Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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France (suite)

Sur le plan commercial, Lumière doit subir une forte concurrence, difficile à endiguer. Les attractions foraines fondées sur les représentations cinématographiques se multiplient. Mais, après une brève période d’engouement provoquée par la nouveauté de l’attraction, une certaine saturation apparaît, et la vogue du cinématographe s’atténue. L’incendie du Bazar de la Charité accentuera la désaffection publique.


L’école de Vincennes

Entre-temps, Georges Méliès a construit lui-même un appareil, et il entreprend bientôt de produire des films. De son côté, un certain Eugène Pirou découvre les attraits du « cinéma de boulevard » (le Coucher de la mariée).

En 1898, les frères Lumière, découragés par la versatilité du public et leur échec aux États-Unis, abandonnent la production de films et confient l’exploitation de leurs appareils à d’autres industriels.

Mais l’Exposition universelle de 1900 donne au cinéma un regain d’actualité. La plupart des pavillons proposent des projections de documentaires. Sur la lancée de cette manifestation internationale, le cinéma retrouve un public, devient itinérant, pénètre dans les théâtres de province et les locaux les plus divers.

Après avoir monté un studio à Montreuil et formé une troupe d’acteurs, Georges Méliès met au point de nombreux trucages et invente empiriquement toutes les données de ce qui va devenir le cinéma fantastique.

Avec Charles Pathé et Ferdinand Zecca naît ce qu’on a appelé l’école de Vincennes. Pathé, commerçant avisé, sait choisir ses collaborateurs. Avec son frère Émile, il a créé en 1896 la fameuse firme Pathé et construit divers studios.

En 1900, il engage Ferdinand Zecca, qui se révèle le premier grand producteur du cinéma. Sous la conduite de cet ancien comédien devenu organisateur de talent, des dizaines de metteurs en scène s’affirment dans des films comiques placés sous le signe de la course-poursuite. Le bois de Vincennes, proche des studios Pathé, sert de cadre presque immuable à ces variations cinématographiques.

Pendant que la maison Pathé acquiert une audience internationale en passant de l’artisanat au stade industriel, Léon Gaumont installe des studios à Paris en 1906 et confie leur direction à sa secrétaire Alice Guy, qui deviendra peu de temps après la première femme metteur en scène du cinéma français.


Du feuilleton au film d’art

De 1906 à 1910, le cinéma connaît un essor extraordinaire. Pathé et Gaumont se font une concurrence acharnée, mais fructueuse. Des salles de cinéma se construisent un peu partout. La formule sédentaire prévaut petit à petit sur le caractère forain. Des journalistes, des écrivains, des artistes de toutes sortes s’intéressent au cinéma. De nouvelles firmes de production (Éclair, Éclipse) naissent. La première engage Victorin Jasset, qui adapte Nick Carter en épisodes à suivre. C’est la naissance du feuilleton cinématographique, qui va connaître une vogue extraordinaire en France avec Feuillade*, aux États-Unis avec Louis Gasnier. Parallèlement, la durée des films s’allonge, ce qui autorise certains auteurs à aborder des sujets plus ambitieux.

Pendant que naît le cinéma-feuilleton et que Méliès tourne ses derniers grands films apparaît en 1908 le « film d’art », lancé par l’académicien Henri Lavedan. Ballets, poèmes, pantomimes, pièces de théâtre constituent le fond de ce répertoire, qui prétend fournir au cinéma ses bases « intellectuelles ». Mis à contribution, dramaturges et comédiens célèbres de l’époque sont pourtant incapables de découvrir la spécificité de ce nouveau mode d’expression. Ils s’obstinent, devant la caméra, à « faire du théâtre ». Ils nous ont laissé tout un répertoire qui se voulait grandiose, mais qui n’est trop souvent que grandiloquent (l’Assassinat du duc de Guise d’Henri Lavedan, mis en scène par Le Bargy et André Calmettes en 1908).

Albert Capellani s’impose chez Pathé en tournant des films comiques, où apparaissent Prince Rigadin et Max Linder*. Ce dernier cherche longtemps sa personnalité comique. Il la trouve en se mettant en scène lui-même et en créant une silhouette, sinon un personnage, dont Chaplin s’inspirera plus tard.

Parmi les artistes séduits à l’époque par le cinéma, citons Émile Cohl*, dessinateur humoriste, qui s’affirme talentueux pionnier du dessin animé.


La concurrence américaine

Jusqu’aux premiers jours de la Première Guerre mondiale, le cinéma français maintient sa suprématie mondiale en matière de production. Le conflit avec l’Allemagne, en mobilisant réalisateurs et comédiens, oblige la plupart des studios à fermer leurs portes. Arrêt fatal : à partir de 1916, les films américains submergent le marché français. On découvre Forfaiture, les Mystères de New York, les premiers Charlot, les premiers Griffith, le western et toute une production comique fortement inspirée de l’école de Vincennes.

Dès l’armistice, les ouvertures et réouvertures de salles se multiplient. Le succès des représentations cinématographiques provoque l’intérêt de la grande presse, qui tente de s’associer au mouvement en créant des rubriques spécialisées. Durant quelques années, il y a même pléthore de films sur le marché, compte tenu de la concurrence étrangère.

Cette situation concurrentielle a son bon côté. Elle incite les réalisateurs à réagir. Le « serial », né en France, repris avec passion aux États-Unis durant la guerre, connaît une nouvelle vogue. « Voilà bien le spectacle qui convient à ce siècle ! » s’écrie Aragon à propos des aventures de Pearl White. Pendant que les surréalistes s’extasient, Feuillade se remet à la tâche. Après son Fantomas (1913) et ses Vampires (1915, avec Musidora), il s’est attaqué à Judex (1916) avant d’évoluer vers le feuilleton mélodramatique et moralisateur. Des quotidiens nationaux s’appuient sur les succès cinématographiques pour en publier des versions « à suivre ».