Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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foire (suite)

Plus tardivement, ces foires favorisent la commercialisation des grains en Occident. Aussi, pour faciliter les transactions de ces négociants étrangers (Génois à Fréjus, fin du xiie s.) avec les producteurs locaux, des intermédiaires spécialisés, les mercatores, s’établissent dès le xiie s. dans les localités où se tiennent ces réunions périodiques, réunions dont l’importance ne cessera de s’accroître.


Second essor des foires de marchandises : xiie-xiiie siècle

Les plus célèbres des foires, qui naissent de la seconde phase d’urbanisation des pays au nord des Alpes au xiie et au xiiie s., et qui attirent des marchands étrangers à la zone d’attraction primitive deviennent, selon J.-F. Bergier, « des lieux d’échanges internationaux, indépendants, en partie du moins, des besoins de la consommation et de la production locale ». Il en est ainsi des cinq grandes foires flamandes (Thourout, Ypres, Messines, Lille et Bruges), dont le cycle ne se constitue qu’avec lenteur, puisque la dernière n’est fondée qu’en 1200 ; il en est de même des foires de Champagne (Troyes, Provins, Bar-sur-Aube et Lagny), dont l’extraordinaire essor au xiie et au xiiie s. ne peut être expliqué ni par leur localisation géographique (d’autres villes champenoises sont également situées au carrefour des routes d’Italie aux Pays-Bas et d’Allemagne à Paris), ni par l’existence d’une importante industrie drapière locale, qui ne se développe qu’au xiie s., ni par la présence italienne, qui n’apparaît décisive qu’à la fin du xiie s. De même, les causes réelles de leur déclin apparaissent-elles difficiles à déterminer. Sans doute, des facteurs très divers ont-ils joué : ouverture de la voie maritime au négoce italo-flamand (le premier navire italien unissant Gênes à Bruges et à Southampton franchit le détroit de Gibraltar en 1277) ; longues guerres qui opposent les rois de France aux comtes de Flandre (1295-1320) et aux rois d’Angleterre (1338-1435) ; déplacement vers l’est des grands axes de communication entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud ; croissance concurrentielle de Paris et de la foire du Lendit (Landy) qui se tient en juin entre Paris et Saint-Denis ; peut-être maladresse administrative des agents de Philippe le Bel, qui mettent la main sur le comté en 1284 ; enfin bouleversement du marché des métaux précieux vers 1320 et tendance à la régionalisation de l’économie.

Les foires de Champagne

Peut-être héritières des foires de Troyes signalées au milieu du ve s. par Sidoine Apollinaire, les foires de Champagne se multiplient du xe s. (Provins avant 996) au xiiie s. Mais on en compte alors une trentaine ; seules six d’entre elles ont joué un rôle économique considérable. D’une durée égale de six semaines environ, ces foires font de la Champagne, du moins dès la seconde moitié du xiie s. et au cours du xiiie s., un centre permanent du grand commerce international, caractérisé par la redistribution dans les pays du Nord des produits orientaux (épices, matières tinctoriales, alun, soie) ou italiens (draperies, soieries) en échange des laines anglaises, des draps flamands, des pelleteries de la Baltique.

Elles se déroulent parallèlement aux marchés ordinaires, qui attirent les habitants de la ville et des environs, qui y négocient surtout des produits agricoles (céréales, bétail, vins de basse Bourgogne, de Beaune, d’Auvergne). Elles attirent surtout des marchands étrangers : Flamands venant par Bapaume, Péronne, Roye, Compiègne et Crépy-en-Valois, depuis les grands centres de l’industrie textile, membres de la Hanse de Londres, dirigés par Bruges ; Italiens originaires de toutes les grandes villes de l’Italie du Nord (Florence, Sienne, Asti, Plaisance, Gênes, Milan, Venise, etc.) et même de Rome, arrivant soit par le couloir rhodanien depuis Aigues-Mortes, soit par le Grand-Saint-Bernard et la cluse de Pontarlier. Les marchands étrangers bénéficient, contre paiement d’importants droits de péage, de la protection financière (indemnité dans les quarante jours d’un accident), juridique, militaire et matérielle (halles d’Augerans et de Salins) des comtes de Bourgogne et de Champagne. Ils enrichissent les villes de foire par le montant des loyers qu’ils versent aux propriétaires (comte, roi, abbaye Saint-Ayoul, etc.) des hôtels où ils descendent, des halles (ou des caves) où ils stockent leurs marchandises, des étaux où ils présentent celles-ci, des tables où ils changent les monnaies, ces dernières étant concédées par le comte de Champagne. Ils les enrichissent également par le montant des taxes de transport (péages, etc.) ou de transaction (tonlieu payable par moitié par l’acheteur et le vendeur) qu’ils versent aux détenteurs de ces droits. Ils les enrichissent enfin par leurs dépenses de consommation, par la vie active qu’ils contribuent à y faire naître (bateleurs, ménétriers, jongleurs) et surtout par le mouvement d’affaires qu’ils y créent et qui contribuent à faire des foires de Champagne l’une des grandes places de change (Français, Italiens et Cahorsins), de prêt usuraire de consommation (Juifs) et de crédit de l’Europe. Les opérations marchandes, consacrées par des contrats de change passés devant notaire, sont soldées en général au terme de la foire par différence entre le doit et l’avoir de chaque négociant : ainsi se trouvent relativement limités le transport et les échanges de numéraire, auquel certains commencent parfois à substituer le règlement soit par débit du compte ouvert par l’acheteur chez son changeur, soit par lettre de change.

Malgré l’intérêt porté à ces foires par les comtes, puis par les rois de France, qui les placent sous l’autorité de deux gardes de foires secondés par des lieutenants, des clercs, un chancelier garde du sceau des foires et des sergents, malgré la création progressive d’une coutume des foires qui privilégie les créances passées en foire au même titre que celles du roi, cette institution du grand commerce, victime de circonstances analysées par ailleurs dans le corps de l’article, décline irrémédiablement dès la fin du xiiie s. La guerre de Cent Ans réduira les foires à l’état de marchés régionaux au xive s., de simples marchés locaux à partir de la fin du xve s.