Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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France (suite)

La musique française

Musique française : cette expression ne doit pas désigner seulement un art qui se serait développé à l’intérieur de frontières géographiques précises. Dans l’esprit de ceux qui l’emploient, elle suggère un certain nombre de caractères spécifiques qui font l’originalité de cet art comparé aux réalisations de ses voisins. En effet, après avoir joué pendant des siècles un rôle d’initiateur, la musique française devra, du xviie au xixe s., assimiler deux vagues d’influence étrangère : l’une italienne, l’autre allemande. Elle a su pourtant, malgré ces puissantes forces d’attraction, conserver sa personnalité et retrouver au début du xxe s. son rayonnement.


Des origines à la fin du xvie siècle

Les origines de la musique française se confondent avec celles de la musique occidentale, héritière de la tradition théorique pythagoricienne et des cultes orientaux. Pendant des siècles, l’Église chrétienne utilise la musique comme un élément du culte : celle-ci est liée dès l’origine à la vie monastique. Avant l’an 1000 est constitué en Europe le corpus du chant grégorien, qui orne toutes les phases de la liturgie. Grâce au système des tropes, qui charge de paroles les vocalises du grégorien, se crée un embryon de drame liturgique (vers 970 au monastère de Fleury [Saint-Benoît-sur-Loire]) qui, après la scission entre texte et musique, donnera naissance au théâtre parlé (fin du xiie s.). De 1100 à 1300, d’autre part, se développe une monodie profane due à une étonnante floraison de poètes-musiciens, d’abord localisés dans le Midi aquitain (troubadours), puis entre Loire et Meuse (trouvères de Champagne, de Paris, d’Arras). Avec ces deux formes d’expression, la monodie, ou chant à une voix, parvenue à une extrême subtilité, a atteint ses limites. C’est à la France que revient d’avoir trouvé un principe nouveau riche de possibilités infinies, qui assure sa suprématie pour plusieurs siècles : la superposition de deux ou de plusieurs lignes mélodiques, ou polyphonie. Connue dès la fin du ixe s., celle-ci n’est exploitée que vers la fin du xie s. à Saint-Martial de Limoges, centre important, et par les maîtres de l’école de Notre-Dame de Paris : Léonin et Pérotin. Ceux-ci écrivent l’un des organa à 2, l’autre à 3 et 4 voix construits sur une teneur grégorienne. Ce procédé, ou déchant, sort bientôt du cadre liturgique dans le motet où 2, 3 voix chargées de paroles profanes se superposent à une teneur qui est un fragment d’organum. Adam* de la Halle introduit l’emploi de la polymélodie dans des rondeaux profanes.

L’Ars* nova (xive s.), qui emprunte son nom au traité de Philippe de Vitry (1291-1361), est dominé par les préoccupations des théoriciens qui cherchent à organiser la matière musicale en codifiant notation et rythme. Dans le motet « isorythmique », la teneur est découpée en tronçons de même valeur rythmique, facteur d’unité, mais aussi de sécheresse. Seul Guillaume* de Machaut (v. 1300-1377) s’évade de ce formalisme et apporte aux pièces sacrées et profanes qu’il aborde une incontestable qualité mélodique. En traitant pour la première fois comme un tout les cinq parties de l’ordinaire de la messe (messe Notre-Dame), il pose un jalon important de l’histoire de cette forme.

Entre l’Ars nova et l’apogée de la polyphonie à la fin du xve s., le centre d’intérêt se déplace vers la cour de Bourgogne et les pays franco-flamands. L’Italie et l’Angleterre, autrefois fécondées par les découvertes françaises, rayonnent à leur tour. La propagation des idées musicales est favorisée par l’extrême mobilité des musiciens, qui suivent leurs protecteurs ou se fixent dans les chapelles pontificale et princières. À Guillaume Dufay (v. 1400-1474), qui domine la première moitié du xve s., sont dus le développement et la fixation des trois formes privilégiées dans lesquelles se coule la polyphonie de la fin du xve s. et du xvie s. : la messe, le motet, la chanson. Après lui, l’abandon de l’emploi des instruments oriente la musique vocale vers le style a cappella, tandis qu’une préoccupation nouvelle apparaît : celle de l’expression ; la mélancolie grave, qui imprègne à l’aube de la Renaissance française la musique profane comme la musique religieuse et qui se dégage de la plasticité des courbes mélodiques, est restée pour beaucoup le symbole de l’effusion vers la divinité.

Johannes Ockeghem (v. 1430 - v. 1496), Flamand au service de trois rois de France, unifie dans ses messes le traitement des 4 voix ; par le jeu des « imitations canoniques », la teneur ne sert plus de trame à l’édifice polyphonique : elle se diffuse dans les différentes voix. Avec Josquin Des* Prés (v. 1440-1521 ou 1527 ?), parfaitement maître de l’écriture contrapuntique, la messe atteint une forme d’équilibre idéal : la « teneur », liturgique ou empruntée à une chanson profane, est devenue le thème générateur de l’ensemble. Le motet, par la variété de ses textes et l’absence de teneur, laisse toute liberté à la sensibilité du musicien. Les 129 pièces de Josquin pour 4, 5, 6 et 8 voix représentent une somme où il expérimente un maniement de la masse sonore différent de celui de la messe. Avec une pléiade de leurs contemporains, Johannes Ockeghem et Josquin Des Prés atteignent dans la messe et le motet une perfection qui sera un modèle et une limite pour leurs successeurs français du xvie s. C’est à l’extérieur qu’il faut rechercher leur héritage spirituel : dans l’œuvre d’un T. L. de Victoria* et dans celle d’un G. P. da Palestrina*. Il en va autrement dans le domaine de la chanson* : ayant libéré la musique de la gangue du texte poétique, ils n’ont pu lui donner un style propre qui la différencie du motet. Il appartiendra à la chanson dite « parisienne », largement diffusée après 1525 par l’imprimerie, d’ajouter verve, vivacité et fantaisie descriptive à la gamme des sentiments jusque-là décrits : pour ce faire, la polyphonie clarifiée se réduit à un jeu d’imitations très simples, tandis que l’homophonie, doublée d’une rythmique complexe, triomphe. L’œuvre de Clément Janequin* résume ces tendances. Assez curieusement, ce n’est pas en France, malgré une production de qualité, qu’il faut chercher une postérité à la chanson française, mais en Italie, où le madrigal développe ses virtualités en achevant de forger un symbolisme musical, déjà sous-jacent, qui va féconder la musique européenne pendant plusieurs siècles.