi, et, le 25, le navire de charge est démantelé après que l’on a récupéré toute sa cargaison et toutes les pièces utiles. À Noël on suit une côte à peu près déserte d’un pays baptisé « Natal ». À la « Terra da Boa Gente », les indigènes ont été accueillants. À partir du 22 janvier, les navires sont radoubés à l’embouchure de l’un des bras du Zambèze : déjà des contacts peuvent être établis avec les indigènes, qui comprennent un peu l’arabe : le voyage de pure découverte est terminé. On entre dans les régions décrites par Pêro da Covilhã : la conquête commerciale va commercer à partir de ce « rio dos Bons Sinais » (des « bons présages »).

Le 2 mars, Mozambique est en vue. Des musulmans et le souverain du lieu viennent visiter les navires et confirment que l’on est entré dans les pays qui commercent avec l’Inde. D’abord amicaux, les rapports se détériorent rapidement, et des escarmouches se produisent : les commerçants locaux comprennent très vite que les nouveaux venus risquent fort de bouleverser l’ordre des choses ; il leur faut agir. À Mombasa, que l’on atteint le 7 avril, l’accueil du sultan est amical. Mais la question infligée par les Portugais à des otages révèle qu’un guet-apens se mijote, et il faut repartir rapidement.

À l’escale suivante, Melinde (auj. Malindi, au Kenya), le sultan n’est pas en force : il se résout à faire un véritable bon accueil à Vasco de Gama, qui rend ses otages musulmans et obtient qu’on lui prête, pour la dernière partie de son voyage, un pilote, nommé Malemo Cana. Ce dernier était peut-être un des navigateurs les plus réputés de son temps, Aḥmad ibn Mādjid. Le pilote, en tout cas, révèle à Gama la science nautique des navigateurs arabes de l’océan Indien, et, après vingt-trois jours de navigation, les Portugais jettent l’ancre à deux lieues au nord de Calicut (auj. Kozhicode), le 20 mai 1498.

La confrontation sur le territoire indien de l’Europe marchande et de l’islām est un événement majeur de l’histoire : bien plus encore qu’un découvreur, Gama apparaît alors comme un grand politique. Il feint de croire que les cultes hindous à la déesse Krishna sont d’essence chrétienne et, par ses prosternations, se démarque des commerçants musulmans : il fait naître ainsi pour les autorités locales l’idée de profiter d’une concurrence nouvelle chez les clients étrangers. Mais, par l’intermédiaire d’une caste de guerriers, les « naïrs », auxquels ils ne ménagent pas les subsides, les Arabes sont très puissants et tentent de décourager les chrétiens par mille avanies. Ils font proposer notamment aux nouveaux venus des marchandises de dernière qualité, à des prix doubles de la normale. Ces ruses se retournent contre leurs auteurs : Vasco de Gama paie sans barguigner. Décidément, pour les hindous, la libre concurrence annonce de beaux jours. Après une longue attente, car la situation entraîne mille intrigues, le « samorin », le souverain de Calicut, décide enfin d’accueillir l’ambassadeur du roi de Portugal : les cadeaux de Vasco de Gama, bien modestes aux yeux du potentat, sont reçus avec dédain. Cependant, l’essentiel est acquis, et les Portugais obtiennent le droit de commercer librement à Calicut. De nouvelles intrigues valent à Gama d’être retenu à terre ; enfin, on lève l’ancre le 29 août.

Après une fructueuse escale à Cannanore, les vents ne permettent pas encore de traverser l’océan. On radoube les navires à l’île Angediva (Anjidiv, en face de Karwar), et une attaque d’un chef local est repoussée. Le départ vers l’Afrique a lieu le 15 octobre ; Melinde n’est atteint que le 7 janvier 1499. Les équipages sont décimés par le scorbut (l’expédition ne comptera que cinquante-cinq survivants). Il faut se concentrer sur le São Gabriel et le Bérrio ; le São Rafael est détruit. Le 20 mars, on entre dans l’Atlantique. Vasco de Gama, retardé par la mort de son frère, aux Açores, n’est de retour au Portugal qu’à la fin d’août, après Nicolau Coelho, arrivé dès le 10 juillet 1499. L’expédition avait été fort rentable sur le simple plan commercial, puisque ses frais étaient remboursés soixante fois ; vingt mille cruzados d’or récompenseront Vasco de Gama, qui sera nommé « amiral des Indes ».