Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

foire (suite)

Des foires de marchandises aux foires de change

Dès lors, la voie est libre pour la montée de nouvelles foires situées naturellement aux limites intérieures ou extérieures du royaume de France : celles de Chalon-sur-Saône et de Francfort, qui se sont développées dès la seconde moitié du xiie s. ; celles de Bruges, d’Anvers, de Bergen op Zoom, de Leipzig et de Nördlingen, dont l’essor est plus tardif ; enfin celles de Genève et de Lyon, qui vont prendre tour à tour le relais des foires de Champagne, les premières n’apparaissant qu’en 1262 et ne se développant qu’au xive s., et les secondes ne se constituant qu’en 1420 et n’acquérant un rayonnement international qu’à partir de 1440 et surtout de 1462, lorsque Charles VII, puis Louis XI s’efforcent de capter les courants commerciaux qui alimentent la ville riveraine du Léman, afin d’en détruire la puissance financière et, par là même, priver Charles le Téméraire d’une source essentielle de crédit. C’est souligner le fait que les foires de Genève, comme celles de Lyon d’ailleurs, ne sont plus de simples foires de marchandises (rôle de la soie notamment) comme l’ont été les foires du haut Moyen Âge, mais sont aussi des foires de change.

Sans doute, les foires de Champagne étaient-elles « devenues la grande place occidentale de change » au xiiie s., selon Guy Fourquin. Mais ce n’est qu’à la suite de la généralisation de l’emploi de la lettre de change et de la pratique du rechange, sans support commercial ni transfert réel de fonds, qui en fait un instrument de prêt à intérêt d’une admirable souplesse, que les foires du textile de Genève et de Lyon deviennent, selon le professeur Jacques Heers, des « rendez-vous des banquiers... [qui] sont déjà des foires de change, les futures grandes places bancaires de l’Occident ». Au xvie s., ce nouveau type de foires, reposant sur le trafic de l’argent et des lettres de change, se généralise. Outre les foires de Lyon, où s’effectuent quatre fois par an les paiements entre l’Italie, une bonne partie de l’Espagne et les Pays-Bas, il faut citer celles de Besançon, où viennent s’établir, à Pâques 1535, les Génois, qui ont dû quitter Lyon en 1528 à la suite de l’occupation définitive de leur ville natale par les Espagnols. Citons également celles de Medina del Campo, ce carrefour de la Mesta (association espagnole des éleveurs de moutons transhumants), ce grand centre espagnol de négoce des moutons devenu au xve s., de par la volonté du roi de Castille, le principal centre financier de la Couronne.

Bisannuelles, mais liées aux autres foires castillanes de Villalón et de Medina de Ríoseco, les foires de Medina del Campo permettent d’établir au xvie s. une nouvelle formule de prêt à intérêt, pratiquée également à Anvers, à Francfort-sur-le-Main, à Lyon et aux « foires génoises » de Besançon : celle du « dépôt », qui désigne des avances consenties de foire en foire, donc à un rythme trimestriel, à des particuliers ou à des souverains — le taux de l’intérêt variant selon les lois du marché des échanges. Dénoncée comme usuraire par les théologiens du concile de Trente, cette pratique est qualifiée par les banquiers, à la fin du xvie s., de « change de foire en foire ». Elle est condamnée par une bulle du pape Pie V en 1571, et est peu à peu remplacée par la technique de la ricorsa, ou « change avec recours ». Celle-ci consiste en un jeu de changes et de rechanges entre une ville telle que Venise et une place telle que Plaisance : le débiteur, qui émet dans la première de ces localités une traite payable à la prochaine foire de la seconde, sait fort bien que son compte sera sans provisions à la date d’échéance et que son correspondant, ayant renoncé par avance à tout protêt, devra tirer une nouvelle lettre de change sur Venise, obligeant ledit débiteur à rembourser sur cette place son créancier ; le bénéfice de ce dernier est alors représenté par la différence des cours entre l’aller et le retour, différence en fait déterminée par la commission de banquiers, qui, à chaque foire, fixe le cours des monnaies de change par rapport à la monnaie de la foire, de telle sorte que le prix de retour soit supérieur à celui de l’aller et rapporte un intérêt annuel de l’ordre de 20 p. 100.


Déclin des foires

Malgré la multiplication des foires dites « de Besançon » au xvie s., le rôle de ces réunions marchandes ne cesse de décliner depuis lors en raison de l’essor des compagnies commerciales à succursales établies à l’étranger, où leur présence assure un contact direct et permanent entre les partenaires commerciaux de pays différents. Liée à des conditions particulières, la survie des foires de Lyon et de Beaucaire, jointe au renom des foires russes (depuis 1817) de Nijni-Novgorod (auj. Gorki), assure pourtant la pérennité de cette institution, qui, par une nouvelle mutation, donne naissance au xxe s. à la foire-échantillon. La première foire-échantillon est créée pendant la Première Guerre mondiale à Lyon, et cet exemple a été depuis lors suivi par toutes les grandes villes marchandes de l’Europe : Francfort, Hanovre, Leipzig, Milan, Paris, Bordeaux, etc.

P. T.

➙ Champagne / Commerce international / Genève / Lyon.

 F. Bourquelot, Études sur les foires de Champagne, sur la nature, l’étendue et les règles du commerce qui s’y faisait aux xiiie et xive siècles (Imprimerie impériale, 1865-66, 2 vol., rééd. Le Portulan, Brionne, 1970). / F. Borel, les Foires de Genève au xve siècle (Picard, 1892). / P. Huvelin, Essai historique sur le droit des marchés et des foires (Rousseau, 1897). / M. Brésard, les Foires de Lyon aux xve et xvie siècles (Picard, 1914). / L. Levillain, Études sur l’abbaye de Saint-Denis à l’époque mérovingienne (Didier, 1930). / E. Chapin, les Villes de foire de Champagne (Champion, 1937). / Recueils de la Société Jean Bodin, la Foire (Librairie encyclopédique, Bruxelles, 1953 ; 2e éd., 1958). / R. Caillet, Foires et marchés de Carpentras du Moyen Âge au début du xixe siècle (Impr. Batailler, Carpentras, 1954). / J. P. Gachelin, le Landy et les foires de Saint-Denis en France (Impr. Bosc, Lyon, 1959). / D. Gioffré, Gênes et les foires de change de Lyon à Besançon (S. E. V. P. E. N., 1960). / J. F. Bergier, Genève et l’économie européenne de la Renaissance (S. E. V. P. E. N., 1963).