Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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France (suite)

Lancée ensuite à la conquête de son passé, mis au jour par les éditions de Rameau et des maîtres de la Renaissance, la musique française y puise, après 1890, le ferment d’un esprit « national », dont le besoin est ressenti pour échapper aux modèles allemands. Vincent d’Indy* collecte dans ce dessein les survivances du folklore français, qu’il utilisera pour sa thématique. La découverte des modes grégoriens contribue de même à une mutation du système tonal amorcée par Franck.

Le meilleur de la production française jusqu’en 1914 est concentré dans la musique instrumentale et dans la mélodie.

L’opéra ne se détache du modèle italien que pour suivre le modèle wagnérien (Fervaal de Vincent d’Indy). Seul Pelléas et Mélisande (1902) de Debussy*, parfait chef-d’œuvre, dont la filiation avec le drame wagnérien, notamment par l’emploi du leitmotiv, est indéniable, laisse espérer, par la complète fusion entre musique et verbe, que la crise du théâtre français est terminée. En fait, l’œuvre reste isolée comme, dans un tout autre domaine, Carmen (1875), qui, salué comme une totale réussite et une revanche de l’esprit latin, engendre un théâtre réaliste. La veine comique qui court dans les œuvres scéniques de Chabrier* et dans l’Heure espagnole de Ravel* a le mérite de libérer le genre de son arsenal de bons sentiments.

On retrouve cette réaction dans la mélodie française, qui, issue de la romance française et du lied allemand, s’échappe très vite de la phase « romantique » servie par la poésie contemporaine, d’une exceptionnelle qualité. Les mélodies d’Henri Duparc* sont d’une conception ample : le piano, orchestral, devient le complément indispensable de l’expression vocale. À travers Fauré*, Debussy, Ravel, la mélodie évolue sur le double plan du traitement de la voix et de la participation du piano, la forme disparaissant au profit d’une élaboration continue, servante du texte littéraire. La ligne mélodique se dépouille et devient un « récit », parfois quasi parlando, dont les inflexions et les élans sont étroitement contrôlés et soumis à la prosodie et aux nuances expressives du texte, de la gravité méditative à l’ironie. Le piano évolue parallèlement : il devra suggérer un climat ; pour cela, il reprend les acquisitions de l’école française de piano, qui s’est développée depuis les années 1880 sous la double impulsion de Chabrier et de Franck. Le premier renoue avec le pittoresque et l’imagination dans des tableautins pleins de saveur ; le second choisit de vastes architectures inspirées de Bach. En marge, Fauré reprend les formes léguées par Chopin et y coule son langage personnel. Les sources de Debussy et de Ravel, qui, de 1900 à 1910, suivent une évolution curieusement parallèle, se résument à Chabrier pour l’esprit et à Liszt pour la technique. Celui-ci avait entrevu les possibilités de l’instrument. Il appartient à Ravel et à Debussy d’avoir exploré ses résonances et ses timbres. Le terme d’impressionnisme appliqué à cette musique peut être admis si l’on entend par là une décomposition du son et de ses qualités semblable à la décomposition de la lumière. À côté de pièces dont le prétexte est une évocation poétique, la suite fait sa réapparition, lien avec l’école de clavecin du xviiie s. (le Tombeau de Couperin de Ravel).

La musique de chambre se présente comme un terrain d’expérimentation aussi bien quant à la technique du violon (Debussy, Ravel) qu’à l’écriture interne (Fauré) ; d’où son intérêt et sa difficulté d’accès.

La musique orchestrale subit de Franck à Debussy une révolution aussi radicale que celle qui affecte la musique de piano. D’un côté la symphonie et sa rigueur de construction, chez Franck, Saint-Saëns, Lalo, Ernest Chausson, d’Indy, orchestrateur brillant, de l’autre Debussy, qui, du Prélude à l’après-midi d’un faune à Jeux (1912), ne va cesser de rechercher une logique interne différente et de dissoudre la thématique traditionnelle, la tonalité, la notion d’orchestration pour aboutir à une juxtaposition de schèmes sonores. Ravel résume, par sa maîtrise parfaite de la technique, par sa clarté et sa rigueur, une image de la musique française, que l’on retrouve dans l’œuvre d’Albert Roussel*.

L’entre-deux-guerres et une période plus récente laissent une impression de richesse foisonnante dans laquelle on peut déterminer au moins trois courants novateurs. L’un, avec le groupe « Jeune-France », où voisinaient deux personnalités aussi différentes que A. Jolivet* et O. Messiaen*, admet que les moyens traditionnels, nourris d’apports extérieurs, comme la musique orientale, n’ont pas épuisé leurs possibilités. Le deuxième, après la Seconde Guerre mondiale, a insufflé une vie nouvelle à la technique dodécaphoniste de l’école viennoise (Pierre Boulez*). Le troisième, depuis Edgar Varese* jusqu’à Pierre Schaeffer, modifie la nature de la matière « musicale » par l’annexion partielle ou complète de moyens étrangers aux douze sons. L’école française, rapidement sortie du modèle allemand, a donc joué un rôle essentiel dans l’écroulement de la tonalité, comme elle avait joué un rôle déterminant dans son élaboration.

C. M.

 N. Dufourcq, la Musique française (Larousse, 1949 ; 2e éd., Picard, 1970). / C. Rostand, la Musique française contemporaine (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1952 ; nouv. éd., 1971). / J.-F. Paillard, la Musique française classique (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1960 ; 2e éd., 1964). / B. Gagnepain, la Musique française du Moyen Âge et de la Renaissance (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1961 ; 2e éd., 1968). / F. Robert, la Musique française au xixe siècle (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1963 ; 2e éd., 1970).


Le cinéma français

On peut raisonnablement avancer la date du 22 mars 1895 comme étant celle de la véritable naissance du cinéma français. Ce jour-là, en effet, à Paris, Louis Lumière* officialise ses découvertes au cours d’une conférence sur « l’industrie photographique ». Il fait suivre son propos de la projection de la Sortie des usines Lumière à Lyon-Monplaisir.

Neuf mois plus tard, le 28 décembre 1895, c’est la naissance du cinéma français en tant que « spectacle ». Dans la salle du Grand Café, boulevard des Capucines à Paris, sont projetés dix petits films tournés très vraisemblablement par Louis Lumière et un de ses collaborateurs : Charles Moisson.

Un public d’abord étonné, puis conquis fait un triomphe à la représentation. Parmi les premiers spectateurs, un certain Méliès*, qui s’empresse de proposer à Lumière l’achat de ses appareils. Celui-ci refuse. Il s’obstinera longtemps, même devant les offres mirobolantes de certains directeurs de théâtre en vogue.

Dans les semaines qui suivent, les représentations quotidiennes font salles combles. Ayant enregistré près d’une centaine de bandes, Antoine Lumière et ses fils Louis et Auguste sont en mesure d’alimenter et de varier leurs programmes.

Dans cette production initiale, presque tous les genres cinématographiques sont déjà présents. Mais la famille Lumière est surtout préoccupée d’asseoir commercialement son invention. Ce qui, plus tard, prendra le nom de septième art est d’abord une industrie.

Dès 1897, l’ingénieur Jules Carpentier fabrique en série les appareils Lumière. Parallèlement, des opérateurs sont envoyés à travers le monde pour y présenter l’invention. Ils en ramènent, par la même occasion, d’innombrables films enregistrés sur place. Au reportage documentaire s’ajoutent bientôt des bandes d’actualité très prisées par les spectateurs d’alors.