Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Front populaire (suite)

Il semble qu’à Moscou Staline et ses collaborateurs immédiats se soient inquiétés de la possible venue au pouvoir à Paris d’un gouvernement anticommuniste qui conclurait peut-être avec Rome et avec Berlin un pacte redoutable pour l’U. R. S. S. : d’où la signature, le 2 mai 1935 (par Laval et Staline), d’un pacte franco-soviétique. À partir de ce moment, les communistes français renoncent à leur opposition de principe à la défense nationale en régime capitaliste, et ils tendent la main non seulement aux socialistes, mais aux radicaux et aux classes moyennes.

De son côté, en septembre 1934, la C. G. T. avait accepté la fusion avec la C. G. T. U. (Confédération générale du travail unitaire), à direction communiste (Benoît Frachon, Julien Racamond), fusion effective en mars 1936.


L’élaboration d’un programme commun

Le Comité directeur du Front populaire, où siègent les délégués de dix grandes organisations, élabore, d’octobre 1935 à janvier 1936, un programme d’action. Ce n’est pas sans difficulté. Car deux tendances antagonistes s’opposent. Pour les uns, qu’ont influencés les thèses planistes d’Henri de Man (1886-1953), il faut envisager des réformes de structure qui comporteraient un petit nombre de nationalisations bien choisies, permettant de diriger l’économie en vue de la liquidation du chômage. La S. F. I. O. et la C. G. T. inclinent en ce sens.

Pour les autres (radicaux et communistes, paradoxalement rapprochés), il faut se contenter de formuler des revendications immédiates susceptibles de susciter une vaste résonance électorale sans effaroucher les classes moyennes, dont, en définitive, dépend l’issue de la prochaine consultation électorale. En cas de victoire, chacun pense d’ailleurs à la formation d’un ministère à direction radicale.


La victoire électorale du Front populaire aux élections du 26 avril et du 3 mai 1936

Les élections assurent une large victoire (386 sièges) aux partis associés dans le Front populaire et font du groupe socialiste S. F. I. O. le groupe le plus nombreux de la majorité nouvelle.

Le 4 mai, Léon Blum, leader de la S. F. I. O., revendique donc la mission de constituer le nouveau cabinet, que personne n’ose lui refuser ouvertement, malgré certaines réserves. Avant la réunion de la nouvelle Chambre des députés, il reste un délai de près d’un mois. Léon Blum pense l’utiliser non pas à définir son programme, ni à délimiter sa majorité (c’est chose faite), mais à choisir ses collaborateurs au gouvernement. Dès le 14 mai, à l’offre de participation qui lui est adressée par Léon Blum, le parti communiste répond par la négative : « Les communistes serviront mieux la cause du peuple en soutenant loyalement, sans réserve et sans éclipse, le gouvernement à direction socialiste plutôt qu’en offrant par leur présence dans le cabinet le prétexte aux campagnes de panique et d’affolement des ennemis du peuple. »

Le cabinet Léon Blum (4 juin 1936) comprendra donc des ministres socialistes (Intérieur et départements économiques et sociaux), des radicaux (Affaires étrangères, Justice, Éducation nationale et Défense nationale) et, en petit nombre, des socialistes indépendants. Mais, avant même que soit constitué le cabinet, surgit une grande vague de grèves avec occupation d’usines, que nul n’avait prévue, ni dans les milieux parlementaires, ni dans les états-majors syndicaux.


L’explosion sociale de mai-juin 1936

Elle s’explique, semble-t-il, par l’impatience de militants de la base, appartenant parfois à des minorités « gauchistes » des partis ouvriers ou des syndicats et agissant en dehors des grandes organisations. Les travailleurs ne comprennent pas la raison du délai qui retarde la constitution du gouvernement. Ils redoutent qu’on ne les frustre de leur victoire et que ne survienne, comme en 1926 ou en 1934, un renversement de majorité. Les dirigeants du parti socialiste et de la C. G. T. craignent, eux, que l’opinion, d’abord sympathique, ne se retourne contre les grèves et que des actes de violence n’effarouchent les classes moyennes ; au surplus, l’occupation constitue une atteinte évidente au droit de propriété.

Finalement, après des semaines tumultueuses, le mouvement s’apaise grâce à l’action des militants syndicaux, qui, usant de leur autorité, empêchent l’extension de la grève au secteur public, aux transports et à l’alimentation, puis qui acceptent de conclure les accords Matignon, mis au point dans la nuit du 7 au 8 juin.

De son côté, Léon Blum s’est engagé, sur divers points, à aller sensiblement plus loin que le programme du Front populaire (il ne comportait pas la semaine de 40 heures). Enfin, Maurice Thorez, le 11 juin 1936, au gymnase Jaurès, a conseillé la modération.


Les difficultés du cabinet Léon Blum

Si la fin de juin et le début de juillet ont été marqués par une relative euphorie, les difficultés bientôt s’accumulent pour le gouvernement.

• La situation du franc est critique : le 1er octobre, le cabinet est contraint à une dévaluation qu’il avait déclaré vouloir écarter.

• À partir du 18 juillet, la guerre civile d’Espagne* brise l’unité morale du Front populaire, le parti communiste et certains socialistes et syndicalistes reprochant à Léon Blum de ne pas fournir « des avions, des canons » à l’Espagne républicaine.

• À partir de septembre, de nouvelles grèves surgissent, dues à des causes multiples ; les employeurs se montrent réticents lorsqu’on leur demande de négocier de nouveaux accords.

• L’application de la semaine de 40 heures ne liquide pas le chômage comme on l’avait espéré ; la reprise économique amorcée s’éloigne.

Au cours de ces semaines, diverses réformes de structure sont entrées en vigueur : nationalisation de la Banque de France et des industries de guerre ; instauration de l’Office national du blé, dû à Georges Monnet, ministre socialiste de l’Agriculture.

Les effectifs de la C. G. T., qui, lors du congrès d’unité de mars 1936, avoisinaient le million, se sont considérablement accrus, approchant les 5 millions. Nombre de nouveaux venus ont renforcé la tendance communiste (qui, au congrès de Nantes en novembre 1938, paraît majoritaire).