Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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France (suite)

Tandis qu’une évolution profonde est amorcée, Roland de Lassus* rassemble les acquisitions de ce xvie s. et présente dans son œuvre immense, en une sorte de bilan, toutes les formes et les principaux styles nationaux, français, italien et allemand, dont la gestation est presque achevée. Parallèlement, les tendances qui apparaissent après 1560 en France contribuent à l’éclosion d’un nouvel élément du langage musical, que le xviie s. adoptera lentement : la monodie accompagnée. Les paraphrases de psaumes (Claude Goudimel [v. 1505-1572]) destinées aux assemblées protestantes simplifient, pour des raisons pratiques évidentes, le tissu polyphonique. La musique « mesurée à l’antique », dont Claude Le Jeune* est le représentant le plus qualifié, contraint au verticalisme un discours musical réglé par les complexes mètres latins. Par ces deux courants, auxquels on peut ajouter le madrigal italien, s’effectue le passage de la polyphonie, où chaque voix d’égal intérêt est conduite pour elle-même, à la monodie accompagnée, où l’une d’elles devient prépondérante, tandis que les autres sont groupées en agrégats qui tendent à reposer sur une base génératrice de l’ensemble. Il est réalisé, fait symptomatique, par des voies différentes en Italie et en France.


La période « classique » : xviie et xviiie s

Pendant cette période, deux « nationalismes » musicaux se heurtent : le français et l’italien. Cet antagonisme est sensible dans une littérature polémique jalonnée par des « Défenses », des « Parallèles », des « Lettres » et par des querelles qui secouent le monde musical, dont la plus célèbre est la « Querelle des bouffons » (1752-1754). Les nouveautés d’outre-monts fascinent les musiciens français, qui découvrent un style vocal, des recherches d’écriture, un traitement des instruments à cordes différents. Les plus curieux et les plus doués tirent immédiatement profit de ces éléments, les assimilent et en font une composante de leur personnalité, placée ainsi sous le signe des « goûts réunis » : c’est le cas, dans des domaines divers, de M.-A. Charpentier*, de François Couperin*, d’André Campra*.

Cette influence aurait été plus éclatante si n’était intervenu un second facteur : la lente mais sûre concentration des forces musicales du pays, auparavant dispersées, autour du roi et de la Cour, qui imposent leur goût. Les formes musicales sécrétées par la vie de cour, tragédie lyrique de Lully, grand motet versaillais, reflètent moins l’apport italien, alors qu’il apparaît dans des genres qui se développent en dehors de ce pôle d’attraction, comme la cantate, le motet à voix seule, la musique instrumentale pour cordes. Sous Louis XV, la prodigieuse vitalité de la musique italienne, servie par ses interprètes lancés sur les routes de l’Europe, ne rencontre plus qu’une résistance réduite en France : c’est l’annonce d’un déclin momentané pour la musique française, qui, les bouleversements politiques aidant, reste étrangère en partie à la révolution musicale de la fin du xviiie s.

Deux phases, l’une de gestation, l’autre de maturité, se succèdent pendant cette période. Tel est le cas pour la musique dramatique. L’Italien Lully*, futur créateur de l’opéra français, recueille un héritage important et original, dont il va agencer habilement les éléments. L’air de cour, monodie élégiaque, a profondément évolué depuis ses origines (1571), servi par trois générations de musiciens : d’abord harmonisé à 4 voix, il prend sa physionomie quand la voix supérieure se détache, tandis que les autres sont égrenées par un instrument d’harmonie comme le luth, support privilégié de cet art confidentiel.

Sous la forme du récit, l’air de cour prend un tour dramatique qui lui permet de s’insérer dans le ballet de cour. Ce fastueux spectacle littéraire, musical et chorégraphique ne présente pas d’unité, ni de tissu continu. Après dix années de collaboration avec Molière dans les comédies-ballets, Lully parvient à résoudre la difficulté essentielle et à créer un récitatif français dans Cadmus et Hermione (1673), sa première tragédie lyrique. Dans le cadre d’une action dramatique continue à sujet noble, il soude des éléments disparates : récits, airs, chœurs, danses, ordonnés selon un principe d’unité. Unité et diversité : l’opéra français oscille entre ces deux extrêmes. Après le génie organisateur de Lully, la tradition du ballet de cour reparaît dans l’opéra-ballet : l’action dramatique éclate de nouveau. À partir de 1733, Rameau* apporte à la scène son expérience de théoricien et la prodigieuse maîtrise d’un langage musical beaucoup plus riche que celui de Lully. Tragédie lyrique et opéra-ballet se côtoient dans son œuvre. Gluck*, Allemand, a choisi la scène française pour présenter, avec le meilleur de son œuvre, ses conceptions dramatiques : soumission de la musique au texte afin de mettre en valeur le drame. Entre Rameau et Gluck s’insère la création de l’opéra-comique français, inspiré de l’Italie et adapté au goût national.

La période est donc dominée par la trilogie Lully, Rameau, Gluck, unis par une même conception du drame en musique, opposée à la conception italienne. Soucieux de faire coïncider la musique et le texte, ils refusent la dualité artificielle air-récitatif dans laquelle s’est enfermé l’opéra italien en accueillant largement l’apport orchestral et celui des chœurs. Un récit attaché aux nuances de la prosodie française, facteur d’unité, des danses raffinées et chatoyantes, facteur de rupture de l’action, sont les deux éléments contradictoires mais parfaitement originaux qu’a légués à la postérité l’opéra français classique.

Contrairement au drame en musique, genre neuf qui se construit au xviie s., la musique religieuse est écartelée entre le passé — la polyphonie — et le présent — le style concertant, qui admet l’apport de la musique instrumentale et de la mélodie.

Jusqu’à 1660, une recherche orientée par l’Italie se poursuit, qui consiste à remplacer la pluralité des lignes de la polyphonie par la pluralité des plans sonores ; le motet lui sert de cadre, alors que la messe reste désormais figée dans le modèle qui lui a été assigné à la fin du xvie s. De ces expériences, motets à 2, 3, 4 chœurs, sortira le grand chœur à 5 voix, opposé au petit chœur, qui figurent parmi les éléments constitutifs du grand motet versaillais. Le système contrapuntique présent dans les œuvres de musique religieuse est moins complexe que celui des écoles allemande et italienne. Son absence de rigueur et de capacités de développement est équilibrée par la clarté de ses lignes et son efficacité expressive. Le message de l’Italie a, par contre, été perçu quant à la qualité de son vocabulaire harmonique. Son rôle, et en particulier celui de l’école romaine, est indéniable. Mais, si certains musiciens, tel Charpentier, assemblent ces composants dans le moule de formes venues d’Italie, d’autres, comme les musiciens de l’école versaillaise, tel Delalande*, les agencent dans une forme typiquement française, le grand motet. Quoi qu’il en soit, Marc Antoine Charpentier, dans une œuvre extrêmement diverse, qui comprend motets à voix seule, leçons de ténèbres, messes et oratorios, François Couperin, dans ses motets à voix seule et ses leçons de ténèbres, et Delalande, dans ses 70 grands motets, parviennent, grâce à une pénétration intuitive du texte latin, aux plus hauts sommets de la musique religieuse. Après eux, le grand motet, désormais offert au public du concert spirituel, perd en émotion ce qu’il gagne en éclat et en formules imagées.