Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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France (suite)

Servi par les perfectionnements qui affectent la facture des instruments, un art instrumental dont l’apport dans l’opéra et la musique religieuse est essentiel acquiert son autonomie pendant ces deux siècles. Tandis que le luth engendre jusqu’en 1670 une littérature très riche, paraissent les premiers monuments de la musique pour clavier, qui lui doivent souvent beaucoup. La suite de danses transposée du luth au clavecin est illustrée avec simplicité par Jacques Champion de Chambonnières (v. 1601 - av. la fin de 1672), avec plus de raffinement par Louis Couperin* (v. 1626-1661). Jehan Titelouze (1563-1633) est à l’origine de l’école française d’orgue par ses deux recueils où il orne la mélodie du plain-chant d’une polyphonie modale. Louis Couperin reste fidèle à ce principe, tout en accueillant à l’orgue la monodie ornée et les jeux de contrastes. Après une génération de clavecinistes et d’organistes apparaît l’œuvre double de François Couperin. Si ses deux messes pour orgue (1690) sont d’une qualité à laquelle les pièces de son contemporain Nicolas de Grigny*, connu de Bach, ne le cèdent en rien, l’ensemble de ses quatre livres pour clavecin (de 1713 à 1730) résume, en les sublimant, certains caractères de la musique française de clavecin : leur poésie diffuse repose sur une construction ferme dissimulée sous une ligne mélodique chargée d’ornements et une harmonie audacieuse d’inspiration italienne qui joue sur l’équivoque. Ses « ordres » groupent des danses et des pièces aux titres allusifs pleins de résonances littéraires. Les derniers des quatre recueils de Rameau présentent, à côté de pièces proches de celles de Couperin, une autre conception de l’emploi du clavecin. Les successeurs de Couperin et de Rameau ne sont que de pâles imitateurs.

Le violon, d’abord instrument à danser, acquiert ses lettres de noblesse dans les opéras de Lully. L’ouverture à la française, en deux parties, grave et fugato, connaîtra en Europe la fortune que l’on sait. La sonate, illustrée par Couperin, le concerto, par Jean-Marie Leclair*, et la symphonie proche de la suite de danses, sont les trois genres cultivés à partir du xviiie s.

Dans les trois domaines de la musique dramatique, de la musique religieuse et de la musique instrumentale, on peut donc parler d’une école française unifiée par une certaine conception du « goût ».


xixe et xxe siècle

Après la Révolution et l’Empire, Paris joue « aux temps romantiques » le rôle de capitale musicale. Une des premières scènes d’Europe y fonctionne ; elle accueille virtuoses et compositeurs, groupés dans un milieu cosmopolite, mi-littéraire, mi-musical ; des institutions musicales sont en place à la Cour, tandis que le Conservatoire, fondé sous la Révolution, prétend remplacer dans l’enseignement les maîtrises disparues en 1791 ; les concerts de François Habeneck (1781-1849) font connaître les symphonies de Beethoven dès 1828. Cette situation coïncide malheureusement avec une dégénérescence du goût musical, qui se satisfait de virtuosité et de grandiloquence. Les musiciens italiens (Cherubini*) et allemands (Meyerbeer), qui exploitent à leur profit la vie musicale de Paris, ne font rien pour améliorer cet état de fait. Dans ces conditions, la personnalité et l’action de Berlioz* prennent tout leur relief. Grâce à lui, le romantisme français n’est pas exclusivement un mouvement littéraire. Berlioz inaugure d’ailleurs avec brio la lignée des compositeurs-écrivains. Homme de théâtre autant que symphoniste, il libère son œuvre pour orchestre des cadres que lui offrait la symphonie de Beethoven. Nourri de culture littéraire comme les romantiques d’outre-Rhin, il choisit parmi les plus grands poètes (Goethe, Byron, Virgile, Shakespeare) un argument poétique qui fournit à chacun des moments du drame contenu dans ses grandes fresques un thème qui en conditionne l’atmosphère générale. Il cherche déjà à pallier le morcellement par le retour périodique d’un thème cyclique ou d’un instrument-symbole. Deux formes, dans ces conditions, peuvent se réclamer de lui : le poème symphonique, de Liszt à Franck et à Richard Strauss, et l’oratorio. Sur le plan vocal et orchestral, ses innovations expliquent qu’il ait déconcerté ses contemporains. Le bel arioso expressif de la Damnation de Faust est aussi éloigné que possible de l’italianisme ambiant : la leçon de Gluck a été retenue et amplifiée par une veine mélodique d’une générosité exceptionnelle. Grâce à elle, Berlioz sort la mélodie française des ornières de la romance avec le recueil les Nuits d’été. Le Grand Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes, qui complète les exemples donnés par ses œuvres, révèle une virtuosité étonnante dans l’emploi des timbres de l’orchestre. Dans ce domaine, il est le précurseur de l’école russe, de l’école française jusqu’à Ravel et, au-delà, de tous ceux qui cherchent à diversifier et à élargir les matériaux sonores. Trop novatrice, son œuvre sera un ferment après le renouveau de la musique française amorcé par d’autres voies.

Avant 1870, Gounod, par ses mélodies et par son opéra Faust (1859), témoigne d’un refus de la facilité et de qualités mélodiques. Après 1870, la réaction contre l’emprise étrangère se concentre autour d’un chef de file, Saint-Saëns*, et d’une organisation, la Société nationale de musique, créée en 1871 et dont le but est de fournir une audience aux jeunes compositeurs. Pour reconstruire, la musique française va faire appel à des sources multiples. La première génération de musiciens se tourne d’abord vers l’école allemande classique et romantique, qui offre, quant à l’écriture et à la forme, un modèle solide. Lalo* et Saint-Saëns frayent la voie dans leur abondante production de musique instrumentale, domaine neuf. La clarté de la construction y est maîtresse.

Après la forme, le langage. César Franck*, maître écouté, propose à ses disciples une harmonie fondée sur un chromatisme hérité de Wagner et de Liszt, qui engendre des modulations perpétuelles.