Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

français (suite)

Compte tenu de ces changements et aussi des nombreux glissements de sens (cohortem « cohorte » devient court, « cour royale » et « ferme ») ou de la création de mots à partir de bases latines (relatinisations successives) [oiseau est créé à partir de avem « oiseau » élargi par un suffixe -ellus], la masse du vocabulaire est d’origine latine, mais les mots de la guerre et de la féodalité sont d’origine germanique. En outre, la plupart des lettrés utilisant autant le latin que l’ancien français, il y a reprise au latin (avec simple adaptation des terminaisons et prononciation « à la française ») de toutes sortes de mots dits savants, alors que le mot latin avait évolué vers une forme dite mot populaire : ainsi, le latin ratio a donné le mot populaire raison et le mot savant ration (où t devant i suivi d’une voyelle se prononce s comme en français et non t comme en latin).


Le moyen français (xive et xve s.)

Avec la conquête du Midi, entraînant le recul de la littérature et de la langue d’oc, avec l’établissement de l’administration royale, on assiste à la progression générale du français aux dépens des autres dialectes d’oïl et de la langue d’oc. Le français commence à être employé concurremment avec le latin dans les ordonnances et actes de la chancellerie royale, dans les plaidoiries et les prononcés de jugements, dans des œuvres en prose de toutes sortes.

Au xive s., peu d’auteurs connus écrivent encore en dialecte ; le picard de Froissart est plutôt un français comprenant un certain nombre de traits dialectaux. Par rapport à l’ancien français, les caractères les plus importants du moyen français sont les suivants.

• Morphologie.
1o Perte de la déclinaison à deux cas par généralisation des formes de cas régime (la marque -s du pluriel vient de là) avec, comme conséquence, l’utilisation plus fréquente de l’ordre des mots comme indice de leur fonction (avant le verbe : sujet ; après le verbe : objet).
2o Disparition de la classe des adjectifs invariables ; le type masc. grant, fém. grant, est aligné sur bon, bonne.
3o Extension de l’usage des prépositions ;
4o Réfection de la conjugaison des verbes à alternances sur une base unique : j’ain, nous amons, je clain, nous clamons sont refaits l’un sur aime, l’autre sur clame. Le type je meurs, nous mourons devient l’exception.

• Vocabulaire.
Les « mots savants » empruntés directement au latin envahissent le vocabulaire en doublant ou en supplantant les formes « populaires » : estimer remplace esmer, qui venait lui aussi du latin aestimare ; en même temps, la langue prend au latin, sous la forme originelle, des locutions comme et cetera, idem, quasi.

• Orthographe.
Alors que l’ancien français avait fini par éliminer toutes les lettres qui ne correspondaient pas à des sons, le moyen français multiplie des lettres étymologiques ou les complications fantaisistes de toutes sortes : haut est écrit hault à cause de altus ; poids prend un d, qu’il conserve toujours à cause de pondus, dont il ne vient pas. On multiplie les fioritures (y, x).

• Prononciation.
On cesse de prononcer les consonnes finales précédant une consonne initiale : ainsi, dans six dents, six se prononce si, et oi, prononcé , se réduit à é dans les terminaisons verbales.


Le français au xvie s.

La période de la Renaissance est capitale pour l’histoire du français : notre langue s’affirme en effet, selon le programme de Défense et illustration de la langue française (1549), à la fois contre la mode de l’italien et contre la prééminence du latin. Au détriment de ce dernier, la Réforme adopte l’utilisation des langues nationales (et notamment, avec Calvin, du français) comme langues de culte et de catéchisation. Au détriment des parlers locaux, l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) prescrit l’usage exclusif du français devant les tribunaux. Le souci de la norme se fait jour, et Clément Marot impose au français la règle d’accord du participe passé telle qu’elle est encore en usage. Malgré les propositions d’Étienne Dolet (Traité de la ponctuation de la langue française et les Accents d’icelle, 1540), malgré celles de Louis Meigret (Traité touchant le commun usage de l’orthographe, 1542), on n’adoptera pas de système rationnel de l’orthographe à un moment où le développement de l’imprimerie et la progression de l’usage du français auraient permis de le faire avec succès.

Sur le plan de l’évolution de la langue, le xvie s. voit :
— l’affaiblissement et la chute des consonnes finales, même quand elles n’étaient pas suivies d’un mot commençant par une consonne (c’est le cas, notamment, de -s, -r [finir se prononce fini], -l [mortel se prononce morté] ;
— le passage de au, prononcé jusque-là aou, à o ;
— le passage de oi, là où il était encore prononcé , à wa, d’abord chez les courtisans, ensuite dans la langue courante ;
— la suppression des hiatus (notamment de -e après voyelle) ;
— l’extension de l’usage de l’article ;
— la fixation de l’ordre des mots, à quelques exceptions près ;
— l’enrichissement du vocabulaire par des emprunts au latin, aux dialectes, aux langues des communautés linguistiques voisines.


Le français classique et son évolution

Au xviie s., époque de travail sur la langue, le français trouve une forme moderne, qui reste encore aujourd’hui l’idéal de la langue littéraire. Suivant un idéal de « bel usage » (usage de la Cour et de la haute société parisienne), malgré des oppositions finalement vaincues, certaines institutions (académies), certains groupes sociaux (salons), certains individus (Malherbe, Vaugelas) travaillent, en réaction contre le xvie s., à « dégasconner » la langue, c’est-à-dire à la débarrasser des mots d’origine provinciale et à la « purifier », c’est-à-dire à chasser de l’usage les mots évoquant les réalités matérielles et techniques. C’est l’époque des premiers véritables dictionnaires* français (1680, Richelet ; 1690, Furetière ; 1694, Académie, 1re édition). Mais le xviie s. est, du fait des tendances générales, une période d’appauvrissement lexical, même si toutes les prescriptions ne sont pas observées et si des mots condamnés comme vieux (angoisse) ou vulgaires (poitrine ou épingle) survivent.